Tout qui est un minimum averti de la scène anglaise et de ses icônes risque de mettre une armada de tueurs à mes trousses pour avoir placé le nom de Dora Bryan parmi ceux de mes chères étoiles éphémères. Je ne conteste bien sûr ni le prestige, ni le talent ni la fructueuse carrière de cette blonde pétardière qui ravit le public de sa gracieuse majesté durant près de 60 ans. Je souligne simplement que pour elle comme pour Eleanor Bron, les feux de la gloire ne brillèrent que dans leur île natale.
Pour elles, le cinéma n’est pas le vecteur de l’immortalité. Dommage pour nous d’ailleurs!
Dora Mary Broadbent naît le 7 Février 1924 à Southport dans le Lancashire.
Southport est une ravissante petite ville balnéaire que je vous recommande d’ailleurs le temps d’un week-end. Elle affiche encore aujourd’hui une charmant petit air suranné très belle époque. On s’attend même dans certaines rues à voir débouler des ladies en dentelles avec des ombrelles, des chapeaux de chez Worth et des bottines montantes. C’est dire aussi si cette charmante petite cité s’attendait fort peu à être un jour la ville natale de l’ouragan Dora Bryan considérée aujourd’hui comme un des bijoux de la couronne!
Cette fille d’aimables commerçants semble avoir été une « entertainer » dès son berceau. On s’imagine aisément qu’elle ait appris à faire des claquettes dans son parc et des numéros d’imitation au jardin d’enfants! Ses parents ne tenteront rien pour réfréner sa passion du spectacle et du « show-off ». Elle est déjà actrice lorsque la guerre éclate. Elle a 16 ans et s’élance tout naturellement dans une tournée destinée à soutenir le morale des troupes nationales!
C’est durant cette période, sous le blitz londonien qu’elle rencontre Bill Lawton, comte de Lancashire.
L’actrice aimait à se souvenir qu’elle l’avait croisé alors qu’elle attendait le bus et que le coup de foudre avait été instantané. Un couple est né, mais ils ne penseront à légitimer leur union qu’en 1954, sans doute Dora avait-elle un jour de congé.
Monsieur le comte est également propriétaire d’un hôtel en bord de mer, hôtel où on aurait parfaitement pu tourner « Tables Séparées ». Tout y est aussi raffiné que désuet et la clientèle, toujours la même y revient d’une année à l’autre respirer la mer sans s’y baigner. Curieusement, Dora se passionna également pour ses fonctions d’hôtelière. Elle avait suivi une formation en ce sens pour rassurer ses parents disait-elle, mais il semble que c’était un peu plus que ça! (Au passage, elle n’hésitera jamais à louer les lieux pour les extérieurs de ses films!) L’hôtel des Lawton deviendra la nouvelle place to be avant de faire faillite, emporté dans la tourmente des temps qui changent. Ce qui ravissait les sujets de la reine Victoria n’aura que peu d’intérêt aux yeux des Rolling stones! L’hôtel sera vendu et morcelé en appartements de grand luxe. Les époux Lawton s’offrant le plus chic d’entre eux, face à la mer qui les a vus naître.
Mais nonobstant cette vocation hôtelière, Dora poursuit une carrière sur les chapeaux de roues, adulée par un public fidèle et convaincu.
Elle traversera les années 40, 50, 60, 70, 80, 90 au sommet des affiches et de la popularité. Au passage elle aura triomphé dans « Hello Dolly » et « Les Hommes Préfèrent les Blondes », spectacles entièrement montés sur son capital de dynamisme et d’abattage.
Dès que la télévision est apparue, Dora Bryan s’y est engouffrée et en a pris le sceptre de reine! Qu’elle passe à la télévision et les rues sont désertes à l’heure du programme, les gens fuient le Subway pour être à temps devant leur poste. Le cinéma, curieusement s’intéresse peu à elle, même si bien entendu, elle tourne. Ce désintérêt laisse perplexe. Alors que des personnalités telles que Margaret Rutherford ou Dirk Bogarde ont leur propre série de films qu’ils enchaînent pour le ravissement des foules, Dora est relativement absente du grand écran. Même au temps béni où Hollywood aime à venir pêcher ses gloires en Angleterre. Elle n’est pas dans le même bateau que Rutherford, Bogarde, Merle Oberon, Vivien Leigh, Laurence Olivier, Joan Collins, Samantha Eggar ou Greer Garson.
L’Angleterre est ses Anglaises sont à la mode, pas Dora Bryan, sorte de produit folklorique s’exportant mal, étrangeté des choses!
Si Dora Bryan est un phénomène de drôlerie, sa vie privée malgré le grand amour qui la liera à Bill durant 68 ans est loin d’être aussi primesautière que ses personnages. Après avoir perdu son troisième bébé, né prématurément comme les deux autres, Dora sombre dans une longue et très profonde dépression qui nécessitera un traitement psychiatrique sévère. Elle ne se remettra jamais et l’alcool succèdera aux anti dépresseurs. Lorsqu’enfin le couple Lawson auront des enfants et adoptent un fils, Daniel, il sera handicapé. Daniel, a eu la maladie spondylarthrite ankylosante. Très douloureuse et invalidante, c’est une forme d’arthrite qui rend peu à peu la colonne vertébrale rigide.
