Le destin d’Anna Maria Ferrero qui a tout d’un scénario pour un prestigieux film de Douglas Sirk commence curieusement dans la rue. Dans une rue où s’arrête à la hauteur d’une jeune fille de 15 ans, la voiture d’un supposé dragueur qui lui pose la question fatale entre toutes « Mademoiselle voulez-vous faire du cinéma? »
Nous sommes en Italie, en 1949. L’élection de Miss Rome deux ans plus tôt a propulsé dans la notoriété des demoiselles d’arrière boutique, boulangères ou mannequins à la pige qui ont pour nom Lucia Bose, Gina Lollobrigida, Gianna Maria Canale et surtout Silvana Mangano qui vient de prendre le plus flamboyant des départs avec « Riz Amer ». »Le bout d’essai » est devenu l’arme des dragueurs impénitents puisque le cinéma est le rêve fatal pour toute jeune alouette italienne.
Pourtant Anna Maria n’a pas les courbes tapageuses d’une Gina Lollobrigida ou d’une Silvana Pampanini. Elle a cet autre genre de beauté dont raffole le mâle italien. Celui de la douce biche traquée aux grands yeux apeurés. Type dont une autre Anna Maria, Pierangeli, sera l’archétype le plus célèbre. Dans la voiture ce n’est pas un dragueur. C’est Claudio Gora. Jeune réalisateur, époux de la fantastiquement belle Marina Berti et qui a enfin obtenu les budgets pour son premier film « Le Ciel est Rouge ». Il cherche son personnage, et le découvre réincarné en cette jeune étudiante qui rentre sagement chez elle après les cours. Lorsque je dis » son personnage » je devrais dire « Un de ses personnages ». Il s’agit de distribuer un second rôle dans l’ombre de la belle Marina pour qui ce mari acteur est devenu metteur en scène pour magnifier encore sa belle épouse avec sa caméra
Anna Maria veut courir le risque, sa famille accepte, à quinze ans elle débute au cinéma.
La jeune découverte est née à Rome le 18 Février 1934, précédent de quelques mois dans ce monde Sophia Loren et Brigitte Bardot. Si sa famille ne fit pas trop de difficultés pour qu’elle passe son bout d’essai, c’est qu’on avait déjà un artiste célèbre dans la famille. Le compositeur chef d’orchestre Willy Ferrero, né à Portland en 1906, devenu célèbre à trois ans, tel un prodige digne de Mozart soi-même et qui s’éteindra à Rome en 1954. Anna-Maria va adopter le patronyme de cet oncle célèbre en Italie et qui a tutoyé un pape ou deux. Ce sera suffisant pour que l’on sache qu’elle n’est pas une starlette à culbuter sur un divan pour obtenir une figuration dans une publicité de pâtée pour chiens.
Tout le monde se déclara ravi des jolis débuts de la demoiselle à l’écran. Le film connut un aimable succès. Gora la rappellerait encore et déjà on parlait de « découverte ». Mais Anna Maria n’était pas de ces sottes alouettes déjà citées croyant qu’une chance passagère est obligatoirement une promesse de destin abouti. Nièce de musicien, elle sait à quel point le travail est indispensable pour mener une carrière à bien. D’ailleurs le prestigieux oncle prodige n’avait pas tenu toutes les promesses que son jeune talent avait laissées espérer et s’il resta célèbre, sa musique ne fut jamais une mécanique céleste propre à titiller les oreilles des anges.
Anna-Maria allait donc travailler d’arrache pied et dans la foulée se piquer de théâtre et de Shakespeare. Le cinéma italien avait récupéré noblesse, prestige et finances grâce aux génies d’après guerre qui firent naître le néo réalisme. On tourna à la pelle de grands drames sentimentaux tarabiscotés plus dignes de romans photos noir et blanc que de pellicule couleur et d’alertes comédies où il n’y avait pas grand chose à sauver. Ce cinéma-là, pour être le cinéma de son temps n’était pas le cinéma qu’Anna-Maria aimait. Anna Maria tournait donc, et même beaucoup. Mais elle ne semble pas avoir été de celles qui bataillaient pour obtenir de grands rôles.
Elle connaîtra en 1952 une déconvenue française puisqu’elle devait tourner « Le Dortoir des Grandes » avec Jean Marais et enchaîner avec « Le Blé en Herbe » avec Edwige Feuillère. Elle ne tournera ni l’un ni l’autre. Remplacée par Françoise Arnoul d’abord et la délicate Nicole Berger ensuite. C’est sur les planches et dans l’oeuvre de Shakespeare qu’elle s’épanouissait. C’est donc là qu’elle rencontra l’amour sous les trais de l’acteur italien le plus prestigieux du moment. Le fantasque Vittorio Gassman alors fraîchement divorcé de la tempêtueuse star hollywoodienne Shelley Winters. Vittorio ne sera jamais un ange fidèle et si une réelle communion de coeur et d’esprit règne entre ces deux-là, Anna-Maria n’épousera pas Vittorio Gassman et ne lui donnera pas d’enfants. Ils sont partenaires dans la vie, sur scène et à l’écran ils ne le seront pas à l’église!
