Rien qu’à l’idée de rédiger un article sur Anne Revere j’en tremble devant mon clavier! Elle est non seulement une actrice de toute première force mais elle est une des premières à avoir impressionné durablement ma jeune cervelle d’enfant et avoir fait naître en moi la passion du cinéma.
J’avais visionné avec ma grand’mère, je m’en souviens parfaitement, par un samedi d’été pluvieux « Le Chant de Bernadette ». Je devais avoir cinq ou six ans. Bien sûr, les apparitions dans la grotte, Linda Darnell en vierge Marie, les miracles, Vincent Price et les méchantes cornettes m’avaient impressionnée mais j’avais surtout été littéralement traumatisée par madame Soubirous mère, alias madame Anne Revere. Chaque geste, chaque regard, chaque attitude dévoilait une foule d’émotions et plus encore que cela. L’actrice donnait à voir toute une vie de labeur, de pauvreté et d’abnégation. Elle montrait cette paysanne pyrénéenne, confite en religiosité qui ne survivait que grâce à son principal péché: l’orgueil. Sa seule et très paradoxale richesse. Car la pauvre madame Soubirous n’est pas humble. Elle a l’orgueil d’un César. Anne Revere a su nourrir son personnage, pourtant secondaire, avec une telle force, une telle justesse sans empiéter sur l’histoire racontée qui n’est d’ailleurs pas la sienne, que j’étais, bien entendu, consciente de « voir jouer un film », mais par l’étrange sortilège de l’actrice, j’avais pris celui là pour argent comptant et vérité vraie!
Anne Revere avait été nommée aux Oscars pour avoir été cette femme et non l’avoir jouée. C’était bien le moins!
Il y aura bientôt un demi-siècle que j’ai vu ce film pour la première fois. Aujourd’hui je le possède en DVD et je le connais presque par cœur. Mais l’enchantement perdure. Revoir Anne Revere en madame Soubirous me rend à chaque fois un peu de mon enfance et pour cela, grâce vous soit rendue belle et grande dame. Et ce même si je suis étrangère à toute religion. Et pour l’anecdote, quelle ne fut pas ma stupéfaction de la retrouver en riche pimbêche de la Louisiane, épouvantée à l’idée d’avoir Marlène Dietrich comme belle sœur dans « Flame of New Orléans », un autre de mes films cultes!
Anne Revere a vu le jour le 25 Juin 1903 à New-York. Nous sommes chez de riches agents de change qui se partagent entre leur appartement new-yorkais et leur résidence secondaire du New Jersey. Conformément à un accord passé avec son père, la jeune Anne put suivre les cours d’art dramatique dont elle rêvait après avoir obtenu son diplôme du collège. Anne s’était montrée studieuse et appliquée, la famille avait les moyens, on lui offrit ce qu’il y avait de mieux. Elle sera l’élève de Maria Ouspenskaya et de Richard Boleslavsky. Et puis, Anne n’était pas jolie, alors autant qu’elle s’amuse!
Avec de tels maîtres, on n’avait à l’époque aucune difficulté pour trouver ses premiers engagements au théâtre. On venait vous chercher! Ce fut donc le cas ici, même si, on s’attend plutôt à rencontrer de jeunes et frêles jeunes premières qu’un outil de la stature d’Anne Revere dans ce genre de cours distingués! Anne débute donc sur les planches broadwayriennes en 1931, elle a 28 ans. Trois ans plus tard, elle en a 31 elle connaît son premier triomphe dans une pièce au succès phénoménal « Double Porte ». Elle est conviée à Hollywood pour y reprendre son rôle dans la version filmée. Tout le monde s’accorde à dire que ce sont là les débuts de sa magnifique carrière au cinéma.
Ce n’est pas tout à fait juste. Si « Double Door » est en effet son premier film, dès le tournage bouclé, elle fait de même avec ses valises et file dare-dare retrouver son New-York adoré. C’est la ville où elle est née, c’est la ville où elle a accompli ses rêves les plus fous, entre Anne Revere et la « Big Apple » c’est un amour qui durera jusqu’à la mort.
Mais pour ses « débuts » au cinéma, il faut attendre 1940, soit six ans après le tournage de « Double Door ».
Anne a 37 ans, c’est l’âge où de nombreuses carrières féminines sont déjà terminées. La sienne va commencer. Et de très glorieuse façon. Très vite elle donne la réplique aux plus grands noms de son temps, de Marlène Dietrich à Cary Grant en passant par Walter Pidgeon, Claudette Colbert, Rosalind Russell, Hedy Lamarr et même Boris Karloff! Anne Revere est un « must » et Hollywood ne la traite pas avec la condescendance qui est habituellement le lot réservé aux seconds rôles! Elle est une lady, en un mot comme en cent, elle est respectée et tenue en haute estime par ses pairs.
En 1946, c’est l’apothéose Hollywoodienne: Elle reçoit l’Oscar pour son second rôle dans « National Velvet ». Film qui marque le premier triomphe de sa fille de cinéma, la jeune Elizabeth Taylor qu’Anne retrouvera en 1951 pour être à nouveau sa mère dans « A Place in the Sun ». Ce soir là, Anne évinçait Eve Arden, Angela Lansbury, Ann Blyth et Joan Lorring. Ce n’était pas rien et c’était une douce revanche sur les Oscars 1944 où Katina Paxinou l’avait évincée pour son rôle de…Louise Soubirous.
En 1947, Anne sera à nouveau nommée aux Oscars pour cette fois avoir été la mère de Gregory Peck dans « Gentlemen’s Agreement ». C’est Céleste Holm qui l’évincera…Pour le même film!
