On a vu bien souvent dans ces pages le récit de carrières où le succès s’estompe avec le temps et l’oubli se fait bien avant la fin. En cela celle de Brigitte Mira est l’exact contraire des autres. Lorsqu’elle s’éteignit au début de sa 95ème année, elle n’avait jamais été aussi célèbre. C’est une icône qui ferma définitivement les yeux le 8 Mars 2005.
Brigitte Mira était donc née 95 ans plus tôt, le 20 Avril 1910 à Hambourg dans une famille d’artistes musiciens. Si sa mère est allemande, son père, pianiste, est un juif russe. La petite Brigitte subira une stricte éducation et sera elle aussi formée à la carrière musicale, enchaînant les cours de danse et de chant à ceux déjà intensifs de piano. Quelle ne fut dès lors pas la surprise scandalisée de ses parents lorsqu’elle décréta d’un ton sans appel qu’elle serait comédienne et n’en avait rien à fiche de la musique. Ou si peu. A seize ans elle était sur scène, jeune première de ces opérettes meringuées dont les Allemands sont si friands.
Une carrière qui ira son petit bonhomme de chemin jusqu’à ce que l’Allemagne emportée par la fureur d’un seul homme s’en prenne au monde entier. La guerre surprend Brigitte Mira au sommet des affiches et un certain Goebbels s’avoue être un de ses fervents admirateurs.
Depuis 1933, les Juifs sont persécutés en Allemagne. Juive, Brigitte l’est, elle aussi. C’est une des raisons pour lesquelles, en plus d’une réelle passion pour son métier, elle s’est acharnée à devenir une star plus que populaire. Une star célèbre. Ce en quoi elle a échoué. Brigitte Mira se disait que plus elle serait célèbre, plus elle serait intouchable et plus elle aurait des appuis puissants si un jour on s’en prenait à elle ou sa famille. Cette hantise la tenaille depuis près de dix ans lorsque Goebbels la fait convoquer aux studios de la UFA. Brigitte s’y rend, crâne et tétanisée.
On lui propose un rôle, qu’elle accepte, dans des courts métrages de propagande. Chose qui lui sera vivement reprochée plus tard. Reprochée par des ignares, convenons-en. Lorsqu’il s’agit de juger les autres sans connaître ni les tenants ni les aboutissants de leurs actes, il y a toujours du monde. Vivre en Allemagne, à Berlin, durant le règne d’Hitler pour une jeune fille juive est déjà une gageure sur laquelle personne ne parierait un bouton de culotte. Il n’est pas question en ces moments plus que troublés pour l’univers entier et pour Brigitte en particulier de se conduire en fonction de son honneur ou de ses convictions mais simplement de survivre un jour de plus. Et j’imagine bien tous ses détracteurs offusqués (Après la chute du Reich, soyons prudents!) répondre s’ils avaient été à sa place « Monsieur Goebbels, je ne ne ferai pas vos films parce que je suis juif et que je vous emmerde, aussi j’exige d’être déporté à Auschwitz sur le champ!«
Cet aparté sur les imbéciles bruyants et irréfléchis étant clos, nous pouvons admirer à sa juste valeur le comportement de Brigitte Mira qui fut non seulement grandiose mais bien plus risqué que ce qu’il paraît.
Elle accepta le rôle d’une « mauvaise Allemande », celle qui écoute les radios interdites et trafique les tickets d’alimentation. Elle devait être l’exemple à ne pas suivre. Mais cette très avisée demoiselle rendit son personnage tellement sympathique qu’il devint populaire et que le message propagandiste tomba complètement à plat. Goebbels interrompit cette série qui lui tenait pourtant à coeur mais qui avait le résultat contraire à celui souhaité! Plus fort encore, il ne se douta jamais qu’il devait son échec à Brigitte Mira.
