Le 24 Avril 1885, Ernestine Maie Fox vient au monde à Worth am Main en Bavière. Elle aura un frère, Friedrich. Nous sommes dans une famille de classe moyenne et la vie n’est pas drôle à Worth am Main. La ville est traversée comme son nom l’indique par la rivière Main et la principale distraction est de voir les arbres coupés dans les forêts bavaroises filer au gré du courant vers la scierie la plus proche. Le bois est la principale activité de la région depuis le moyen âge. Ernestine ne voit guère aucune raison pour que ça change!
A dix-sept ans elle obtient l’autorisation parentale qui lui permet de gagner Munich et d’y étudier les beaux arts. Elève douée et particulièrement appliquée , elle pourra aller étudier à Paris et à Berlin ensuite. Pour Ernestine, la vie est un pur ravissement. Mais les études ne durent pas toujours. Ernestine devient infirmière car ses parents ne subviennent plus à ses besoins maintenant qu’elle est en âge de gagner sa vie.
Mais depuis qu’elle fréquente les grandes capitales en perpétuel bouillonnement intellectuel, la jeune femme se passionne pour une foule de choses dont le théâtre et le cinéma. Après son travail à l’hôpital elle suit maintenant les cours d’art dramatique à l’académie où elle fera la rencontre de Max Reinhardt. Nous sommes en 1910. L’illustre Reinhardt n’est pas encore déifié pour avoir découvert Greta Garbo mais sa réputation est déjà solidement établie. En 1911 il confie quelques petits rôles à Ernestine Fox dont il fait Erna Morena ce qui a quand même plus d’allure. En 1912 il la déclare prête pour le cinéma!
Erna tourne pour faire plaisir à Reinhardt mais ne croit pas trop à la longévité du cinématographe. Elle débute au cinéma d’une bien étrange façon. Eugène Illès fasciné par son époustouflante beauté la met seule en scène dans des courts métrages destinés uniquement à magnifier sa glorieuse beauté. C’est lui qui la désigne pour la première fois comme « Le sphinx ».
Elle tourne son premier grand rôle en 1913, peut-elle imaginer alors qu’elle tournera plus de 120 films?
Très vite elle devient une très grande star et lorsque Greta Garbo fera ses débuts elle lui sera très souvent comparée. Nita Naldi, Henny Porten et la suédoise Asta Nielsen ont beau faire, elles n’arrivent pas à lui ravir la première place au panthéon des actrices allemandes.
En 1915, en plein conflit mondial, Erna avait trouvé le temps d’épouser l’écrivain William Duc. Leur fille Eva-Maria vient au monde un peu plus tard c’est ce que l’on appelait alors un « mariage obligé »
En 1921, ne trouvant pas le statut matrimonial follement passionnant, Erna reprend sa liberté et continue sa carrière. Elle passera au cinéma parlant avec une désinvolture extrême. Mais le temps passant, son incroyable beauté se fanait peu à peu même si elle restait la créature altière et distinguée qu’elle avait toujours été.
En 1927, petite surprise dans sa carrière. Pabst en personne la choisit pour sa version forcément muette de « On ne Badine pas avec l’Amour » d’après Alfred de Musset. Mais quelle n’est pas la surprise d’Erna de se faire complètement éclipser par deux débutantes nommées Lili Damita et Tala Birell! Heureusement, elles s’en iront bientôt voir ce qui se passe à Hollywood laissant Erna seule maîtresse de son territoire qu’est le cinéma allemand!
En 1935 elle a 50 ans, elle choisit alors de ralentir sa carrière et de ne plus apparaître que dans des rôles dignes d’elle, de son prestige, de sa réputation et de son talent.
Pourtant sa gloire va être éclaboussée et pour tout dire mise à mal en 1940 lorsque son nom apparaît au générique du film de propagande nazie le plus odieux de tous les temps: » Jud Süb » de Veit Harlan. Film joliment rebaptisé pour sa sortie parisienne: « Le Juif Susse ». Un second rôle, certes mais qui suffit largement à entacher définitivement une carrière d’actrice, aussi prestigieuse soit-elle.
Erna Morena n’était pas du genre à se justifier ni se répandre en explications. Pourtant ceux qui la connaissaient furent très étonnés de la voir se fourvoyer là dedans. Certes il était difficile de dire « merde! » ou simplement « Non Merci! » à Goebbels mais Erna avait plus d’un tour dans son sac pour se défiler si vraiment elle ne tenait pas à tourner ce film.
C’est de la bouche de sa fille, hélas décédée en 2007 que la vérité, toute tardive qu’elle fut, jaillira.
Son frère devenu chercheur était marié avec Ruth Schaumann, célèbre sculpteuse mais juive et qui de plus est, sourde! Intolérable pour le troisième Reich. D’autant que les prises de position très véhémentes du frère d’Erna contre le parti d’Hitler lui avait valu pas mal d’ennuis et accessoirement l’interdiction de travailler. Et c’est donc la belle sœur d’Erna, menacée de déportation (avec ses cinq enfants) qui servira de monnaie de chantage à Goebbels.
