J’ai un peu de mal à faire d’Elsa Martinelli une de mes « Etoiles Filantes » car j’ai une affection sans bornes pour cette actrice que j’ai longtemps considérée comme la perfection physique absolue. Peut-être parce qu’elle était mon antithèse complète. Je dois pourtant m’y résoudre. Sa carrière n’est en rien comparable à celle d’une Michèle Morgan, d’une Sophia Loren ou d’une Danielle Darrieux. Son souvenir majestueux qui s’estompe déjà n’est pas celui d’une Marilyn, d’une Ava, d’une Rita ni même d’une Jayne. Elle a pourtant une particularité extrêmement rare chez les actrices: Elsa Martinelli est luxueuse.
Le 13 Janvier 1935, Elsa Tia voit le jour en Toscane, dans la petite ville cernée de remparts médiévaux de Grosseto. La famille est aussi pauvre que nombreuse. A la fin de la guerre Elsa aura l’air d’un petit chat de gouttière efflanqué qui ferait plus pitié qu’autre chose. Les privations des jeunes années auront le même effet sur sa constitution que sur celle d’Audrey Hepburn, elles resteront filiformes à jamais.
La légende d’Elsa Martinelli, car légende il y a, voudrait que la belle enfant soit devenue un célèbre mannequin et que l’acteur Kirk Douglas ayant vu sa photo en première page de LIVE magazine soit tombé sous le charme et l’ait invitée à Hollywood. Cette demoiselle, devenue jolie, rêvait certes de gloire et si elle avait fait quelques photos, LIVE magazine ce ne serait pas pour tout de suite. Elle avait plutôt fait de très modestes débuts au cinéma où on l’avait retrouvée perdue dans le casting du film de Claude Autan Lara « Le Rouge et le Noir ».
Kirk Douglas, habitué des studios italiens où il s’attaquait alors au personnage d’Ulysse y avait croisé la jeune Brigitte Bardot alors dans sa période de « films italiens tous très cons mais où j’étais bien filmée, c’est déjà ça » et avait jeté son dévolu sur elle, souhaitant la ramener à Hollywood pour y tourner à ses côtés « La Rivière de nos Amours ». Hollywood ayant toujours fait l’effet d’un repoussoir à Brigitte Bardot, la jeune madame Vadim dédaigna l’offre même si Ulysse la pourchassa jusque sur les plages du festival de Cannes. S’étant piqué de faire une découverte et Brigitte ayant elle-même déjà été découverte par Vadim, Kirk jettera son dévolu sur Elsa Martinelli. Marlon Brando jetait bien le sien sur une certaine Ursula Andress!
« L’affaire Kirk Douglas » sera racontée par Elsa elle-même. « J’avais fait pas mal de photos de mode et j’étais invitée par une agence New-Yorkaise à venir travailler en Amérique. Je suis arrivée à New-York avec dix dollars en poche. Le taxi jusqu’à l’hôtel qu’on m’avait recommandé m’en coûta six et la chambre pour la nuit, huit! J’étais en déficit immédiat! Je n’étais riche que de mon contrat avec l’agence mais si je n’avais pas donné satisfaction, dieu sait ce qu’il me serait arrivé car un contrat peut être rompu du jour au lendemain. Heureusement tout se passa bien et le lendemain j’étais riche de 300$ ce qui représentait 15 jours de travail pour une secrétaire New-Yorkaise! C’est alors que Kirk Douglas m’a appelée à mon hôtel après avoir vu ma photo en couverture de « LIFE ». Il m’a appelée et je ne l’ai pas cru, je croyais à une blague de Mario, un ami italien! Je lui ai posé des questions sur « 20.000 lieues sous les mers » que j’avais vu à Rome avant de partir pour les USA. Je lui ai même fait chanter la chanson du film! Quand j’ai été sûre que c’était bien Kirk Douglas, je lui ai dit « Bon, d’accord je serai à Hollywood demain! »
Elsa peaufina son anglais, aborda le style « westernien » pour y devenir une indienne et fut sensationnelle! Kirk Douglas avait visé juste et avait bel et bien déniché un oiseau rare!
