Georgette Anys fut la matrone par excellence du cinéma français des années 50. La grosse dame en robe à fleurs assommant Louis de Funès à coup de parapluie ou balançant des œufs frais à la tête des clients de son épicerie, c’est elle. Mais sous cette spécialiste de la gaudriole franchouillarde et des petits métiers au cinéma, poussant son encombrante silhouette dans les escaliers de la concierge ou l’étal de la fleuriste, se tenait une comédienne redoutable. Il suffit pour s’en convaincre de la revoir en poissonnière forte en gueule dans « Le Sang à la tête » où elle tient la dragée haute à …Jean Gabin soi-même! C’est d’ailleurs face à Jean Gabin qu’elle fera sa plus mémorable apparition puisque c’est elle la bistrote que Gabin insulte à foison dans « La Traversée de Paris ». « Salauds de pauvres » c’est à elle que l’insulte s’adresse!
Georgette Anys vint tard et déjà très ronde au cinéma. Mais elle n’avait pas perdu son temps! Elle avait déjà eu dix vies, elle pouvait bien s’amuser un peu!
Marie Georgette Dubois vint au monde en région parisienne, à Bagneux le 15 Juillet 1909.
Rien de bien truculent à propos de ses jeunes années. Trop jeune pour s’émouvoir d’une guerre et échappant à la grippe espagnole, elle eut la surprise assez désagréable de voir son tour de taille s’épaissir tant et plus malgré les « privations ». Il fallut se faire à l’idée dans la famille Dubois: Georgette ne serait pas une de ces sylphides créatures à taille fine faisait se pâmer d’émoi les soupirants. On consentit donc à la laisser suivre des cours d’art dramatique puisque tel était son désir. Elle trouverait plus certainement à faire rire qu’à se faire épouser. C’est Eugène Silvain, alors doyen de la comédie française qui se chargera de son apprentissage d’actrice. Mais il n’y a pas non plus d’emploi sur la scène du français pour les « grosses dondons » comme on disait à l’époque.
Mais il y a un autre genre de spectacle où son genre de silhouette est la bienvenue: Le music-hall. Le music-hall et l’opérette où on a volontiers des rôles à distribuer que l’on espère d’autant plus comiques que l’artiste sera corpulent! Et justement, Georgette chante à ravir! Elle est drôle et s’égosille pour le poulailler, que demander de plus? Music-hall, opérette, théâtre boulevardier, Georgette est partout, se taille une réputation assez solide pour se risquer à l’ouverture de son propre cabaret! Georgette n’a pas eu comme seule surprise de voir son gabarit gagner de volume d’année en année. Elle a aussi découvert relativement tôt son désintérêt absolu des messieurs et sa folle attirance pour les demoiselles. Or, donner la comédie, oui, faire semblant, non!
Georgette aime les filles, qu’on se le dise et qu’on lui fiche la paix! C’est l’entre deux-guerre, une période folle de libertés et d’émancipation, personne ne trouve rien à y redire et Georgette tient commerce où le monde de la nuit se presse. Lesbiennes, homosexuels, travestis, marlous, filles des rues, riches américains, grands bourgeois, artistes et têtes couronnées, tout le monde se presse dans le « Gay Paris » dont Georgette est la reine grasse.
Elle avait bien tenté le cinéma en 1930 , histoire de voir à quoi ça ressemblait vu d’en dedans. Elle vit et n’y revint pas! Ce n’était pas son truc. Il faudra insister vingt ans pour que tout compte fait, elle s’y mette.
C’est la guerre, encore une, qui va venir chambouler le monde sulfureux mais fort joyeux de Georgette Anys. C’est l’occupation et le teuton ne rigole pas avec les bonnes manières. Ce monde interlope n’est pas tolérable. Georgette se fait tout bonnement réquisitionner son cabaret qui restera ouvert et tenu par des gens un peu plus en accord avec l’éthique de l’occupant. Dorénavant on y dégustera champagne de contrebande et oie gavée au marché noir entre personnes distinguées selon l’éthique du Reich.