Dès son arrivée à Hollywood en 1940, la carrière d’Anne Revere a littéralement démarré sur les chapeaux de roues. Dix ans plus tard, un Oscar et deux nominations à la clé elle était une incontournable à qui les studios proposaient parfois des rôles un peu courts comme dans « Ambre », mais jamais reconnaissons-le, dans des films nigauds ou de série B.
Elle est également devenue une femme mariée, épouse du réalisateur Samuel Rosen elle se partage maintenant entre les studios hollywoodiens et les théâtres new-yorkais dont elle ne peut se passer.
Mais en 1951 tout bascule. La terreur du communiste règne. Le sénateur McCarthy mène sa tristement célèbre « chasse aux sorcières ». On craint avec effroi que des communistes dans l’industrie du cinéma ne tiennent des propos subversifs et n’influent sur l’opinion publique en ourdissant une sorte de propagande anti américaine au détour d’un scénario, d’une mise en scène ou pourquoi pas d’une interprétation. Ce serait presque drôle de voir cette commission d’enquête soupçonner de communisme éhonté des actrices arrivées en Cadillac et couvertes de diamants et de visons. Saluons au passage la performance de Judy Holiday qui fut dans le cas et resta muette comme un tombeau, toisant ses juges comme autant de ridicules vieilles chouettes. Mais le maccarthysme fut trop grave pour être drôle. Cette commission avait pouvoir de vie et de mort professionnelle sur tout un chacun dans l’industrie du film et nombre de scénaristes travailleront dans l’ombre sous couvert de pseudonymes.
Anne Revere déjà outrée pour avoir été « convoquée » par les sbires du sénateur fit savoir plutôt vertement qu’en vertu du cinquième amendement, l’Amérique garantissait à ses citoyens la liberté d’opinion et que les siennes resteraient ses oignons exclusifs!
Elle tourna les talons et ne leur dit pas « merde » mais elle le pensa si fort que tout le monde l’entendit.
Cela suffit pour la mettre sur liste noire et faire d’elle une interdite de travail.
Dans son cas, peu importait. Elle ne resterait pas une minute de plus dans une ville qui se faisait le siège d’une nouvelle inquisition, d’une nouvelle gestapo. Elle rentra à New-York séance tenante et y fut bien entendu accueillie à scènes ouvertes! Elle créa également son propre cours d’art dramatique qui fut immédiatement un des plus prisés
Broadway avait vu ses principaux talents la fuir au profit d’Hollywood lorsque le cinéma s’était mis à parler, vingt ans plus tard ils revenaient parce que le cinéma s’était mis à juger!
Il faudra quand même dix ans pour revoir Anne à la télévision et dix de plus pour la retrouver au cinéma dans ses trois ultimes films.
Dès son retour sur la côte Est, elle s’était acheté une splendide propriété de la Locust Valley, la banlieue la plus élégante et la plus verte de New-York puisqu’y foisonnent les terrains de golf et de polo! Un comble pour une supposée communiste!
C’est dans sa chère propriété dont les pelouses avaient toujours l’air d’avoir été taillées brin par brin par un coiffeur qu’elle s’éteint à 87 ans d’une pneumonie. C’était le 18 Décembre 1990.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1934: Double Door: Avec Evelyn Venable et Mary Morris
1940: One Crowded Night: Avec Billie Seward
1940: The Howards of Virginia: Avec Martha Scott et Cary Grant
1941: Flame of New Orléans: Avec Marlène Dietrich et Roland Young
1941: Design for Scandal: Avec Rosalind Russell et Walter Pidgeon
1941: H.M. Pulham, Esq. Avec Hedy Lamarr, Robert Young et Ruth Hussey
1941: The Devil Commands: Avec Boris Karloff et Amanda Duff
1941: Remember the Day: Avec Claudette Colbert et John Wayne
1942: Are Husbands Necessary?: Avec Betty Field et Ray Milland
1942: Star Spangled Rhythm: Avec Betty Hutton, Bob Hope et Bing Crosby
1942: The Gay Sisters: Avec Barbara Stanwyck et George Brent
1943: The Song of Bernadette: Avec Jennifer Jones
1943: Old Acquaintance: Avec Bette Davis, Gig Young et Miriam Hopkins
1943: The Meanest Man in the World: Avec Priscilla Lane et Jack Benny
1944: The Keys of the Kingdom: Avec Gregory Peck
1944: National Velvet: Avec Elizabeth Taylor et Mickey Rooney
1945: Fallen Angel: Avec Alice Faye, Linda Darnell et Dana Andrews
1945: The Thin Man Goes Home: Avec Myrna Loy et William Powell
1946: Dragonwyck: Avec Gene Tierney et Vincent Price
1947: The Shocking Mrs Pilgrim: Avec Betty Grable et Dick Haymes
1947: Forever Amber: Avec Linda Darnell
1947: Secret Beyond the Door: Avec Joan Bennett et Michael Redgrave
1947: Gentlemen’s Agreement: Avec Dorothy McGuire, Gregory Peck et John Garfield
1948: Scudda Hoo, Scudda Hey: Avec June Haver et Natalie Wood
1949: You’re my Everything: Avec Anne Baxter et Dan Dailey
1951: A Place in the Sun: Avec Elizabeth Taylor et Montgomery Clift
1951: The Great Missouri Raid: Avec Ellen Drew et Wendell Corey
1970: Macho Callahan: Avec Jean Seberg et David Janssen
1970: Tell Me That You Love Me, Junie Moon: Avec Liza Minnelli et Ken Howard
1976: Birch Interval: Avec Eddie Albert et Rip Torn