Billie Burke est un véritable OVNI dans l’histoire du cinéma et fait partie intégrante de la culture populaire américaine, si tant est que celle-ci existe encore. Cette femme à la voix de crécelle éraillée et maniérée comme un élevage de perruches mit à ses pieds cinq générations de spectateurs émerveillés et conquit Broadway avant Hollywood. Elle sera incarnée de son vivant au cinéma par la star Myrna Loy et aujourd’hui un parc New-yorkais dont les chemins s’articulent autour de la statue élevée à sa gloire porte son nom.
Même pour nous, européens, son nom évoque vaguement quelque chose. Il suffit alors de dire qu’elle était la gentille fée du « Magicien d’Oz » et aussitôt les regards pétillent!
Miss Billie Burke naît Mary William Ethelbert Appleton le 7 Août 1884. Son père est un clown de cirque très célèbre et non un chanteur comme on l’a trop souvent écrit. Sa gloire lui vaut de partir en tournée à travers toute l’Amérique et l’Europe ensuite, sa fille et son épouse toujours dans ses bagages. Londres ayant fait un véritable triomphe à l’artiste, la famille choisit de s’y installer. La petite Billie est une petite fille épouvantablement timide et sa mère n’a de cesse que de la pousser dans la lumière de son père pour la guérir de cette tare bien étrange pour une fille de clown.
En 1903, elle a dix-neuf ans et fait enfin le « grand saut », elle paraît pour la première fois sur scène et…Le triomphe est instantané. Le public s’entiche immédiatement de cette créature diaphane aux joues rondes et à la voix étrange, aigrelette, haut perchée et comme essoufflée tout à la fois. Avec son jeu assez maniéré, le tout forme un ensemble absolument inédit et assure le triomphe.
Presque immédiatement le plus puissant des agents londoniens, sir Charles Hawtrey la prend dans son écurie. Le temps de quelques pièces triomphales, un autre agent s’intéresse à elle et l’invite à venir enchanter le public américain à Broadway. C’est Charles Frohman qui non seulement est l’agent de la glorieuse Ethel Barrymore mais produit également des pièces à succès où peuvent briller ses vedettes maison. Bille Burke franchit l’océan et part à la conquête de son pays natal, toujours épouvantablement terrorisée car si il y a quelqu’un au monde qui ne croit pas un seul instant au talent de Billie Burke, c’est…Billie Burke!
Elle va pourtant triompher immédiatement et mettre Broadway à ses pieds en jouant du Somerset Maugham, du Mark Twain et du Shakespeare! En 1914 elle est « repérée » par Florenz Ziegfeld jr. dont les revues aux « Folies » ont fait de la jeune femme américaine le fantasme absolu de toute la planète dès 1907. L’homme est un incroyable dénicheur de talents et un invétéré coureur de jupons doublé d’un rêveur fantasque et dépensier. Tout un programme. Jamais rien n’est trop beau ni trop coûteux pour habiller (et déshabiller) ses girls. Il fera débuter Martha Mansfield, Ruth Etting, Paulette Goddard, Lillian Lorraine, Barbara Stanwyck, Marion Davies, Billie Dove, Fanny Brice, Louise Brooks, Olive Thomas, Anna Held et tout un panthéon de beautés merveilleuses auxquelles il ne résistait que rarement.
Très vite le couple se marie, quelques jours après que Ziegfeld soit divorcé d’Anna Held et hélas quelques jours avant que ne se déclenche la grande guerre. En 1916, le couple Ziegfeld fête la naissance de leur petite Patricia qui restera leur fille unique. Malgré la guerre rien n’est trop beau ni trop cher pour le couple sans doute le plus fantasque de son temps. On se partage entre une vaste propriété New-Yorkaise et une autre en Floride. Le théâtre de Ziegfeld compte 1600 places, il fait salle comble tous les soirs et le ticket d’entrée vaut bien un mois de salaire d’ouvrier. C’est Lorenz, « Flo » pour les intimes qui incite Billie a faire ses débuts au cinéma dès 1916. Son grand sens de la publicité lui fait comprendre immédiatement l’intérêt pour une actrice de pouvoir véhiculer son image à travers le monde entier.
