Si la très belle et très piquante Debra Paget n’avait pas été une vedette de cinéma sous contrat à la Century Fox, Hollywood aurait pu faire d’elle une de ses plus intéressantes attractions touristiques! Aux heures les plus brûlantes de sa gloire, l’actrice possédait le troisième fan mail du studio après celui de Betty Grable et de Marilyn Monroe. Elle possèdait également la même Cadillac Eldorado convertible que Marilyn Monroe. Mais si la voiture de la blonde Marilyn est sobrement noire, la Cadillac de miss Paget est « fraise écrasée » et la vedette l’a patiemment décorée elle-même de pierres précieuses qu’elle dit un temps »vraies » mais qui sont bien entendu fausses. La presse se gausse. « Miss Paget se balade toute la journée avec un seau de bimbeloterie dans le coffre de sa rutilante Cadillac pour remplacer les pierres qu’on lui vole à chaque arrêt« . Et Elle: « Et alors? A chaque strass de volé, un fan de gagné!« . Pendant cette joyeuse période, sa chère maman tenait à ce que l’on parle de Debra dans la presse uniquement sous l’appellation de « La Fille qui n’a jamais été embrassée! » et cette prude jeune fille offrait un boa constrictor à sa sœur pour son anniversaire!

Debra Paget avec sa plus grande fierté: Sa Cadillac Eldorado décapotable couleur fraise écrasée et couverte de pierreries fausses mais du meilleur effet pour éblouir le passant, surtout avec la perruque assortie à la voiture
Miss Debra Paget vient au monde dans une fratrie un peu compliquée de cinq personnes. Je dis compliquée car comme tous ses frères et sœurs feront du cinéma et comme ils prendront tous des pseudonymes plus exotiques que leurs noms de baptêmes, ça fait dix noms à retenir…Au moins!
Nous sommes donc le 19 Août 1933 lorsque Debralee Griffin vient au monde à Denver au Colorado. Sa mère, Marguerite Allen est une ancienne reine du vaudeville qui a fait carrière sous le pseudonyme de Margaret Gibson. Après avoir épousé monsieur Frank Griffin. Elle a rangé ses plumes d’autruche, ses strass et ses faux cils à la naissance de sa fille Mareta Eloïse née en 1923, son fils Frank jr. est né en 1929.
Mareta fera carrière sous le pseudonyme de Téala Loring d’abord et de Judith Gibson ensuite. Après la naissance de Debralee, c’est Lezlie qui vient au monde le 6 Mars 1935 et choisira le pseudonyme de Lisa Gaye.
En 1940, l’ex reine du vaudeville malgré ses quatre enfants ne peut se résoudre à l’anonymat qui est devenu le sien. Elle monte un numéro avec ses deux filles, elles deviennent les Gibson Sisters. Marguerite s’auto proclamant grande sœur de ses propres filles! Elles se produiront en trio à travers tout le pays. Du Colorado à l’Illinois, de Denver à Chicago. Debralee est donc une professionnelle de la variété à sept ans. En 1944, une nouvelle petite sœur, Meg, est venue agrandir la famille. Debralee a maintenant onze ans, et sa mère n’a pas lésiné sur les cours de danse ni sur la farandole des auditions.
La jeune Debra est une adolescente déjà très professionnelle et à la beauté saisissante. La silhouette souple et déliée malgré sa petite taille, des cheveux noirs qui ondulent naturellement et tombent en cascade sur ses épaules. Une peau de lait et des yeux d’un beau vert jade cerclé de violet. Pour elle les choses vont aller très vite.
Elle a la chance de donner au théâtre la réplique au french lover adulé des foules, j’ai nommé Charles Boyer lui-même. Lequel, fasciné par l’adorable jeune débutante lui donne un petit coup de pouce en la présentant à quelques directeurs de programmes radio. C’est alors un média tout puissant en Amérique comme partout ailleurs dans le monde puisque la télévision est encore expérimentale et qu’en attendant, la radio s’écoute même dans les régions les plus reculées où il n’y a pas de cinémas.
Bientôt la Century Fox tend l’oreille avant d’ouvrir les yeux. Pour la jolie Debralee c’est un contrat à Hollywood. Dans le sacro saint studio de la star Betty Grable alors incontestable numéro un du box office. Debra est encore mineure. C’est sa famille qui doit gérer son contrat et à sa majorité. Grâce à la loi Coogan, elle recevra une somme importante que le studio avait obligation de placer pour ses artistes mineurs jusqu’à leur majorité.
Elle s’en servira pour s’offrir deux Cadillac de plus, son péché mignon avec les animaux exotiques.
