Revenons au règne éphémère mais non moins tapageur des grandes divas mussoliniennes. Emportées par la fureur de leur temps elles surfèrent bien un peu sur la vague qui balaya l’Italie alors sous le règne et l’emprise du « Duce », accrochées au fil de leur téléphone blanc. Et si on peut renâcler aujourd’hui sur leur héroïsme face au dictateur mégalomane, on ne peut guère s’en prendre à leur travail d’actrice qui reste mémorable. Même si les films où elles brillèrent de mille feux sont devenus très difficiles à voir aujourd’hui. Et puis après tout, est-ce bien aux actrices de monter au créneau pour désiler les yeux de la population sur la mégalomanie furieuse d’un dictateur alors adoré de tous, et donc pourquoi pas d’elles ? Un dictateur qui soit dit en passant donna au cinéma italien ses heures les plus luxueuses et fit ériger Cinecitta. On aime bien, après la défaite des puissants pointer du doigt les artistes qui continuèrent à exercer leur métier sous le joug des dictatures. Mais comme disait Arletty à propos des Allemands: «Ils ne payaient pas nos loyers, que je sache! » Guitry soulignant au passage que celles qui n’avaient pas joué durant les sombres années d’occupation étaient souvent celles dont on n’avait pas voulu, affichant ensuite dans un Paris libéré leur manque de talent ou de succès comme autant de bravoures face à l’ennemi. Alors oui, Clara Clamai comme toutes les stars de son temps fut confrontée au dilemme du plateau de cinéma ou des geôles de l’état. Pour elle comme pour tant d’autres, la réponse était si évidente qu’elle ne se posèrent probablement pas la question. L’Italie vénérait Mussolini, Clara était Italienne. Le pays courait à se perte, elle lui emboîtait le pas. Elle faisait son métier, tout simplement. Celui d’être une star et le fou de Rome lui permit de le faire dans des conditions jamais imaginées encore. D’ailleurs, si Clara Calamai reste célèbre aujourd’hui, ce n’est pas tant pour ses opinions politiques et son avis sur le délabrement mental de plus en plus évident de Benito Mussolini mais bien pour sa guerre personnelle et sans merci livrée à sa plus grande rivale Doris Duranti !
Clara Calamai naît à Parato en Toscane, une date qui reste sujette à caution, allant de 1909 à 1915, mais toujours un 7 Septembre ! On sait peu de choses de ses jeunes années. La jeune fille débuta au cinéma en 1938, un second rôle encore, dans une gaudriole miliaire : « Pietro Micca’. Elle dut probablement y faire forte impression puisque les films se mirent aussitôt à s’enchaîner à vive allure, ce qui allait permettre à la débutante de donner la réplique à Vittorio de Sica ou à un autre nouveau venu nommé Rossano Brazzi. Lorsque la guerre éclata, moins d’un an après ses débuts Clara Calamai était déjà une vedette. Mussolini misant entre autres sur son cinéma pour glorifier l’Italie aux yeux du monde. On allait faire d ‘elle et de quelques autres, des star fabuleuses destinées entre autres choses à faire oublier par leurs incontestables qualités des stars telles que Hedy Lamarr, Rita Hayworth, Betty Grable ou Ann Sheridan désormais interdites. Cinecitta dont les peintures n’étaient pas encore tout à fait sèches devint la nouvelle Hollywood pour européens et tout le monde se prit au jeu ! Les stars se couvrirent de kilos de bijoux, de kilomètres de fourrures, érigèrent leurs châteaux, creusèrent leurs piscines et devinrent aussi tapageuses à la ville qu’à l’écran. Clara Clamai et son irréductible rivale Doris Duranti, « LA » Duranti, d’ailleurs plus jeune qu’elle, furent sans doute les plus voyantes de toutes, estimant se devoir à un public qu’elles éclaboussaient de rêve et de luxe alors que la misère déjà frappait les familles emportées dans la tourmente du temps. Ces passionnants jeux du cirque braqueront constamment les projecteurs mussoliniens sur les deux irréductibles rivales. On ne vit qu’elles à un point tel qu’elles serviront bien involontairement de paravent à d’autres stars de l’époque qui passèrent à autre chose mine de rien lorsque le vent tourna comme Alida Valli, Valentina Cortèse, Anna Magnani, Amedeo Nazzari, Luchino Visconti ou Vittorio de Sica.
La rivalité entre ces deux-là fut sans bornes. Ce tapage grandiose ferait passer la guerre entre Joan Crawford et Bette Davis pour querelles d’écolières. Le public en frissonnait d’aise et le point d’orgue vint lorsque Clara se fit arracher sa chemise de nuit déjà complètement transparente pour apparaître seins nus dans un de ses films ! Le scandale comme l’émoi furent à leur comble ! « Les seins de la Calamai un acte de bravoure politique » peut-on lire dans la presse ! Les cinémas projetant le film ne désemplissaient pas et nombre de mâles téléspectateurs entraient à chaque séance uniquement pour la scène des seins nus sans s’appuyer encore une fois le mélo d’époque servant d’excuse à cette exhibition débridée! Le sang de la Duranti ne fit qu’un tour et elle exigea que l’on intègre immédiatement une scène « seins nus » dans le film qu’elle tournait, déclarant d’un haussement d’épaules couvertes de zibeline : « Montrer ses seins ? Et alors ? la belle affaire ! Moi j’en montrerais bien plus si cela servait à la bonne compréhension de l’intrigue d’un film de qualité ! » Il faut reconnaître pour être tout à fait sincère que non seulement Doris Duranti était plus jeune que Norma Calamai puisque née en 1917, mais qu’elle s’était taillée une solide réputation d’actrice de composition, ne rechignant pas à « chercher l’effet » et jouant même le rôle d’une femme noire en 1937, et ce alors qu’elle était blonde. Clara était plus mesurée dans ses exploits filmés si on excepte cette intéressante diversion et se contentait de briguer les lauriers d’une pétillante Danielle Darrieux ou d’une Merle Oberon. Elle roulait des yeux naïvement écarquillés comme une Carole Lombard dans un Lubitsch et ce même si elle agonisait dans le plus sordide mélodrame. Nul doute d’ailleurs que si l’actrice avait été plus régulièrement distribuée dans des comédies farfelues elle aurait littéralement dessoudé sa rivale !