Billie Burke n’est que peu convaincue. Le cinéma se tait! Peut-elle faire illusion sans jouer de sa célèbre voix? Ses frayeurs la reprennent, durant toute sa carrière filmée elle s’inquiètera de savoir si elle a été « suffisante » dans ses scènes, ne briguant jamais les premiers rôles, craignant de ne pas faire illusion assez longtemps.
Si la vie de ce couple comblé dans sa vie professionnelle et privée peut sembler idyllique, il y a quand même des ombres au coûteux tableau. Florenz Ziegfeld fut follement amoureux d’une de ses actrices au talent pourtant médiocre mais à la beauté insensée: Lillian Lorraine. Elle avait quinze ans à peine lorsqu’il l’avait découverte et prise sous son aile, rêvant de faire d’elle la plus éblouissante star du monde. Cette passion lui avait coûté son mariage avec Anna Held. Ziegfeld avait installé sa tapageuse maîtresse dans l’appartement en dessous de l’appartement conjugal. Mufle mais royal, très Louis XIV.
Toute sa vie, et Billie le sait, il aimera passionnément Lillian Lorraine même si elle finira par sortir de son existence.
Ensuite encore, « Flo » ne peut résister aux charmes de ses girls et ses incartades sont aussi nombreuses qu’il y a de fille dans ses tableaux. Le mariage de Billie avec le génie du sex appeal fut qualifié d’absurde en son temps. Elle haussa les épaules laissant les médisants dire ce qu’ils voulaient et Ziegfeld coucher avec qui il voulait. La seule Ziegfeld girl ayant réussi à la rendre jalouse n’était autre que…Lillian Lorraine! Mais Billie Burke n’est pas comme la précédente madame Ziegfeld contrite en jalousie. Elle est sans arrêt sur scène, triomphe automatiquement et tourne quand même une moyenne de cinq à six films par an jusqu’en 1921 où décidément fatiguée des singeries mimées devant les caméras muettes, elle refuse d’encore tourner et se consacre uniquement à la scène et à sa famille.
En 1929 hélas tout son univers bascule. Le crash boursier emporte dans la tourmente généralisée tous les avoirs de Ziegfeld. La crise est totale, les théâtres ferment, celui de Ziegfeld, le plus coûteux en premier! Billie qui est maintenant une star immense depuis un quart de siècle va sans la moindre hésitation confier tout son avoir à Ziegfeld pour sauver la mise, en commençant par ses fabuleux bijoux. « C’est la moindre des choses, c’est lui qui me les avait donnés » argumenta-elle de son célèbre ton un rien pincé. Mais la fortune de Billie n’y suffit pas. La famille est complètement ratissée comme des millions d’autres Américains. Billie accepta alors de revenir au cinéma. Certes, maintenant celui-ci parlait, ce qui n’était pas pour lui déplaire, mais les films se faisaient à Hollywood, autant dire à l’autre bout du monde.
Billie partit donc, seule, pour l’Ouest, invitée à la RKO par George Cukor en personne pour y devenir la mère d’une débutante qui serait bientôt aussi célèbre qu’elle: Katharine Hepburn. »A Bill of Divorcement » va être contre toute attente le premier jalon d’une carrière immense pour l’actrice qui approche pourtant à grands pas de la cinquantaine. La MGM va se ruer sur elle avec un contrat mirifique et Billie Burke ne va plus quitter les plateaux où elles côtoiera désormais les plus grands et…uniquement les plus grands!
Ziegfeld hélas meurt à New-York durant le tournage du premier film de Billie. Elle n’interrompt le film que le temps de se rendre aux obsèques de son mari adoré puis revient travailler avec Hepburn et Barrymore avec une dignité qui forcera le respect.
Elle restera la veuve de Ziegfeld jusqu’à sa propre fin. Elle ne récupéra pas un seul dollar de l’argent prêté à son défunt mari. Ziegfeld avait emprunté sans compter à Randolph Hearst qui fera valoir ses droits et fera main basse sur le théâtre de Ziegfeld. La tête haute, et d’une inaltérable dignité, Billie Burke va alors jouer les mondaines fofolles, toujours étonnée de voir la manière dont Hollywood envisageait la haute société. Comme une sorte d’asile! « Ces marchands de pellicule ne sont pas reçus dans la haute société, ils doivent se contenter de l’imaginer. Avec rancœur j’imagine! » C’est elle qui lance les invitations à dîner dans « Dinner at Eight », en 1938 Hollywood la consacre avec une nomination aux Oscar pour son second rôle dans »Merril We Live » face à Constance Bennett, mais c’est Fay Bainter qui l’évince pour son rôle dans « Jezebel ».