Mais on le sait, la Century Fox est un studio peut tendre avec ses actrices et peut-être le moins doué de tous avec la Warner pour l’évolution de ses stars vers les plus hauts sommets. Le studio ne sait généralement pas quoi faire de ses actrices. Debra sera traitée comme Gene Tierney à la même époque, passant par toutes les nationalités, de la tahitienne à l’Egyptienne au gré des tournages et des nécessités. C’est le principe maison de faire faire un peu n’importe quoi à tout le monde avant de figer l’artiste dans un cliché définitif. La carrière de Sheree North n’y résister pas, Betty Grable tournera le même film encore et encore jusqu’à l’écœurement. Le studio étant même incapable de faire évoluer sa coiffure. Comme Marilyn, Debra Paget se battra contre la FOX durant la presque totalité de la durée de son contrat.
Une autres des marottes du studio étant de frustrer leurs stars maison. On n’obtient jamais les rôles que l’on brigue, on est obligés de tourner ceux dont on ne veut à aucun prix. Si à tout hasard, comme Jayne Mansfield on est content de son sort à la FOX, on est viré. C’est que quelque chose cloche dans le système!
Pour être une star chez FOX, il faut prendre le studio par surprise et faire un « hit » inattendu avec un film, comme Marilyn avec Niagara, Gene avec Laura. Pour Debra ce sera « L’Oiseau de Paradis ».Titre qui lui va si bien au teint. Debra apprit à ses dépens les usages en vigueur chez FOX. Elle fut dépossédée de son rôle dans « La Rose Noire » au profit de la française Cécile Aubry qui venait de débarquer.
N’ayons pas peur de le dire, si Debra Paget laisse une trace non négligeable dans la grande histoire hollywoodienne, c’est que la FOX a bien voulu la prêter à d’autres studios. En 1950, Debra se déplace à Hawaï avec Louis Jourdan et l’équipe de « L’Oiseau de Paradis » pour y tourner un rôle d’indigène. Avant le départ, le studio soumet son actrice à un coaching vocal intensif pour lui faire perdre son accent du Colorado.
Le film fera un triomphe inouï. Même si Delmer Daves a fait reconstruire une fausse cascade haïtienne parce que la vraie ne lui plaît pas. Debra et Louis Jourdan sont le nouveau couple numéro un du studio. On prépare une autre superproduction pour eux « Drums Along Amazon » qui sera tourné au Pérou avec Yma Sumac en curiosité locale. Un Pérou bien étrange d’ailleurs. Si « L’Oiseau de Paradis » pouvait sembler un tantinet « criard », que dire de ce film qui flirte avec le fauvisme exacerbé? En attendant, maman Marguerite lance le slogan de « La fille qui n’a jamais été embrassée », histoire de faire mousser les dix-huit ans tout proches de sa vedette de fille chérie.
Le tournage terminé, Debra se voit sommée de remplacer June Haver dans un film qui plaisait beaucoup à cette dernière. Nous sommes chez FOX que diantre!
Quant au film prévu pour Debra « Evangeline » , c’est donc Gene Tierney qui est prévue pour la remplacer. Ceci avant que Marisa Pavan ne débarque dans le jeu de quilles. Et malheureusement pour Debra, non seulement la FOX la traite aussi mal que les autres mais a pris goût à cette histoire de « Fille qui n’a jamais été embrassée ». Cette idée de brune sage dans un studio truffé de blondes scandaleuses leur paraît très judicieuse. Il va s’en suivre une kyrielle de quiproquos et de situations ubuesques. La presse bien entendu guette à chaque instant l’heureux lauréat du premier baiser. Chaque fois que Debra dit bonjour à un homme, son agent avertit la presse qu’il n’y a rien entre eux. C’est le livreur de pizzas ou le fiancé de sa sœur!
Sur le plateau de « Démétrius et les Gladiateurs » elle porte une rutilant bague de fiançailles et les spéculations sur le nom du donateur vont bon train. Debra déclare que c’est « juste une bague ». Mais les plus fins limiers découvrent que Mitzi Gaynor a la même, don de Howard Hugues soi-même! Il ne manquait plus que lui! Bientôt la même bague est vue au doigt gracieux de Terry Moore puis de Jean Peters. Howard Hugues faisait alors les grandes heures de la maison Cartier!
Debra, soyons justes a toujours contesté avoir reçu cette bague du fantasque magnat de l’aviation qui de son côté déclarait à qui mieux mieux qu’il allait effectivement l’épouser…Comme Mitzi, Terry et Jean! La FOX de son côté, ravie de cette publicité gratuite et incessante estampille Debra Paget « Péplum et films bibliques ». Elle a convaincu le studio avec sa prestation de jeune chrétienne amoureuse donnée en pâture sexuelle à toute une cargaison de gladiateurs! Pauvre « Fille qui n’a jamais été embrassée »!
