Quand on est une invétérée cinéphile comme je le suis, il est inévitable que des images du septième art soient venues se fracasser sur l’imaginaire de la petite enfance de la victime. Fort étrangement, Colette Darfeuil fut de celles qui participèrent au traumatisme irréversible dont il est vrai je ne souhaite pas guérir. Par contre, si je me souviens parfaitement de ce que je dois aujourd’hui à Jeanette MacDonald, Yvonne de Carlo, Ginette Leclerc ou Marlène Dietrich, je ne me souviens absolument pas du film que je vis, probablement un après midi de pluie, avec Colette Darfeuil s’apprêtant à donner l’estocade fatale à mon subconscient. Je ne me souviens que de Colette Darfeuil. La tête couronnée de bouclettes blondes, elles-mêmes piquées de longues aigrettes noires qu’elle agitait en tout sens pendant que bringuebalaient à ses oreilles de vastes boucles de brillants en lui caressant les épaules qu’elle avait dénudées. Elle entôlait je ne sais quel nigaud quelconque, lui versant du champagne en tenant la bouteille au goulot, faisant mine de s’esclaffer à ses plaisanteries pataudes! Il n’en fallait guère plus pour me traumatiser et en même temps, il me fallait déjà au moins Colette Darfeuil dans ses œuvres peu avouables pour me traumatiser de manière pertinente et durable! Hélas pour moi je ne sais toujours pas, près d’un demi siècle plus tard qui était ce micheton rondouillard et dans quel film la scène se déroulait. Seule cette image m’a imprégné la rétine à jamais et je ne sais qu’une chose: C’était bien Colette Darfeuil.
Longtemps je me suis posé la question: « Quel était ce film? » Si je n’ai jamais eu la réponse, c’est sans doute de la faute de la principale intéressée elle-même. Colette eut la malice de tourner une bonne centaine de films sans qu’aucun titre n’éveille le moindre émoustillement que provoquent les mots « chefs d’œuvre impérissable ». L’actrice semble avoir fait vœu de tourner des petites œuvrettes sans prétention destinées à amuser le public d’un soir et guère plus. On chercherait en vain sa trace parmi les grands noms du septième art. Qu’il s’agisse de la diriger ou de lui donner la réplique. On s’évertuerait tout autant en vain à chercher un titre de chef d’œuvre où elle paraît.
Colette Darfeuil surgit en ce monde le 7 Février 1906 dans sa bonne ville de Paris sous le patronyme très complet d’Emma Henriette Augustine Floquet. Ses parents ont déjà deux enfants, un garçon et une fille. Emma restera la cadette de la fratrie.
On n’est pas des millionnaires chez les Floquet mais on n’est pas non plus des traînes savates! Nous sommes chez de bons bourgeois de la capitale. On n’aura guère le temps de s’épancher sur les années d’enfance de la future Colette Darfeuil car cette effrontée petite personne se faufila dès ses 13 ans dans les studios de cinéma pour « voir de près » ce monde qui la faisait déjà rêver.
A 14 ans elle montre sa juvénile frimousse dans un court métrage désespérément muet, nous sommes en 1920!
J’ignore ce qui avait convaincu Pierre Colombier de faire débuter cette petite demoiselle alors encore très brune. Sans doute l’incroyable vert émeraude de ses yeux qui forcera l’admiration de tous ceux qui la rencontreront. On entendra parfois des connaisseurs s’exprimer en ces termes « Si un jour le cinéma est en couleurs, Michèle Morgan n’aura qu’à bien se tenir car son célèbre regard bleu ne sera plus rien à côté de celui si vert de Colette Darfeuil!
Heureusement pour Michèle si Colette ne se montrera en couleurs qu’en 1950, sa carrière était déjà virtuellement terminée!
Ainsi donc Colette, jolie gamine brunette surgit devant les caméras dès 1920. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle devint une star instantanée! D’ailleurs le clan Floquet mit un veto formel à cette lubie et la jeune apprentie vedette devra batailler trois ans avant de remettre le pied devant des caméras toujours aussi muettes! Et encore, sa victoire n’est que partielle. Ses tournages ne peuvent en aucun cas empiéter sur ses heures de collège mais seulement sur ses vacances! Tant pis pour elle si elle préfère faire le singe dans des studios poussiéreux plutôt que de prendre l’air de la Baule en famille!