Elsa allait devenir une vedette confirmée à Hollywood et après ce bon vieux Kirk, elle donnerait la réplique à quelques mâles pointures tels John Wayne, Charlton Heston, Orson Welles, Robert Mitchum, Dustin Hoffman ou Richard Burton!
La jeune Elsa avait la tête bien faite et bien pleine, elle ne s’enivra pas de bourbon au volant de sa Cadillac rose, ne tomba pas amoureuse de James Dean ou de son psy et mena rondement ses affaires. Très vite elle rentrait en Italie, histoire d’asseoir sa popularité. Elle signa un contrat pour ses films européens avec Carlo Ponti qui lui fit tourner « La fille de la Rizière » et « Donatella » Sa prestation dans « Donatella » lui vaudra l’ours d’argent au festival du film de Berlin.
Le physique de la jeune actrice starifiée au milieu des années 50 préfigurait ce que serait l’idéal féminin des décennies futures et flanquait quand même un solide coup de vieux aux poupées rebondies telles Marilyn Monroe, Jayne Mansfield ou Jane Russell qui sentirent leur trône d’idéal féminin devenir plutôt glissant sous leurs confortables fesses. Elsa s’était d’ailleurs fendue d’une charge à boulets rouges sur cette mode des poitrines opulents au printemps 1962: « J’ai réussi au cinéma sans posséder une poitrine invraisemblable mais aujourd’hui, surtout en Italie, il semble qu’il soit impossible d’être une actrice sans être d’abord une exposition ambulante de charmes pectoraux! Je croyais naïvement que les gens qui allaient voir des films s’intéressaient à l’histoire qu’on leur racontait! Si j’avais su qu’il suffisait d’un soutien-gorge rembourré pour les épater, je ne me serais pas donné tout ce mal pour jouer la comédie! »
L’Italie n’était pas peu fière de la réussite hollywoodienne de sa belle enfant. Réussite d’autant plus inattendue qu’Elsa était complètement inconnue au pays à l’heure de son départ pour l’Amérique. Elle devint une véritable star internationale, se partageant entre deux continents. La mode des coproductions internationales lui ouvrit les portes du cinéma français où après avoir été la partenaire de Jean Marais elle serait dirigée par Roger Vadim.
Sa photogénie et son élégance racée lui ouvrirent toutes grandes les portes de l’univers de la mode et Elsa devint une habituée des pages VOGUE ou HARPER’S BAZAAR. Elle allait faire pour le compte de Chanel la couverture de LIVE magazine ce qui dut faire plaisir à Kirk Douglas qui avait anticipé l’évènement de neuf ans!
La totalité des actrices ayant été un jour mannequins aiment à se plaindre de cette profession ennuyeuse dont on a fait le tour en cinq minutes, ajoutant « Si vous croyez que c’est drôle de faire le même métier qu’un cintre »! Ce n’est pas le cas d’Elsa Martinelli qui faut figure d’exception à la règle. « La mode, la haute couture, ça m’a toujours passionnée, j’adore cet univers et je l’adorerai toujours! » En 1965 elle créera même sa ligne de prêt à porter.
Durant toutes les années 60 et 70, Elsa Martinelli fut terriblement présente, folle de mode, jet setteuse infatigable sa vie semblait faite de tournages de prestiges, vols longs courriers, réceptions mondaines, défilés haute couture où on la croisait tant sur les podiums qu’au premier rang des richissimes acheteuses ou des stylistes! Dans « Diabolik », elle porte un trench noir en amiante et une perruque en fils d’acier!