L’année suivante elle tourne le rôle emblématique de sa carrière: celui de la fée dans « Le Magicien d’Oz ».
Il y aura encore d’autres triomphes jusqu’au milieu des années 50 où l’actrice portant fièrement son élégante soixantaine s’attaque à la télévision!
Elle a 72 ans lorsqu’elle apparaît pour la dernière fois au cinéma, dans un western, genre nouveau pour elle, mais c’est John Ford qui le lui demandait, celà se refuse-il?
Elle se retire ensuite, pouvant largement être fière de son patrimoine qui fait partie de la grande histoire non seulement d’Hollywood mais de l’Amérique entière. Sa fille l’a faite quatre fois grand’mère et c’est entourée des siens qu’elle décède le 14 Mai 1970. Elle était restée à Hollywood mais voulut être inhumée dans le quartier de New-York où elle avait vécu si heureuse au temps de Ziegfeld.
Une statue commémorative orne aujourd’hui sa tombe.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1916: Peggy: Avec William Desmond
1918: In Pursuit of Polly: Avec Thomas Meighan
1919: Good, Gracious, Annabelle: Avec Herbert Rawlinson
1921: The Education of Elizabeth: Avec Lumsden Hare
1932: A Bill of Divorcement: Avec Katharine Hepburn et John Barrymore
1933: Dinner at Eight: Avec Jean Harlow, Lionel Barrymore, Wallace Beery et Marie Dressler
1934: Forsaking All Others: Avec Joan Crawford, Clark Gable et Robert Montgomery
1934: Finishing School: Avec Frances Dee et Ginger Rogers
1935: Becky Sharp: Avec Myriam Hopkins et Frances Dee
1935: Splendor: Avec Miriam Hopkins et Joel McCrea
1936: My American Wife: Avec Ann Sothern et Francis Lederer
1936: Craig’s Wife: Avec Rosalind Russell et John Boles
1937: Topper: Avec Constance Bennett et Cary Grant
1938: Merrily We Live: Avec Constance Bennett et Brian Aherne.
1938: The Young in Heart: Avec Janet Gaynor, Roland Young et Douglas Fairbanks jr.
1939: Le Magicien d’Oz: Avec Judy Garland
1939: Eternally Yours: Avec Loretta Young et David Niven
1940: The Ghost Comes Home: Avec Frank Morgan et Ann Rutherford
1940: Irène: Avec Anna Neagle et Ray Milland
1940: The Capitain is a Lady: Avec Beulah Bondi, Virginia Grey et Charles Coburn
1940: Hullabaloo: Avec Virginia Grey, Frank Morgan et Dan Dailey
1941: One Night in Lisbon: Avec Madeleine Carroll et Fred MacMurray
1942: The Man Who Came to Dinner: Avec Bette Davis et Ann Sheridan
1942: Girl Trouble: Avec Joan Bennett et Don Ameche
1943: You’re a Lucky Fellow, Mr. Smith: Avec Evelyn Ankers et Alan Jones
1943: Hi Diddle Diddle: Avec Martha Scott, Pola Negri et Adolphe Menjou
1946: The Bachelor’s Daughters: Avec Gail Patrick, Ann Dvorak et Claire Trevor
1949: The Barkleys of Broadway: Avec Fred Astaire et Ginger Rogers
1949: And Baby Makes Three: Avec Barbara Hale et Robert Young
1950: Father of the Bride: Avec Spencer Tracy, Elizabeth Taylor et Joan Bennett
1951: Father’s Little Divident: Avec Elizabeth Taylor, Spencer Tracy et Joan Bennett
1951: Three Husbands: Avec Eve Arden et Ruth Warrick
1953: Small Town Girl: Avec Ann Miller, Jane Powell et Farley Granger
1960: Seargent Rutledge: Avec Constance Towers et Jeffrey Hunter