Le 16 Février 2010, Agnès Laurent est partie. Elle nous a quittés pour toujours. Pour le paradis des starlettes malchanceuses. Mais fut-elle vraiment malchanceuse ou victime du phénomène de société le plus ridicule du XXème siècle?
Cette délicieuse jeune fille est née à Lyon le 28 Janvier 1936 sous le patronyme de Josette Chouleur. Cette jolie fleur de province se rêvait actrice mais poursuivait sagement ses études de sténo dactylo. Elle se retrouva donc secrétaire. Elle se serait probablement dégoté un gentil mari qui lui aurait fait de jolis gamins si au hasard de ses rencontres professionnelles elle n’avait fait celle du producteur René Thévenet.
Ce brave homme devait probablement avoir des troupeaux d’aspirantes à la gloire qui dormaient sur le paillasson de son bureau. Mais enfin, cette petite Chouleur était bien mignonne. Et elle était, comme lui, lyonnaise. C’est lui qui lui conseillera de changer de nom, de se trouver un agent et surtout, d’apprendre son nouveau métier!
Forte de ces conseils avisés, la jeune fille risqua le tout pour le tout et débarqua un beau matin gare de Lyon avec sa valise et son sandwich au jambon, comme dans la chanson. Et comme lui avait conseillé Thévenet, elle changea de nom, suivit les cours chez Dullin et prit un agent. Ce sera alors pour elle la vie de starlette anonyme courant les auditions et faisant mille petits boulots pour survivre. De tentatives en déceptions, elle finit quand même par débuter chez Hunnebelle et se « bardotant » la silhouette comme l’exigent les diktats de son époque. Elle devient une starlette à la mode avec sa queue de cheval et ses moues enfantines à la Brigitte de tous les cœurs. Son petit look provoquant lui permettra de décrocher quelques rôles plus intéressants. Même si la concurrence est rude dans le cinéma français des années 50.
Outre l’incontournable Brigitte, il y a Mylène Demongeot, Etchika Choureau, Danik Patisson, Sophie Daumier, Michèle Mercier, Nadine Tallier, Claudine Dupuis et tout un tas de filles sensationnelles qui comme elle piaffent aux portes de la gloire.
C’est René Thévenet, décidément sa bonne étoile qui pense à elle lorsqu’il produit « Mademoiselle Strip-Tease » en 1957. Voilà Agnès Laurent lancée. Mais lancée dans des films de série B. Des films bien franchouillards où l’on risque plus de croiser Dora Doll ou Tilda Thamar que Sophia Loren ou Audrey Hepburn.
En janvier 1959, Agnès débute sur scène dans la pièce « Auguste ». Une joyeuse satire sur les milieux du cinéma où elle épousait chaque soir son partenaire Fernand Raynaud. Celui-ci questionné sur le plaisir qu’il prenait à épouser la si jolie Agnès tous les soirs fit cette réponse lapidaire: « Elle n’a eu qu’à débarquer gare de Lyon pour devenir une vedette. Moi quand je suis arrivé du massif central, je me suis débattu des années dans une misère noire ».
J’ignore la tête que fil Agnès en lisant cette réponse de celui qu’elle prenait pour un ami.
Quant aux films où elle est effectivement devenue une « jeune vedette », c’est le cinéma sur lequel les godelureaux de la « nouvelle vague » vont tirer à boulets rouges. Le cinéma français va s’enticher de ces cinéastes à la tête brûlée qui ne font tourner que leurs petites amies, leurs bons copains et des demoiselles de magasins. Seule Brigitte Bardot et Jeanne Moreau échappent à la curée mais Jean Gabin, Françoise Arnoul, Fernandel, Dany Carrel, Bourvil, Martine Carol, Jean Marais, Edwige Feuillère ou Viviane Romance apparaissent soudain comme d’immondes épouvantails réactionnaires aussi usés que les fonds de culotte de Mathusalem! « Ces gens se prostituaient en faisant des films pour le public. C’est honteux. On fait des films pour soi-même, pas pour les montrer et encore moins pour qu’ils plaisent ».
Agnès avait donc porté au triomphe la pièce « Auguste » avec le délicat Fernand Raynaud. Lorsque Pierre Chevalier décide de porter la pièce à l’écran avec Fernand Raynaud, il dégage Agnès du projet parce que Valérie Lagrange, nettement plus « nouvelle vague » a fait savoir qu’elle reprenait sa carrière après son mariage et sa maternité. Le coup est rude pour Agnès, d’autant que Valérie Lagrange fera la fine bouche » J’accepte parce que je suis fauchée et qu’il faut rentrer des sous mais je n’ai pas du tout envie de jouer ça! »
Alors dans une telle conjecture que dire des Danielle Godet, Claudine Dupuis, Tilda Thamar, Louise Carletti, Dora Doll, Françoise Deldick, Sophie Hardy et consœurs qui faisaient du bon vieux cinoche du samedi soir? Que dire d’Agnès Laurent?
Rien.
