Anicée Alvina aura fait souffler sur le cinéma français une brise éphémère de jeunesse troublante, délicate et sensuelle. Créature à la beauté exotique et diaphane, elle va en quelques films enflammer les cœurs et embraser les fantasmes. Le couturier Kenzo subjugué par sa beauté va même faire d’elle la vedette du seul film qu’il réalisera: « De Rêve en Rêve » pour le plaisir de l’habiller de ses créations à l’écran.
Une carrière qui débute par un joli petit coup de chance: un rôle dans un film devenu culte dès sa sortie: « Elle Boit pas, Elle fume pas, Elle drague pas mais…Elle Cause! ». Avec les deux superstars féminines préférées des français: Mireille Darc et Annie Girardot. Même si elle n’a aucune scène avec elles puisqu’elle interprète une jeune fille interviewée à la télévision. Mais débuter une carrière avec un film qui triomphe au box office, c’est toujours mieux que de la débuter en tournant nue et de dos dans un court métrage de fin d’études d’un étudiant en cinéma!
Et puis, débuter dans un film d’Audiard pour une comédienne telle qu’Anicée Alvina force la petite analyse. Le film d’Audiard sort en 1970, c’est la grande explosion de l’érotisme au cinéma. Entendez par là d’un florilège de films dont le seul but est d’exhiber un maximum de jeunes donzelles aussi nues que possibles à la curiosité d’un public qui se lassera d’ailleurs très vite. La quintessence du cinéma érotico-libéré aura lieu trois ans plus tard, en 1973. Emmanuelle restera le triomphe du genre. On ne trouve alors plus guère dans le cinéma français que des acteurs comme Lino Ventura ou Jean Gabin pour garder leur quant à soi et accessoirement leur pantalon! Ces dames n’en parlons pas, elle n’ont plus guère le choix qu’entre la nudité et le chômage! Alors Anicée dans une scéne tout à fait habillée dans un des tout gros films de l’année et dans quelques dramatiques télévisées où elle est toujours tout aussi habillée…Voilà qui dut en 1973 poser question.
Avoir débuté dans une comédie d’Audiard pour Anicée Alvina fait d’elle, bien involontairement une actrice qui n’est pas obligatoirement nue dans ses films du début à la fin. Le cinéma est un cinéma de clivages. La nudité à l’écran, suivant qu’elle soit consentie ou non est le clivage des années 70. Il y a celles qui tournent nues et…les autres. Ainsi lorsque par accident un rôle féminin prévoit que l’actrice restera habillée, on en appelle certaines et uniquement celles-là. Celles qui refusent ou tout au moins rechignent. A contrario quand le rôle prévoit que la nudité sera la caractéristique du personnage, on appelle…Les autres!
Grâce au film d’Audiard, la belle Anicée qui sois dit en passant n’a aucun problème avec la nudité peut tourner dans « Glissements progressifs du plaisir » et enchaîner avec une dramatique télévisée où on ne verra pas même la bretelle d’un soutien gorge. Mais il est vrai aussi que cet objet rétrograde n’existe plus en ces années débridées. Elle aura d’ailleurs l’occasion de se plaindre de cette habitudes d’étiquettes quelques années plus tard avant de tourner « Un second souffle » sous la direction de Gerard Blain. Le rôle est celui d’une fille simple qui se débat dans des problèmes quotidiens. Anicée devra convaincre. On la juge trop sophistiquée à cause des deux films qu’elle avait tournés avec Robbe-Grillet. « Est-ce que je suis fichée « actrice sophistiquée »? Est-ce qu’on engage les comédiens sur base des rôles qu’ils ont interprétés avant? C’est ignorer ce que c’est qu’un comédien! »
Anicée Alvina devient maintenant pour le cinéma français des années 70 une de ses « nouvelles actrices très belles et très libérées » tournant pour et avec les plus grands, souvent sans vêtements mais dans des films qui auront toujours un certain prestige. Anicée tourne nue, certes mais sous le regard de Philippe Noiret ou Nicole Courcel. Elle réussit d’ailleurs la gageure de se faire respecter pour son talent et non pour sa nudité, simple aléa du cinéma de son temps. Elle avait réussi une seconde prouesse: Celle d’obtenir dès son deuxième fimm le premier rôle féminin et accessoirement un succès public!
« Love Story », véritable contrepied du tsunami érotisant qui déferlait sur le cinéma avait pulvérisé tous les records d’affluence alors qu’Ali MacGraw n’y dévoilait que ses genoux et son cuir chevelu dans une ultime « scéne insoutenable aux coeurs fragiles » qui sera coupée pour la distribution européenne! Tourné avec un budget minimal, le film avait viré au phénomène de société et généré toute une flopée de pseudo copies dont « Deux enfants qui s’aiment » dont Anicée était la vedette féminine. Des amours « teenage » contrariées, une musique originale d’Elton John le film connaîtra le succès et ira jusqu’à une nomination aux Golden Globes! Le succès du film poussera le réalisateur à remettre le couvert en 1974 avec « Paul and Michelle », réunissant la même distribution dans un film jouant sur les mêmes arguments.