Debra Paget va donc collectionner les Cadillac, les péplums, quelques indispensables westerns et les animaux exotiques mâtinés de quelques hypothétiques fiancés jusqu’à ses 21 ans. Age où elle menace la FOX de quitter le studio si elle ne reçoit pas enfin des rôles de filles sexy. La bague en diamants avait disparu de son doigt quelques jours puis était réapparue…Deux fois plus grosse!
Debra avait refusé de poser dans un maillot couleur chair pour la promotion de « Prince Vaillant » en s’exclamant à l’unisson avec Janet Leigh également concernée: « Ces maillots couleur chair donnent l’illusion de la nudité« . Elle fait cette fois volte-face et scandale parce que sa « danse exotique » dans « Princesse du Nil » a été censurée dix sept fois! Elle en fait un numéro pour se produire à l’ouverture d’une nouvelle boîte de nuit à Las Vegas. « Je la danserai dans son intégralités seulement vêtue de chaînes d’or » clame la fille qui n’ a jamais été embrassée. Et d’empocher 25.000$ pour trois semaines!
En Janvier 1955, beaucoup de monde à Hollywood a déjà clamé sur les toits être le « vrai » fiancé de Debra Paget. Elle ne dément jamais. Publicité oblige. D’ailleurs est-ce tout à fait faux? Le riche Jay Robinson est le seul à se plaindre de la star: « Comme je devais m’absenter plusieurs semaines et qu’elle adore les animaux exotiques, je lui ai offert un petit singe et elle m’a dit « Vous l’avez bien choisi, chaque fois que je le regarderai il me fera penser à vous et elle a éclaté de rire! »
Debra s’affiche avec Jeffrey Hunter et sa mère commente: « Rien n’est plus absent de leurs projets que le mariage, ils sont comme frère et sœur!’ La fille qui n’a jamais été embrassée préfère Victor Mature, tout le monde le sait et elle s’apprête à rejoindre le plateau des « Dix Commandements ». La FOX a accepté de la prêter à la Paramount et Debra évince au moins dix actrices qui bataillaient pour le rôle dont Elaine Stewart, Jean Peters et Anna-Maria Pierangeli, la grande favorite sans même rencontrer Cecil B. DeMille. C’est un mystère encore irrésolu aujourd’hui. Pourquoi Debra a-elle été choisie entre toutes sans l’avis du metteur en scène pourtant pointilleux sur ses castings?
Bien des années après sa retraite, Debra qui aura versé dans la religion donnera la seule explication possible à ses yeux: « Dieu lui a dit de faire comme ça! » Mais en attendant ces révélations divines, Debra aura l’honneur d’être la première partenaire d’Elvis Presley à l’écran dans « Love Me Tender ». « Un soir il m’a appelée du Mexique, il m’attendait là-bas et voulait que je le rejoigne pour l’épouser. J’avais très envie de le faire mais papa et maman n’ont pas voulu!« .
En 1957 chaque chroniquer de Hollywood a « son fiancé » pour Debra Paget, persuadé de miser sur le bon cheval et tout le bottin mondain a eu à un moment ou à un autre les honneurs de cette étrange spéculation. La belle se tait. Du moins à ce propos et préfère parler de ses débuts à la télévision, de sa salle de bains noire et or aux robinets 18 carats. Car Debra avec papa et maman a emménagé dans un manoir de 26 chambres pour être plus confortable avec ses robes, ses bijoux ses voitures et son zoo privé. Elle mène alors grand train et grand tapage, qui croirait que déjà sa carrière se termine?
L’année 1958 commence avec l’annonce de nouvelles fiançailles, cette fois avec la chanteur David Street. Personne n’y aurait pris garde si Debra elle-même n’avait commenté en baissant ses beaux yeux de jade: « Nous nous connaissons depuis 1945« .
Fin du mois le couple est marié et passe sa lune de miel au Mexique où Debra tourne un film « From Earth to the Moon » Hollywood est sidéré de la vitesse à laquelle les choses se sont passées.Debra avait un nouveau fiancé officiel toutes les semaines depuis 1951 et n’avait jamais épousé personne. David a 37 ans, Debra en a 24, elle sera sa cinquième épouse et dès le retour du Mexique il emménage dans le manoir à 26 chambres. il est « un peu fauché en ce moment« ! Dix semaines plus tard Debra divorçait!