Leur fille cadette, Georgina qui décèdera très jeune encore, à 36 ans emportée par son alcoolisme. Dévastée de chagrin, Dora ne pourra même plus regarder les photos de sa fille défunte En 1972, le tableau s’était encore enrichi d’un accident de voiture. Alors que toute la famille voyage en Espagne, la voiture dérape sur de l’huile répandue sur la route et dévale un ravin. Dora sera très grièvement blessée.
Tout ça ne l’empêche pas de voler d’un triomphe populaire local à un autre. On finit par la retrouver dans « Absolutely Fabulous »!
Certes, elle porte maintenant une perruque et joue les vieilles toquées, mais elle est toujours là et bien là. Avec un certain cran d’ailleurs. Elle joue dans la série une copine de la mère d’Edy, laquelle perd la mémoire. Dora a le courage d’en rire alors que dans sa vie privée la maladie d’Alzheimer a frappé son cher Bill, son grand amour de toujours.
Il la laissera veuve en 2008.
Dora s’était éloignée des plateaux depuis quelques années déjà. Officiellement pour s’occuper de son cher Bill. Mais la réalité était hélas moins simple. Souffrant atrocement d’une hernie mal placée qui nécessita une fort douloureuse opération, la diva de 84 ans a elle aussi la mémoire qui lâche. Les assurances ne la couvrent plus, les producteurs doivent renoncer à l’engager. Le risque est trop grand et Dora elle-même est bien forcée d’admettre que sa légendaire santé décline.
Elle assurera ses dernières apparitions avec le même entrain et un magnétophone lui soufflant son texte sous sa perruque. L’actrice dépose les armes et sa couronne, elle se retire de la vie publique. Le public l’imagine quelque part au bord de la mer cultivant ses fleurs, un chapeau de paille sur la tête et régalant ses voisins de bons mots.
le choc est rude lorsque l’Angleterre apprend que « sa » Dora est fort démunie, qu’elle vit dans une modeste maison de soins de santé, vissée dans une chaise roulante et perdant les derniers lambeaux de sa prodigieuse mémoire. Un « Dora Bryan charity gala » sera organisé le 31 Mai 2009 pour lui venir en aide. La totalité des stars sollicitées répondra « présent » et considèrera non seulement comme un devoir, mais comme un honneur de venir soutenir la légende.
L’émotion qui bouleversa le public et les artistes à l’arrivée de Dora Bryan fut indescriptible. Petite marionnette fragile comme un saxe, recroquevillée dans sa chaise roulante et se demandant un peu ce qu’elle faisait là, Dora Bryan, sans le faire exprès cette fois, bouleversa encore une fois son cher public. Les sommes récoltées furent colossales, et Dora put se retirer définitivement, s’en aller mourir en paix dans de meilleures conditions, s’en aller rejoindre son cher Bill. S’éteindre dans cette Angleterre qui attend presque avec terreur que la radio annonce un sombre jour la fin de Dora Bryan.
La nouvelle fatidique tomba le 23 Juillet 2014. Dora avait 91 ans.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1949: The Interrupted Journey: Avec Valerie Hobson et Richard Todd
1949: The Fallen Idol: Avec Michèle Morgan et Ralph Richardson (Dora ne partage aucune scène avec eux).
1949: The Perfect Woman: Avec Patricia Roc et Nigel Patrick
1950: The Blue Lamp: Avec Peggy Evans et Dirk Bogarde
1951: High Treason: Avec Joan Hickson et Liam Redmond
1951: Scarlet Thread: Avec Kathleen Byron et Laurence Harvey
1952: Made in Heaven: Avec Petula Clark et Sonja Ziemann
1952: Women of Twilight: Avec Loïs Maxwell, Laurence Harvey et Freda Jackson
1952: The Ringer: Avec Mai Zetterling et Herbert Lom
1953: Street Corner: Avec Peggy Cummins et Rosamund John
1953: The Fake: Avec Coleen Gray et Dennis O’Keefe
1954: Mad About Men: Avec Glynis John et Margaret Rutherford
1954: The Crowded Day: Avec Joan Rice et John Gregson.
1954: You Know What Sailors Are!: Avec Sarah Lawson et Akim Tamiroff
1954: Fast and Loose: Avec Kay Kendall et Stanley Holloway
1956: Child in the House: Avec Phyllis Calvert et Mandy Miller
1958: The Man Who Wouldn’t Talk: Avec Anna Neagle et Zsa-Zsa Gabor.
1966: The Great St Trinian’s Train Robbery: Avec George Cole
1966: The Sandwich man: Avec Diana Dors
1972: Up the Front: Avec Zsa Zsa Gabor et Frankie Howerd.