On était prêts ériger une chapelle à cette douce et prude jeune fille lorsqu’elle scandalise, que dis-je, elle outrage la bienséance avec « Le rempart des beguines » où elle s’était montrée très impudiques selon quelques critiques scandalisées « dans plusieurs scènes d’une audace incroyable »
Anicée va traverser les années 70 qu voient l’éclosion d’une nouvelle génération d’actrices dont Isabelle Adjani, Isabelle Huppert ou Miou-Miou nimbée du prestige des actrices très belles et très sollicitées pouvant dès lors se permettre des choix très éclectiques même s’ils ne sont pas toujours follement judicieux comme « Le Trouble Fesse » où elle partage la vedette avec Michel Galabru et Bernadette Lafont!
« Au début on est obligés d’accepter ce qui se présente, c’est un métier tellement précaire. Mais avec un peu de chance, certains choix deviennent possibles et c’est très bien. Je ne renie aucun de mes films ni aucun de mes rôles même si c’est celui d’une fille dans un bordel comme dans « One two two ». Et le choix c’est aussi de ne rien choisir, de ne pas travailler. J’ai refusé une kyrielle de propositions avant d’accepter « La barricade du point du jour ». Et tant pis si on sort de la lumière et des paillettes, tant pis si on se retrouve fauchés. Au moins ça remet les pendules à l’heure et les idées bien en place! »
Quant à la grande popularité, c’est la télévision qui va la lui apporter à la fin de la décennie avec une série dont elle est l’héroïne: « Les 400 Coups de Virginie ». Anicée y était un vrai Gaston Lagaffe en jupe et elle avait adoré l’expérience. L’actrice semblait donc amorcer un très intéressant virage dans sa carrière jusque là restée assez élitiste et nul ne peut s’imaginer que le personnage de Virginie Lecharme sera son premier vrai grand triomphe personnel et sera aussi le dernier.
C’est dans sa vie privée qu’Anicée a pris ce fameux virage. Non seulement elle s’intéresse de plus en plus à la musique et entame une carrière de chanteuse, mais elle s’est mariée. Elle s’est mariée et elle va devenir la maman de quatre beaux enfants. Après « Les 400 Coups de Virginie » et le film de Kenzo, elle tourne un dernier téléfilm dont elle est la vedette avec Jacques Spiesser: « Diane Lanster ». Nous sommes en 1983.
Anicée disparaît des écrans jusqu’en 1995 et n’accepte de revenir que par amitié pour Gérard Blain. Il l’avait déjà dirigée en 1978 dans « Un second souffle ». Il fait d’elle l’héroïne de « Jusqu’au Bout de la Nuit ». Il la rappellera encore en 2000 pour « Ainsi Soit-il ». Mais deux films en 17 ans ne font pas une carrière d’actrice.
Non seulement la vie d’Anicée Alvina est désormais ailleurs mais la maladie l’a frappée. Diagnostiquée souffrant d’un cancer, elle va se battre pour sa famille et aura même la force de tourner un dernier film en 2006.
Anicée Alvina ne triomphera pas de la maladie. Elle meurt entourée des siens le 10 Novembre 2006 dans une clinique parisienne.
Elle avait souhaité reposer dans le petit cimetière de la commune où elle s’était mariée et n’avait pas voulu de pierre tombale mais un petit carré d’herbes et de fleurs sauvage où le vent puisse jouer et les amis qui viendraient la voir faire quelques pas.
Anicée Alvina n’avait que 53 ans.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1970: Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause!
1971: Deux enfants qui s’aiment: Avec Sean Bury
1972: Le Rempart des Béguines: Avec Nicole Courcel
1973: Les Grands Sentiments font les Bons Gueuletons: Avec Jean Carmet et Michel Bouquet
1974: Glissements Progressifs du Plaisir: Avec Olga Georges Picot
1974: Une Femme Fatale: Avec Jacques Weber
1974: Paul and Michelle: Avec Sean Bury
1975: Le Jeu Avec le Feu: Avec Philippe Noiret et Jean-Louis Trintignant
1975: Isabelle devant le Désir: Avec Jean Rochefort
1976: Le Trouble Fesses: Avec Bernadette Lafont et Michel Galabru
1976: L’affiche rouge: Avec Pierre Clémenti
1977: Âmes perdues: Avec Catherine Deneuve et Vittorio Gassman
1978: La Barricade du Point du Jour: Avec Jean-Luc Bideau et Philippe Noiret
1978: One, Two, Two, 122 Rue de Provence: Avec Nicole Calfan et Francis Huster
1978: Un second Souffle: Avec Robert Stack
1981:Yume, yume no Ato (De Rêve en Rêve) Avec Anne Consigny
1995: Jusqu’au Bout de la Nuit: Avec Gérard Blain
2000: Ainsi Soit-il: Avec Gérard Blain
2006: Charell: Avec Jean-Michel Fête et Marie Kremer