Humiliée, Erna Morena n’acceptera plus aucun film et se retirera dans sa Bavière natale retrouver sa famille. C’est là qu’elle s’éteint, le 20 Juillet 1962 à l’âge de 77 ans.
On ne l’avait plus revue au cinéma depuis 1940 si on excepte une apparition en 1951 dans « Unsterbliche Geliebte » dont le premier rôle était tenu par…Kristina Söderbaum qui n’était autre que le premier rôle féminin de » Jud Süb », épouse de son réalisateur Veit Harlan. Le couple avait été interdit d’écran jusqu’en 1950. « Unsterbliche Geliebte » est le premier film où on les revoit. On peut s’étonner de ces « retrouvailles filmées » d’Erna Morena avec le réalisateur et l’actrice du film scandale. Alors que faut-il en déduire?
Tout d’abord qu’il est facile aujourd’hui de sonner l’hallali sur les protagonistes du cinéma du troisième Reich. Certes « Jude Süb » n’est pas un chef d’œuvre de délicatesse et est une « œuvre » ouvertement antisémite. Ce qui ne l’a pas empêché de faire quarante millions d’entrées! Le public français lui ayant fait un triomphe absolu…Ou d’avoir obtenu le lion d’or à Venise! Je ne crois pas qu’une actrice ayant tourné un petit rôle probablement sous la contrainte soit plus coupable que les quarante millions d’individus qui ont payé leur place pour se délecter du spectacle de l’antisémitisme affiché comme joyeuse distraction.
Veit Harlan, d’abord jugé pour « crime contre l’humanité » sera entièrement lavé de toute accusation et sortira libre et blanchi du tribunal malgré deux procès consécutifs.
Ensuite Rena Morena connaissait Veit Harlan depuis des années, il était un proche de Max Reinhard. et ils avaient même été partenaires à l’écran dans « Somnambul » en 1929. Elle était également très amie avec Kristina Söderbaum. Laquelle lorsqu’elle sera veuve, s’installera en Bavière pour se rapprocher de son amie.
A l’heure où j’écris ces lignes, « Jud Süb » connait toujours une très belle carrière au moyen orient. Triste époque…Une fois de plus.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1913: Du sollst Vater und Mutter Ehren!
1913: Irrwege
1913: Die Sphinx
1914: Das Millionen-Halsband: Avec Lotte Neumann
1914: Arme Eva: Avec Emil Jannings
1915: Die weiße Rose: Avec Hella Moja
1916: Frau Eva: Avec Emil Jannings
1916: Maria: Avec Paul Otto
1916: Prima Vera: Avec Harry Liedtke et Emil Jannings
1917: Lulu: Avec Harry Liedtke
1918: Das Tagebuch einer Verlorenen: Avec Conrad Veidt
1920: Nachtgestalten: Avec Paul Wegener et Conrad Veidt
1921: Die Lieblingsfrau des Maharadscha: Avec Peter Altenberg
1921: Der Gang in die Nacht: Avec Conrad Veidt
1921: Lotte Lore: Avec Alfred Abel
1922: Louise de Lavallière: Avec Emmy Schaeff
1922: Sodoms Ende: Avec Gertl Basch
1922:Von Morgens bis Mitternacht: Avec Ernst Deutsch
1923: Fridericus Rex – 4. Teil: Schicksalswende: Avec Otto Gebür
1924: Mutter und Kind: Avec Willy Fritsch et William Dieterle
1925: Ein Lebenskünstler: Avec Paul Bildt
1926: Le Fauteuil 47: Avec André Roanne et Dolly Davis
1927: Man Spielt nicht mit der Liebe (On ne Badine pas avec l’Amour) Avec Lili Damita et Werner Krauss
1927: Grand Hôtel: Avec Mady Christians
1927: Das Mädchen aus Frisco: Avec Henry Bender
1928: So küsst nur eine Wienerin: Avec Werner Fuetterer et Grette Graal
1928: Das Schicksal derer von Habsburg: Avec Fritz Spira
1929: § 173 St.G.B. Blutschande: Avec Walter Rilla et Olga Tschechowa
1929: Somnambul: Avec Fritz Kortner et Veit Harlan
1929:Verirrte Jugend: Avec Fritz Alberti et Dolly Davis
1929: Der Sittenrichter: Avec Margarete Schlegel
1930: Gigolo: Avec Anita Dorris et Igo Sym
1932: Die elf Schill’schen Offiziere: Avec Friedrich Kaybler
1932: Das Erste Recht des Kindes: Avec Hertha Thiele
1934: La Chanson de l’Adieu: Avec Janine Crispin et Jean Servais
1934: Elisabeth und der Narr: Avec Hertha Thiel et Theodor Loos
1935: Pygmalion: Avec Jenny Jugo
1935: Viktoria: Avec Louise Ulrich
1938: Zwischen den Eltern: Avec Jutta Freybe
1940: Die verzauberte Prinzessin: Avec Olaf Bach
1940: Jud Süb: Avec Kristina Söderbaum
1951: Unsterbliche Geliebte: Avec Kristina Söderbaum