On peut considérer qu’elle est enfin une vedette à part entière à partir de 1926! On est loin d’avoir affaire à une « enfant star »! Colette Darfeuil a vingt ans!
Malheureusement, ses exploits muets laissèrent peu de traces même si elle connut un franc succès! Qui se souviendra de « La Roche d’Amour » ou de « Sa Maman »
A l’avènement du cinéma parlant, Colette est donc une vedette. Elle va devenir une star et peaufiner son image de « femme fatale » de film en film. Et en vérité il y a fort à faire!
Colette Darfeuil laissera le souvenir d’une blonde aux ongles écarlates gigantesques et parfaitement aiguisés, au sourire carnassier et surtout aux sourcils épilés et redessinés très haut comme seules Mireille Balin, Jany Holt et Marlène Dietrich osent l’envisager! Elle est une sorte de vamp de casino de seconde zone plus habituée à détrousser les marchands de légumes en gros que les milliardaires brésiliens amarrés avec leur yacht devant Monte Carlo! Ceci ne l’empêche évidemment pas de crouler sous les bijoux, les fourrures, drapée dans ses fourreaux Lanvin ou Vionnet. Nous sommes au cinéma que diable!
Pourtant, lorsqu’on la découvre face à un jeune Jean Gabin qu’elle enjôle jusqu’à ce qu’il se jette à la mer éperdu d’amour pour ses yeux d’émeraude dans « Pour un Soir », nous sommes en 1931 et Colette Darfeuil surprend! Elle se traîne dans sa chambre d’hôtel à St Tropez entre son lit et son phonographe à pavillon, coiffée comme une rombière et épaisse comme un jambon de Bayonne dans des pyjamas de satin qui n’éclatent pas par politesse envers le public. Elle est maquillée comme un totem indien, mâchouille son texte d’ailleurs sans intérêt et joue comme on le lui a si bien appris au temps du muet. Si le film reçu un accueil glacial c’est parce que personne ne comprit pour quoi Gabin se suicidait pour cette ennuyeuse baudruche qui est à l’érotisme et à la sensualité ce que le parfum du choux de Bruxelles est à celui de la rose Baccara! Indépendamment qu’elle soit fort épaisse et qu’elle s ‘ennuie à périr dans un décor d’une rare laideur, elle est privée de son atout majeur: l’humour! Car pour que le sortilège fonctionne il faut que Colette Darfeuil soit fille légère dans des intrigues qui le sont tout autant! Elle n’est pas, elle ne sera jamais une dame aux camélias! Elle est la vedette aussi populaire que spectaculaire de: « Cendrillon de Paris », « Y’en a pas deux comme Angélique », « Le Truc du Brésilien », « Le Béguin de la Garnison », « Mes Bretelles », « Si tu vois mon Oncle » ou « Ce Cochon de Morin »! Toute une époque, tout un cinéma qui s’est perdu! Durant l’occupation les « vieux films » seront fondus pour devenir de l’ersatz de vernis à ongles! Il semble que ceux de Colette Darfeuil aient payé un lourd tribut à la coquetterie!
Mais qu’on ne s’y trompe pas, Colette Darfeuil est vraiment une très grande vedette! Elle a sa « rivale » en la personne de la plus oubliée encore Christiane Delyne. Bientôt Ginette Leclerc et Viviane Romance viendront grignoter en brunes leurs plates bandes de vamp blonde des boulevards périphériques! Colette Darfeuil est plus qu’une actrice, elle est un personnage comme le sont alors les plus grands noms du cinéma. Comme le sont Fernandel, Gabin, Michel Simon ou Arletty. Le public la connaît et attend de Colette Darfeuil qu’elle fasse du Colette Darfeuil!