Cette situation est d’ailleurs assez farouche dans le contexte de son époque. Sophia Loren et Monica Vitti vont bientôt se lamenter de ne pouvoir épouser l’homme marié qu’elles aiment. Respectivement Carlo Ponti et Michelangelo Antonioni. Dans le même temps Gina Lollobrigida se désespèrera de ne pas pouvoir divorcer de Milko Skofic. On cancane beaucoup sur les mariages des Mastroianni, des Fellini des de Sica et nombre de stars sont aspirées par les affres que provoque l’interdiction du divorce en Italie dont Belinda Lee, Dawn Addams et consœurs. Dans toute cette tourmente administrative, sentimentale et médiatique, ces deux là qui sont libres de se marier et ne le font pas ont de quoi faire figure d’exception. Le temps passant, Vittorio Gassman et Anna-Maria Ferrero feront figure de « couple de cinéma » et pour toute illégitime qu’elle soit, leur longue liaison fait les délices d’un public qui aime les applaudir en scène et à l’écran.
Puis ce sera le règne d’Annette Stroyberg et de Juliette Mayniel dans la vie de Vittorio Gassman. Anna-Maria quant à elle tombe sous le charme du très beau Jean Sorel en qui elle reconnaît enfin le grand amour de sa vie. L’acteur français qui a vu toutes les portes s’ouvrir devant son physique parfait n’a pas démérité et est devenu un comédien respecté aussi demandé en France qu’en Italie. Il sera bientôt le mari de Catherine Deneuve dans « Belle de Jour ».
Dès le tournage de « L’Or de Rome » terminé, le couple convole. Anna Maria devient pour l’état civil madame Jean de Combaud de Roquebrune car Jean Sorel est d’ascendance noble et serait relié en droite ligne aux capétiens. Le couple s’offrira d’ailleurs un château à restaurer à 80 kms de Paris où ils ont un appartement ainsi qu’une villa proche de Rome. Jean Sorel semblait bien trop beau pour être l’homme d’une seule femme et Anna-Maria n’avait pas le fantastique prestige d’une Silvana Mangano ou d’une Sophia Loren. On ne crut pas en leur histoire. Lorsqu’Anna Maria annonça qu’elle arrêtait immédiatement sa carrière pour n’être plus que l’épouse de Jean Sorel, on la crut encore moins! Durant plus d’un demi siècle, ces deux là feront démentir les pronostics les plus sceptiques.
Nés la même année, Jean Sorel et Anna Maria Ferrero ont fête leurs 82 ans respectifs en 2017.
Le 21 mai 2018, Anna-Maria s’éteignait en toute discrétion à Paris. Jean Sorel restait veuf après un mariage de 56 ans
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1950: Il Cielo è rosso: Avec Marina Berti et Jacques Sernas
1951:Il Cristo proibito: Avec Raf Vallone, Alain Cuny et Elena Varsi
1952: Ragazze da Marito: Avec Titiana di Philippo Peppino di Philippo, Edouardo di Philippo
1952: Le due verità: Avec Michel Auclair, Michel Simon et valentine Tessier
1953:Viva la Rivista! Avec Walter Chiari et Rossana Podesta
1953: Capitan Fantasma: Avec Anna-Maria Sandri, Frank Latimore et Maxwell Reed
1953: Fanciulle di Lusso: Avec Marina Vlady, Rossana Podesta et Jacques Sernas
1953: Febbre di Vivere: Avec Marina Berti, Marcello Mastroianni et Massimo Serato
1953: Giuseppe Verdi: Avec Pierre Cressoy
1953: Siamo tutti Inquilini: Avec Aldo Fabrizi
1953: Villa Borghèse: Avec Vittorio de Sica
1954:Una parigina a Roma: Avec Barbara Laage et Alberto Sordi
1954: Guai ai Vinti: Avec Pierre Cressoy et Léa Padovani
1955: La Rivale: Avec Gérad Landry et Maria Mauban
1956: War and Peace: Avec Audrey Hepburn, Anita Ekberg, Vittorio Gassman Henri Fonda et Mel Ferrer
1956: Kean: Avec Eleonora Rossi Drago et Vittorio Gassman
1957: Los Amantes del Desierto: Avec Carmen Sevilla et Ricardo Montalban
1957: Suprema Confessione: Avec Massimo Serato et Sonja Ziemann
1959: La Notte Brava (Les garçons) Avec Laurent Terzieff, Jean-Claude Brialy, Franco Interlenghi, Elsa Martinelli et Antonella Lualdi
1959: Le Sorprese dell’Amore: Avec Sylvia Koscina et Walter Chiari
1960: L’Impiegato: Avec Eleonora Rossi Drago et Nino Manfredi
1960: Il Mattatore: Avec Vittorio Gassman et Dorian Gray
1960: Les Dauphins: Avec Claudia Cardinale, Betsy Blair et Gérard Blain
1961: L’Oro di Roma: Avec Paola Borboni, Gérard Blain et Jean Sorel
1961: Un giorno da Leoni: Avec Carla Gravina, Renato Salvatori et Thomas Milan
1962: Un dimanche d’été: Avec Jean-Pierre Aumont et Ugo Tognazzi