Elles furent jetés, vidées, renvoyées, éradiquées comme si leur simple vue ruinait la qualité soudain hautement psychologique et essentiellement masturbatoire de ce cinéma. Ce cinéma qui fut non seulement souvent lamentable mais ennuyeux comme une grève des fossoyeurs un 11 Novembre de pluie et de brouillard à Vitry le François. Des films joués par des amateurs, des films où il ne se passait rien qu’un mortel ennui pendant que ces messieurs tentaient d’apprendre leur métier sur le compte du spectateur, ruinant au passage tous les producteurs tombés dans leur panneau. Car ces messieurs prônent volontiers l’amateurisme mais sont loin d’être des bénévoles pour autant.
Le spectateur, pas dupe, se dépêcha d’oublier le cinéma au profit de la télévision qui fut dans les années 60 bien moins médiocre que le cinéma des nouveaux génies. Les salles fermèrent, ce fut « la crise du cinéma ». étant donné que celà fait un demi siècle qu’elle dure, je dirais que ce fut le début de sa lente et irrémédiable agonie.
Plus tard ces messieurs allaient s’excuser! Mais si! parfaitement! On ferait tourner Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, Jeanne Moreau, Danielle Darrieux ou Michèle Morgan. Truffaut avouera même qu’il était un fan inconditionnel de Claudine Dupuis, de Tilda Thamar. De ces femmes qu’il avait mises à mort dans ses « cahiers du cinéma ». Lelouch de son côté déclare qu’il a fait du cinéma uniquement pour faire tourner Michèle Morgan, l’actrice de ses fantasmes qu’il avait ouvertement déchiquetée dans ses avis tranchés secondé par Truffaut. « Ces acteurs comme Gabin et Morgan sont des dangers pour le cinéma et des freins à la créativité. Ils imposent des acteurs dans des seconds rôles parce que ce sont leurs copains même si le réalisateur ne les veut pas. Michèle Morgan va jusqu’à imposer sa soeur dans la distribution de ses films. C’est inacceptable et mieux vaut se passer de Gabin ou de Morgan et rester maître de son film ». Le plus lamentable étant que Michèle Morgan n’a jamais imposé sa soeur dans ses films. Hélène Roussel ne partage qu’un seul générique avec sa soeur , celui de « Retour de manivelle » en 1957 et les deux soeurs n’ont aucune scène en commun.
Agnès Laurent, en attendant, vit sa prometteuse carrière brisée net Elle tenta bien l’exil allemand, italien, espagnol, elle essaya de batailler mais après une dernière apparition dans « Les Amours Célèbres » de Michel Boisrond en 1961, elle renonce à ses rêves. Dès 1962 on ne parle plus d’elle que dans les colonnes de potins mondains.
Ainsi elle aurait rompu lors d’une vaine tentative américaine avec le richissime Arthur Loewy jr de la plus spectaculaire des façons puis se serait consolée dans les bras et l’admiration de Tommy Gallagher. En réalité, l’aventure américaine était une histoire fort banale, à la limite de la tradition. Seule Agnès à l’époque osera se rebiffer. Il faudra attendre le XXIème siècle pour qu’une autre courageuse monte au font.
Des producteurs américains contactent l’agent d’Agnès et lui proposent contrat rutilant et projets très alléchants. Agnès s’envole pour Hollywood et se retrouve à table avec ces « messieurs de la production » qui attendent bien autre chose des petites starlettes importées de Paris qu’un quelconque talent. Hormis celui d’écarter les cuisses au premier claquement de doigts. Le repas dans un des restaurants les plus sélects d’Hollywood tourne aux passes d’armes. Agnès a plus de mal avec les mains baladeuses sous la table et les plaisanteries salaces qu’avec la bonne tenue de ses couverts à poisson. Excédée, elle se lève. Le malotru le plus proche se prend une magistrale gifle qui stupéfiera même l’orchestre et l’autre mufle plus éloigné prend son verre de champagne à la figure.
Pouvait-elle imaginer que défendre sa vertu à Hollywood est un crime que Jean Harlow, Joan Crawford ou Marilyn Monroe n’ont pas osé commettre? Elle n’eut plus de nouvelles de ses mufles de service et il ne fut plus question de films et de contrats encore moins.
La presse se ligua contre elle et parce qu’elle avait répondu un peu sottement « Si je suis à Hollywood c’est pour rencontrer Marlon Brando » on se servit de cette malheureuse boutade pour en faire « la petite allumeuse qui n’en a rien à fiche du cinéma ». Christian Marquant alors en séjour à Hollywood l’invita à diner chez Marlon Brando ce qui lui fit quand même un souvenir de voyage.
Ce fut le retour, ce fut l’oubli. Elle ne tourna jamais en Amérique. On la sut victime d’un grave accident de voiture puis l’oubli se fit complet sur son nom son sourire et son souvenir. Jusqu’à ce fatidique 16 Février 2010 où elle s’éteignait à Genève dans sa 74eme année.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1956: Mannequins de Paris: Avec Madeleine Robinson
1956: Les Collégiennes: Avec Gaby Morlay, Henri Guisol et Paul Guers
1957: Mademoiselle Strip-Tease: Avec Dora Doll
1957: Marchand de Filles: Avec George Marchal, Danièla Rocca et Evelyne Dandry
1957: Amour de poche: Avec Jean Marais et France Roche
1958: Péché de Jeunesse: Avec Madeleine Robinson
1959: Un Mundo para mi: Avec Armand Mestral et Barbara Laage
1961: Les Amours Célèbres: Avec Dany Robin, Philippe Noiret et Jean-Paul Belmondo