Elsa était devenue comtesse en 1957 en épousant Franco Mancinelli Scotti di San Vito, père de sa fille Christiana qui vient au monde en 1958. Le comte est très beau et n’a rien à envier aux jeunes premiers en vogue. La presse est folle de ce couple jeune beau riche et heureux. leur voyage de noces à Port Ercole en Toscane fait chavirer les cœurs. Au mois de Juillet suivant ils y retourneront et le public en sera tout aussi ravi. On se régale en ce bel été de leur photos d’amoureux se promenant main dans la main dans le petit port ou jouant comme tous les amoureux du monde dans la Méditerranée plus bleue que d’habitude pour fêter ce bel amour.
Plus tard, Elsa deviendra l’épouse du photographe Willy Rizzo avec qui elle créera son entreprise de design mobilier. Entreprise qui fut considérée comme un caprice et qui finit par compter plus de 150 ouvriers. Il faut ici rendre à Cesar ce qui est à lui. Willy Rizzo s’était attaqué au design dès le milieu des années 60 et c’est Elsa qui vint le rejoindre pour lancer l’entreprise dont la production fit les délices de Brigitte Bardot mais aussi de Salvador Dali. Ce qui me semble gage de qualité comme de prestige lorsqu’un artiste de la trempe de Salvador Dali craque sur votre travail de designer et casse sa tirelire pour s’offir quelques pièces! C’est un peu comme si Picasso vous achetait un tableau!
Elsa avait mis plusieurs années avant d’épouse Willy Rizzo. Non que l’envie lui en manquât, mais elle attendait comme Sophia Loren et Vittorio de Sica le bon vouloir du tribunal ecclésiastique seul habilité à dénouer ce qui avait été noué devant dieu! Un jour qu’une journaliste lui demandait pourquoi elle n’était pas mariée avec Rizzo elle répondit: » C’est à l’Italie qu’il faut demander ça, pas à moi! »
Le couple Rizzo qui avait convolé en 1970 finit par divorcer et Elsa continua sa prestigieuse carrière d’actrice et de mondaine internationale. Elle avait pourtant déclaré: « Tous les couples mariés doivent affronter un monstre sans pitié: l’habitude. Willy et moi avons nos chambres et nos salles de bains séparées. Lorsque nous avons envie de nous aimer ou simplement de nous voir, nous nous donnons rendez-vous chez nous, c’est tout à fait merveilleux et si tout le monde faisait comme nous, il y aurait bien moins de divorces! »
Dès la fin des années 70 elle délaisse sa carrière d’actrice même si on la verra encore à la télévision jusqu’au milieu des années 90. Et j’insiste sur le fait que c’est bien Elsa qui délaissa le cinéma et non l’inverse. Sous prétexte de libération sexuelle, la pornographie finissait pas envahir tous les écrans dans une sorte d’escalade à la nudité et aux pratiques sexuelles en gros plan. Elsa qui avait été une femme libre avant la lettre, n’avait jamais eu que faire d’un soutien gorge et avait beaucoup posé pour l’objectif de charme de son ami Angelo Frontoni avait l’image d’une star très libérée. Les propositions qui lui étaient faites étaient bien plus que scabreuses et l’actrice les goûtait fort peu. « Je n’ai rien à faire dans ce cinéma vulgaire et cru fait par des gens laids qui s’affichent nus au nez des gens avec beaucoup de complaisance. Si ce cinéma -là doit exister il est urgent de créer un circuit parallèle qui regroupera les amateurs du genre et permettra aux familles d’encore fréquenter les salles obscures sans rougir de honte«
Restée très belle on la revoyait à la cérémonie des Oscars en 2008 dans une robe fourreau rouge drapant sa gracieuse silhouette et perchée sur des talons aiguilles gigantissimes. Elsa Martinelli était belle, elle était discrète mais pas retraitée. Sans doute posait-elle parfois un regard satisfait sur l’Ours d’or de la meilleure actrice que lui décerna le prestigieux festival de Berlin en 1956 qui devait trôner sur une création Willy Rizzo quelque part dans sa villa. Peut-être passait elle en coup de vent, sanglée dans le dernier trench Dior, masquée derrière ses lunettes noires revoir quelques autres pièces Willy Rizzo exposées au musée d’art moderne de New-York. Je l’ignore. Mais quoi que fasse Elsa Martinelli, je sais qu’il en était bien ainsi.