A peine rhabillée, Clara tourna sous la direction de Luchino Visconti qui lui vouera un véritable culte. Il fera d’elle son héroïne en savates et cheveux gras d’ »Ossessione », sa version très rurale du « Facteur sonne toujours feux fois ». Et même si Visconti s’attache plus à filmer les muscles de son partenaire Massimo Girotti qui a l’air tout droit sorti de chez Jean-Paul Gauthier, l’interprétation de Clara marquera au fer rouge les imaginations juvéniles de Gina Lollobrigida et Sophia Loren qui sauront s’en souvenir en temps voulu. Il convient d’ailleurs que je torde ici le cou à une légende tenace. Ce film est considéré par les « historiens du cinéma » comme le premier film néoréaliste. C’est tout à fait faux. Le cinéma néo réaliste, s’attache à montrer au plus près la vraie vie de vraies personnes confrontées au temps. Les films sont tournés avec des riens, en décors naturels, souvent avec des inconnus comme pour le sublime « Voleur de bicyclette ». Or le film de Visconti ne s’attache en rien à décrire une réalité puisqu’il est l’adaptation d’un roman noir américain et que ses deux acteurs principaux sont des stars immenses! Ce film est au néoréalisme ce que le caviar est à la grève de la faim. C’est aussi ridicule que d’imaginer qu’un film de Georges Cukor adapté d’Edgar Allan Poe, tourné en studio avec Marilyn Monroe et Tony Curtis serait un film « nouvelle vague ». Avant de pontifier sur le cinéma, allez voir les films ou apprenez à conduire un tracteur.
Lorsque Mussolini sera mis hors d’usage par une foule vengeresse, Clara ne sera pas déboulonnée de son piédestal. Elle accueillera la liberté nouvelle en recevant le ruban d’argent de la meilleure actrice au bras de son mari tout neuf le comte Leonardo Bonzi épousé le 19 mai 1945. Et ce pour un film tourné sous la direction de Roberto Rossellini qui avait privé son épouse Anna Magnani du rôle pour le lui confier. Doris Duranti connaissait quant à elle les froides geôles et l’exil. Ce mariage durera dix ans et produira deux filles avant que d’être dissous en 1959. Clara Calamai vivra ensuite une longue liaison avec un as de l’aviation : Valerio Andreoli. La guerre terminée, les divas mussoliniennes moururent avec l’armistice. L’Italie inventa le néo réalisme où il n’y avait pas plus de téléphones blancs que de soucoupes volantes. Clara n’avait rien à y faire même si elle connaissait tout le monde ! Elle tournera pourtant encore jusqu’à la fin de la décennie ensuite se fera plus rare. Le temps passait, flétrir ne l’amusait pas. Elle reviendra se montrer vieille pourtant. D’abord par amitié pour Luchino Visconti qui la dirige entre Annie Girardot et Silvana Mangano dans « Les Sorcières » en 1967 Puis, en 1975 elle cède à l’appel de Dario Argento et effraie les populations dans « Profondo Rosso » son baroud d’honneur. Elle s’éteint en toute discrétion ce qui, de sa part, en surprit quand-même plus d’un le 21 Septembre 1998, 14 jours après avoir fêté son anniversaire, mais lequel ?
Celine Colassin
QUE VOIR?
1938: Pietro Micca: Avec Guido Celano
1939: Il socio invisibile: Avec Carlo Romano
1940: Le sorprese del vagone letto: Avec Enrici Viarisio et Paolo Stoppa
1940: Boccaccio: Avec Osvaldo Valenti
1941: Luce nelle tenebre: Avec Fosco Giachetti et Alida Valli
1942: Le vie del cuore: Avec Miriam di San Servolo et Sandro Ruffini
1942: La cena delle beffe: Avec Amedeo Nazzarri et Valentina Cortèse
1942: Ossessione: Avec Massimo Girotti
1943: Ettore Fieramosca: Avec Elisa Cegani et Gino Cervi
1943: Addio, Amore! Avec Jacqueline Laurent
1945: Due Lettere Anonime: Avec Andrea Checchi
1946: L’adultera: Avec Ronaldo Lupi
1952: Il moschettiere fantasma: Avec Inge Borg, Rossana Podesta et Tamara Less
1957: Le notti bianche: Avec Maria Schell et Marcello Mastroianni
1958: Afrodite, dea dell’amore: Avec Isabelle Corey, Irène Tunc et Anthony Steffen
1967: Les Sorcières: Avec Silvana Mangano et Annie Girardot
1975: La Peccatrice: Avec Zeudi Araya Cristaldi et Francisco Rabal
1975: Profondo Rosso (Deep Red) Avec Marcha Méril et David Hemmings