Très soucieuse de son image, elle ne se montre que parfaitement harnachée dans sa panoplie de grande vedette et se permet comme Arletty de faire répondre par sa secrétaire « Mademoiselle n’est pas intéressée » aux offres d’Hollywood! Elle s’exporte, pourtant. En Allemagne, en Espagne, en Italie et même en Belgique. Elle est d’ailleurs absente de Paris pour cause de tournages à l’étranger quand les Allemands occupent la capitale. La période lui convient mal mais elle est très fière d’avoir été de la distribution du film de Duvivier « Untel père et Fils » avec Michèle Morgan. Un film qui faisait littéralement crever les Allemands de rage. Les pauvres teutons ne réussissant jamais à détruire l’ultime copie du film honni!
Colette Darfeuil avait épousé à la fin des années 20 un de ses réalisateurs favoris, Pierre Weill. Il abandonnera la réalisation lorsque Colette décidera de divorcer après qu’il l’ait mise une ultime fois en scène dans « Le Béguin de la Garnison ». Colette épousera ensuite un de ses producteurs, René Bianco qu’elle rencontre en 1939 sur le tournage de « Sidi Brahim ». Elle sera sa veuve. Après guerre, Colette Darfeuil revint au cinéma en 1946, on ne l’avait plus vue depuis 1943. Hélas ce retour aux écrans sera pour elle un double drame. Si elle retrouve sa place, elle retrouve aussi son personnage. Mais ses entôleuses décolorées n’ont plus la même poésie, Colette a 40 ans. Ca devient un peu tard pour encore roucouler sur des tabourets de bar, même aux Batignolles.
Et puis surtout, sa maman décède. Or, comme sa brune rivale Ginette Leclerc tapineuse officielle du cinéma français, Colette Darfeuil passe sa vie avec sa maman adorée. La mort de celle ci la plonge dans un désarroi total avant qu’elle ne sombre dans une dépression profonde qui faillit avoir raison d’elle.
Elle qui avait bataillé toute sa vie pour entrer dans sa gaine cesse littéralement de s’alimenter et sombre dans ce que l’on appelle pas encore l’anorexie. Elle sera hospitalisée dans un état jugé critique lorsqu’elle passera sous la barre des 40 kilos. Il faudra la ténacité de son mari pour la ramener à la fois à la vie et à l’écran.
Mais ni le cœur ni l’âme n’y sont plus.
En 1952, après s’être montrée, en couleurs dans un film produit par son mari « Bibi Fricotin », Colette Darfeuil baisse les bras. Trois films plus tard, des films pour lesquels elle s’était engagée, Colette Darfeuil se retire. Elle avait 46 ans. Sa retraite est d’autant plus méritoire que contrairement à bien d’autres « grandes vedettes » de sa génération, Colette Darfeuil tenait encore les premiers rôles de la plupart de ses films
Elle s’éteint très oubliée le 15 octobre 1998. Elle avait 92 ans et sa retraite avait été plus longue que sa carrière.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1920: Les étrennes à travers les âges: Court métrage avec Dolly Davis et Madeleine Guitty
1923: Château Historique: Avec Eva Raynal et Pauline Carton
1923: L’Affaire du Courrier de Lyon: Avec Suzanne Bianchetti et Roger Karl
1926: Mots Croisés: Avec Marfa D’Hervilly
1926: La Flamme: Avec Charles Vanel
1929: Sables: Avec Gina Manès
1930: Le Procureur Hallers: Avec Jean Max
1930: La Bodega: Avec Maria Luz Callejo
1930: Marius à Paris: Avec Françoise Rosay et Georges Colin
1931: Autour d’une Enquête: Avec Annabella