En 1961, Debra se remariait avec Budd Boetticher surtout connu pour avoir réalisé de nombreux westerns avec Randolph Scott. Budd a 14 ans de plus que sa jolie épouse, laquelle pour avoir tourné en Europe a renoncé aux attraits de Cadillac pour ceux de Rolls Royce.
Ce mariage là durera dix-huit mois et la mère de Debra commente de manière véhémente: « Je ne tolèrerai pas qu’on se moque des mariages de Debra comme de ceux de Zsa-Zsa Gabor ou Elizabeth Taylor! Ma fille ne s’engage pas à la légère, elle n’a pas eu de chance, c’est tout! D’ailleurs elle est terriblement traumatisée et refuse tous les films qu’on lui propose! Heureusement que je lui ai obtenu un nouveau contrat à Las Vegas, danser lui fera le plus grand bien! » Toujours à Las Vegas en Avril 1962, elle y épouse le fils du ministre des finances de la Chine pré communiste
Le 22 Juin 1964 leur fils Teh-Chi Gregory vient au monde. Son mari, de 13 ans son aîné est alors diplomate attaché à l’ambassade de Chine à Washington et Debra a annulé la plupart de ses contrats dès son mariage. On ne la voit plus guère que montant ou descendant de son jet privé avec ou sans son mari mais jamais sans son personnel. Madame n’appréciant que peu le rude climat de Washington, le couple vit au Texas. D’où l’avion.
Le couple divorcera en 1980 après dix-huit ans d’un mariage heureux et Debra refusera de discuter lors du divorce: « Nous ferons comme mon mari voudra, il est un homme merveilleux et nous resterons toujours les meilleurs amis du monde, quoi qu’il puise arriver et nous avons un enfant merveilleux ensemble.
Debra s’installe alors avec sa chère maman, maintenant veuve dans une grande maison de Houston où elle aime à s’occuper de ses caniches. La star refuse d’être contactée par qui que ce soit pour quoi que ce soit à moins qu’il ne s’agisse de religion sa nouvelle passion. En 2013 Debra Paget devient octogénaire. En 2023 nonagénaire? Et incontestablement la plus belle nonagénaire de toute l’histoire de l’humanité.
Sa beauté du XXIème siècle est bien loin de celle de l’oiseau du paradis. C’est un autre oiseau moins criard que celui d’autrefois mais qui rayonne bien plus aujourd’hui qu’hier.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1948: Cry of the City: Avec Shelley Winters, Victor Mature et Richard Conte
1949: Mother is a Freshman: Avec Loretta Young et Van Johnson
1949: House of Strangers: Avec Susan Hayward et Edward G. Robinson
1950: La Flèche Brisée: Avec James Stewart et Jeff Chandler
1950: Fourteen Hours: Avec Barbara Bel Geddes, Grace Kelly et Jeffrey Hunter
1951: L’Oiseau de Paradis: Avec Louis Jourdan et Jeff Chandler
1951: La Flibustière des Antilles: Avec Jean Peters et Louis Jourdan
1952: Belles on Their Toes: Avec Myrna Loy, Jeanne Crain et Jeffrey Hunter
1952: Stars and Stripes Forever: Avec Robert Wagner et Clifton Webb
1954: Prince Vaillant: Avec Robert Wagner, Janet Leigh et James Mason
1954: Princess of the Nile: Avec Jeffrey Hunter et Michael Rennie
1954: Les Gladiateurs: Avec Susan Hayward et Victor Mature
1955: White Feather (La Plume Blanche-Le Dernier Cheyenne): Avec Robert Wagner et Jeffrey Hunter
1955: Seven Angry Men: Avec Jeffrey Hunter et Raymond Massey
1956: Les Dix Commandements: Avec Charlton Heston et John Derek
1957: The River’s Edge: Avec Ray Milland et Anthony Quinn
1957: Omar Khayyâm: Avec Cornel Wilde et Michael Rennie
1958: From the Earth to the Moon: Avec Joseph Cotten et George Sanders
1959: Le Tigre du Bengale: Avec Paul Hubschmid
1959: Le Tombeau Hindou: Avec Paul Hubschmid
1960: Why Must I Die: Avec Terry Moore
1960: La Vallée des Pharaons: Avec Ettore Manni
1960: Journey to the Lost City: Avec Paul Hubschmid
1961: Most Dangerous Man Alive: Avec Ron Randell et Elaine Stewart
1961: I Masnadieri: Avec Daniela Rocca et Yvonne Sanson
1962: Tales of Terror: Avec David Frankham
1963: The Haunted Palace: Avec Vincent Price