La mort la surprendra dans sa 82ème année le 8 Juillet 2017. C’était un samedi, un sombre samedi où le monde perdait un peu de son élégance et de sa lumière.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1954: Le Rouge et le Noir: Avec Danielle Darrieux, Gérard Philippe et Antonella Lualdi
1955: The Indian Fighter: Avec Kirk Douglas
1956: La risaia: Avec Michel Auclair et Folco Lulli
1956: Donatella: Avec Walter Chiari
1957: Manuela: Avec Trevor Howard et Donald Pleasance
1958: La Mina: Avec Antonio Cifariello
1959: Ciao, ciao bambina! Avec Antonio Cifariello et Lorella de Luca
1959: I battellieri del Volga Avec John Derek et Dawn Addams
1959: Tunisi Top Secret: Avec Raf Mattioli et Georgia Moll
1959: Costa Azzurra: Avec Rita Gam, Alberto Sordi et Georgia Moll
1959: La Notte Brava (Les garçons) Avec Laurent Terzieff, Jean-Claude Brialy et Franco Interlenghi.
1960: Il carro armato dell’8 settembre: Avec Dorian Gray, Yvonne Furneaux et Marisa Merlini
1960: I piaceri del sabato notte: Avec Jeanne Valérie et Maria Perschy
1960: Et Mourir de Plaisr: Avec Annette Stroyberg et Mel Ferrer
1960: Le Capitan: Avec Jean Marais et Bourvil
1960: Un amore a Roma: Avec Mylène Demongeot et Peter Baldwin
1961: La Menace: Avec Marie-José Nat et Robert Hossein
1962: Hatari: Avec John Wayne
1962: Le Procès: Avec Jeanne Moreau et Anthony Perkins
1962: The Pigeon That Took Rome: Avec Charlton Heston
1963: the V.I.P.s: Avec Orson Welles, Elizabeth Taylor, Richard Burton et Louis Jourdan
1964: De l’Amour: Avec Anna Karina et Michel Piccoli
1965: La decima Vittima: Avec Ursula Andress et Marcello Mastroianni
1965: Je vous Salue Mafia: Avec Eddie Constantine, Micheline Presle et Michel Lonsdale
1965: La Fabuleuse Aventure de Marco Polo: Avec Horst Bucholz et Orson Welles
1965: Un Milliard dans un Billiard: Avec Jean Seberg et Claude Rich
1965: L’Or du Duc: Avec Claude Rich et Pierre Brasseur
1965: Diabolik: Avec Jean Sorel
1966: Come imparai ad amare le donne: Avec Michèle Mercier et Nadia Gray
1967: Le Plus Vieux Métier du Monde: Avec Gastone Moschin
1967: Sept Fois Femme: Avec Shirley MacLaine et Lex Barker
1967: Maroc 7: Avec Cyd Charisse et Gene Barry
1967: Le Plus Vieux Métier du Monde: Avec Gastone Moschin
1968: Un dollaro per 7 vigliacchi: Avec Dustin Hoffman et Cesar Romero
1968: Manon 70: Avec Catherine Deneuve et Jean-Claude Brialy
1968: Candy: Avec Ewa Aulin, Richard Burton et Ringo Star
1969: Les Chemins de Katmandou: Avec Jane Birkin et Renaud Verley
1969: Una sull’altra: Avec Jean Sorel et Marisa Mell
1970: OSS 117 prend des Vacances: Avec Luc Meranda et Edwige Feuillère
1971: La Aracuana: Avec Victor Alcazar et Antonio Alfonso
1976: Garofano Rosso: Avec Marina Berti et Isa Barzizza
1990: Arriverderci Roma (Court Metrage) Avec Valentina Forte et Gordon Thomson
1993: Anni 90 Parte II: Avec Carol Alt et Christian de Sica