La guerre terminée, Brigitte Mira continua sa carrière dans un Berlin en ruines, une Allemagne exsangue, dépeuplée et ruinée. Elle fera ses vrais débuts au cinéma en 1948 et y mènera, comme au théâtre, une carrière respectable. Mais il faudra encore attendre dix ans de plus pour qu’elle soit vraiment une actrice très populaire au cinéma. Paradoxalement, c’est une popularité qu’elle doit à la télévision où elle est très présente et très appréciée du public.
Elle a 62 ans et sa beauté fatale n’est plus qu’un très lointain souvenir lorsqu’un jeune metteur en scène s’adresse à elle pour un rôle sulfureux dans un film risqué. N’en étant pas à une audace près et en en ayant vu d’autres dans sa vie, elle accepte l’offre de Fassbinder et tourne « Tous les Autres s’Appellent Ali ». Le film, dur et sublime, sans aucune complaisance montre crument les amours d’une ménagère vieillissante avec un immigré qui a l’âge d’être son fils. Le scandale sera plus grand que le succès public. Tout le monde n’a d’ailleurs pas forcément reconnu l’adaptation du chef d’oeuvre de Douglas Sirk « Tout ce que le Ciel Permet ». Mais Brigitte Mira obtient l’Oscar Allemand de la meilleure actrice de l’année. Fassbinder fait d’elle son actrice fétiche. Werner Herzog la lui emprunte le temps d’obtenir le grand prix spécial du jury à Cannes en 1975 avec « L’Enigme de Kaspar Hauser » où Brigitte Mira, 65 ans, tient le premier rôle féminin.
Elle devient l’égérie du nouveau cinéma Allemand. Elle est pour son pays un symbole du nouveau cinéma à l’instar d’une Jeanne Moreau en France, d’une Sophia Loren en Italie. Elle tournera de manière intensive pour le cinéma jusqu’en 1985 puis se consacrera à la télévision d’une manière tout aussi intense jusqu’en 2004. Elle avait fait un dernier tour de piste au cinéma en 2002, alléchée par un premier rôle fort que lui proposait Shahbaz Noshir dans « Angst Isst Seele Auf » que l’on pourrait traduire par « la Peur détruit l’Ame » et qui est le titre original Allemand de « Tous les Autres s’appellent Ali ». Jolie façon de boucler la boucle.
Veuve en 1983 de son cinquième mari, Brigitte Mira continua donc sa vie publique de déesse du cinéma honorée de ses pairs jusqu’à ce qu’elle ne s’éteigne de sa belle mort ce 8 Mars 2005, un jour sombre de plus dans l’histoire de son pays.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1958: Wehe, Wenn Sie Losgelassen: Avec Bibi Johns et Peter Alexander
1959: Schlag auf Schlag: Avec Ingrid Andrée et Peter Alexander
1960: Im Namen Einer Mutter: Avec Ulla Jacobsson et Claus Holm
1962: So Toll Wie Anno Dazumal: Avec Karin Ball, Renate Ewert et Peter Kraus
1968: Der Partyphotograph: Avec Rolf Zacher, Barbara Valentin et Barbara Zimmermann
1973: Tous les Autres s’Appellent Ali: Avec El Hedi Ben Salem et Barbara Valentin
1973: La Tendresse des Loups: Avec Ingrid Caven et Kurt Raab.
1975: L’Enigme de Kaspar Hauser: Avec Bruno S. et Walter Ladengast
1975: Maman Küsters Monte au Ciel: Avec Ingrid Caven
1976: Anita Drogenmöeller und die Ruhe an der Ruhr: Avec Monique Van de Ven
1976: Chinesisches Roulette: Avec Anna Karina et Ulli Lommel
1976: Jeder Stirbt für Sich Allein: Avec Hildegarde Kneff
1978: Die Frau Gegenhüber: Avec Franciszek Pieczka
1980: Fabian: Avec Hans Peter Hallwachs
1981: Après Minuit: Avec Désirée Nosbusch et Wolfgang Jörg
1982: Kamikaze 1989: Avec Werner Rainer Fassbinder
1985: Schwarzer Lohn und Weibe Weste: Avec Karl Walter Diess
2002: Angst Isst Seele Auf: Avec Pierre Sanoussi Bliss