1931: Le Lit Conjugal: Avec Gil Clary
1931: La Fin du Monde: Avec Abel Gance et Vanda Gréville
1931: Y’en a pas deux comme Angélique: Avec Henry Laverne
1931: Pour un Soir: Avec Jean Gabin
1932: Un Coup de Téléphone: Avec Jean Veber et Jeanne Boitel
1932: Le Rosier de Madame Husson: Avec Françoise Rosay et Fernandel
1932: Ce Cochon de Morin: Avec Jacques Baumer
1932: Monsieur de Pourceaugnac: Avec Josseline Gaël et Armand Bernard
1932: Baroud: Avec Rosita Garcia
1932: L’âne de Buridan: Avec René Lefèvre
1933: Le martyre de l’obèse: Avec Jacques Maury et Suzet Maïs
1933: Feu Toupinel: Avec Marcel Barencey
1933: Mirages de Paris: Avec Jacqueline Francell
1933: Le Béguin de la Garnison: Avec Raymond Guérin-Catelain
1934: Mon Coeur t’appelle: Avec Danielle Darrieux et Jean Kiepura
1934: J’épouserai mon Mari: Avec Gaston Jaquet
1934: La Maison dans la Dune: Avec Madeleine Ozeray et Pierre Richard Wilm
1934: Le Chéri de sa Concierge: Avec Fernandel
1934: Casanova: Avec Ivan Mosjoukine
1934: Minuit…Place Pigalle: Avec Raimu
1934: Le roi des Champs-Élysées: Avec Buster Keaton et Paulette Dubost
1934: Mam’zelle Spahi: Avec Noël-Noël et Raymond Cordy
1935: La Caserne en Folie: Avec Raymond Cordy et Paulette Dubost
1935: Escale: Avec Samson Fainsilbert et Simone Renant
1935: Et moi, j’te dis qu’elle t’a fait de l’œil: Avec Jules Berry
1935: Cinquième au-d’ssus: Court métrage avec Raymond Cordy
1935: La Vierge du Rocher: Avec Marc Dantzer
1935: Jacqueline fait du Cinéma: Avec Raymond Cordy
1936: Une Gueule en Or: Avec Betty Stockfield et Lucien Baroux
1936: L’Ecole des Journalistes: Avec Armand Bernard
1936: Tout va très bien madame la marquise : Avec Marguerite Moreno et Noël-Noël
1936: J’arrose mes galons: Avec Bach
1936: Michel Strogoff: Avec Anton Walbroock
1936: La course à la vertu: Avec Alice Tissot
1937: Monsieur Bégonia: Avec Josette Day
1937: Un Soir à Marseille: Avec Antonin Berval
1937: La chanson du souvenir: Avec Martha Eggerth
1938: Firmin, le muet de Saint-Pataclet: Avec Antonin Berval
1938: Chéri-Bibi: Avec Pierre Fresnay
1938: Tamara la complaisante: Avec Vera Korène et Pierre Fresnay
1939: Cas de Conscience: Avec Suzy Prim et Jules Berry
1939: L’esprit de Sidi-Brahim: Avec René Dary
1939: Quartier sans Soleil: Avec Jean Servais
1939: Bossemans et Coppenolle: Avec Raymond Aimos
1939:L’Amore si fa Così : Avec Enrico Viarisio
1941: Le Club des Soupirants: Avec Fernandel et Louise Carletti
1943: L’Escalier sans Fin: Avec Suzy Carrier et Madeleine Renaud
1943: Untel Père et Fils: Avec Michèle Morgan et Raimu
1943: Forces Occultes: Court métrage avec Maurice Remy
1946: Les Malheurs de Sophie: Avec Marguerite Moreno et Madeleine Rousset
1947: Ploum, ploum, tra-la-la: Avec Paulette Dubost et Saturnin Fabre
1948: Les Souvenirs ne sont pas à vendre: Avec Blanchette Brunoy, Martine Carol et Sophie Desmarets
1949: Les Vagabonds du Rêve: Avec Françoise Rosay et André Claveau
1950: Menace de Mort: Avec Marcel Dalio
1950: Le Furet: Avec Jany Holt et Jean Chevrier
1951: Bibi Fricotin: Avec Maurice Baquet
1952: Le Costaud des Batignolles: Avec Annette Poivre et Raymond Buissières
1952: Cet Âge est sans Pitié: Avec Daniel Cauchy et Colette Deréal
1952: La Fille au Fouet: Avec Gaby Morlay et Michel Simon
1952: Das Geheimnis vom Bergsee: Avec Lil Dagover et Michel Simon