Décembre 1963. Une vague de froid polaire s’abat sur la France. Marseille se prépare à un Noël blanc, la ville est ensevelie sous 30 centimètres de neige. A Paris il fait moins dix. Il gèle à pierre fendre, un vent glacial cingle les visages comme autant de coups de rasoir.
Devant le rare public qui a osé braver le froid, au théâtre de l’oeuvre, le rideau tombe à la fin de « La dame ne brûlera pas ». Les acteurs, Jean-Pierre Cassel et Francine Bergé saluent. Dès que les applaudissements cessent, la jeune Francine Bergé fuit littéralement le théâtre. Sans prendre la peine de se changer, de se démaquiller elle se précipite dans un taxi providentiel. Elle arrive à minuit trente au musée du cinéma du du palais de Chaillot. C’est là qu’a eu lieu la projection de « Judex » de Georges Franju, C’est son deuxième film. (En réalité c’est le troisième si on compte sa furtive apparition dans « Elena et les Hommes » de René Clair). Elle brûle d’entendre les commentaires. Qu’elle se rassure. Malgré Sylva Koscina en maillot d’acrobate escaladant les gouttières, c’est elle qui fait tout le charme du film. Oui, elle fera carrière au cinéma. Maintenant c’est sûr.
Francine Bergé vient au monde le 21 juillet 1938 à Neuilly sur Seine dans une famille d’artistes. C’est son propre père qui l’initie à la danse classique au théâtre du Châtelet avec sa petite soeur Colette. Passionnée par cette discipline pourtant si exigeante, elle poursuit son dur apprentissage tout en cumulant des cours d’art dramatique, sa nouvelle passion.
Aidée dans son art par sa souplesse de danseuse et la rigueur qu’exige la discipline, elle sortira du conservatoire avec un premier prix de tragédie et intègrera la comédie française. Comme Jeanne Moreau et Suzanne Flon avant elle, elle est de ces comédiennes dont le public du français se félicite du talent, de la jeunesse, de la fraîcheur de la beauté comme de la technique. Comme les deux illustres précédentes, Jacqueline quitte la maison de Molière. Elle part après seulement un an.
La comédie Française ne semble pas correspondre à ses attentes. Francine va se régaler en promenant les classiques du répertoire en tournée. Après une petite apparition au cinéma en soubrette pour René Clair dans « Elena et les hommes » et un passage dans « La camera explore le temps » à la télévision, Francine Bergé a touché à tout, elle est présente partout. Et si elle tient tant à savoir à quoi elle ressemble dans « Franju », c’est sûrement parce qu’elle est déjà dans le collimateur d’un certain Vadim.
Un talent certain, un physique, une présence, une technique, Francine Bergé est de ces comédiennes solides qui peuvent tout jouer. Mais qui à force de tout jouer ne sont jamais tout à fait présentes nulle part dans l’imaginaire collectif. Pourtant, Francine Bergé a tourné pour quelques cadors du septième art comme Jacques Rivette, Michel Deville, Claude Sautet, Tonie Marshall, Alain Resnais, Jacques Doillon, Joseph Losey et le déjà cité Roger Vadim. Sa carrière à la télévision est incroyable et de la caméra explore le temps elle a fini par atterrir dans « Sous le soleil ».
« Sous le soleil de Francine », ça pourrait être le titre de cet article. Avec cette ombre triste du départ de sa petite soeur Colette décédée le 8 mars 2008 avant que de fêter ses 67 ans.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1956: Elena et les hommes: Avec Ingrid Bergman
1963: Les Abysses: Avec Colette Bergé
1963: Judex: Avec Edith Scob et Channing Pollock
1964: La ronde: Avec Jane Fonda
1966: La religieuse: Avec Anna Karina
1968: Benjamin ou les mémoires d’un puceau: Avec Michèle Morgan et Michel Piccoli
1969: Bruno l’enfant du dimanche: Avec Roger Hanin et Mary Marquet
1969: Catherine: Avec Olga George Picot
1972: Paulina 1880: Avec Maximilien Schell et Michel Bouquet
1976: Mr Klein: Avec Alain Delon et Jeanne Moreau
1979: Le Toubib: Avec Alain Delon et Véronique Jeannot
1978: Une histoire simple: Avec Romy Schneider et Claude Brasseur
1983: La vie est un roman: Avec Géraldine Chaplin et Fanny Ardant
1994: Du fond du coeur: Avec Anne Brochet et Benoît Régent
2000: Confort moderne: Avec Valérie Mairesse
2000: Les rivières pourpres: Avec Jean Reno
2004: A ton image: Avec Nastassja Kinski et Christophe Lambert
2011: Cendre: Court métrage avec Fabrice Eberhard
2017: Numero une: Avec Emmanuelle Devos