Georgette disparut des radars mais à la libération de Paris elle surgit plus épaisse que jamais et flingue pointé dans son cabaret chéri pour en chasser les occupants « à coups de pieds dans l’train! » pour reprendre possession des lieux désinfectés des remugles d’occupation. Non mais! Georgette Anys sort de l’occupation auréolée de prestige. Elle représente à elle seule ce Paris populaire et truculent qui n’a pas baissé les yeux ni fait le baisemain aux « boches ». Ses établissements sont rouverts. Car la dame en a plusieurs! Du plus « comme il faut » rue de Rivoli pour touristes à encanailler au champagne à ceux plus discret dans des rues plus sombre mais où on s’amuse mieux « entre soi ».
En 25 ans de commerce, tout le cinéma français, toutes les stars de passage sont venus se griser de fête et de champagne chez Georgette Anys. Après guerre, le cinéma débarrassé de la tutelle allemande renaît et l’âge d’or des comédies populaires commence. Un genre qui lui va mieux au teint. Elle accepte pour faire plaisir une apparition en 1949. En 1950 elle tourne au moins cinq films! « au moins » car il n’est pas facile de la pister! Pour elle son métier c’est la nuit, pas le cinéma, en tout cas pas encore. Il arrive qu’un copain l’appelle le matin pour lui demander si elle veut bien venir « lui faire une concierge » dans son film. Elle accepte ou pas, suivant qu’elle ait ou non, l’envie de le faire et non quelque chose de plus intéressant à faire de sa journée que la grasse matinée!
L’année suivante, en 1951, piquée au jeu elle aligne au moins dix film et c’est parti pour une incroyable carrière menée en quatrième vitesse. Elle croisera les plus grands noms du cinéma international dont Jean Gabin, certes, mais aussi Cary Grant, Bing Crosby, Bourvil, Fernandel, Michèle Morgan, Madeleine Robinson et son très grand copain Louis de Funès avec qui elle s’entend comme larrons en foire! Duvivier est un ami, Christian Jacque un inconditionnel, André Hunebelle l’adore, Pierre Chenal insiste pour qu’elle accepte de vrais grands rôles. Ce qu’elle ne fera pas.
Et puis après tout, qu’il suffise de rappeler que cet ineffable second rôle qui n’en tint donc jamais un premier et se contenta souvent d’une seule scène fut dirigée par Hitchcock, Joshua Logan et Melvin Leroy! Il est faut de croire que Georgette Anys fit carrière uniquement dans les années 50. En réalité elle restera très active jusqu’en 1984. Le cinéma prenant à la fin des années 60 une tournure qui lui déplaisait et où, soyons justes, elle n’avait pas grand chose à faire, elle s’engouffra à la télévision et participa à toutes les séries et tous les feuilletons les plus populaires vingt ans durant. On la vit fort peu au cinéma puisqu’elle était dorénavant accaparée par la télévision mais elle tournera quand même pour le grand écran jusqu’à la fin de sa carrière.
En 1972 elle va être l’héroïne involontaire d’une amusante anecdote. Lazlo Szabo prépare son film « Les gants blancs du diable » avec Bernadette Lafont et Jean-Pierre Kalfon. Il a un rôle très compliqué à distribuer: Celui d’un garde du corps capable de mettre au tapis n’importe quel adversaire mais qui entre deux matchs de catch aurait l’aimable apparence d’une gentille mamie portée sur la bonne chère. Plusieurs de ses amis lui recommandent chaudement la truculente patronne d’un petit restaurant bouiboui où on se délecte autant des bons petits plats de la dame que de son abattage. Quelle n’est pas la surprise du réalisateur de se retrouver face à Georgette Anys qui accepte le rôle avec joie, se régalant déjà à l’idée des trempes à flanquer dans ce film! Bien que Truffaut ait crié au chef d’oeuvre, le film ne fera pas carrière. Tant pis!
Georgette Anys se retira en 1984. L’embonpoint qui l’avait tant servie durant sa carrière avait fini par l’handicaper.
Elle se retira donc dans sa maison de Menucourt qu’elle possédait dans le Val d’Oise. C’est là qu’elle finit discrètement ses jours le 4 mars 1993 à l’âge de 83 ans largement sonnés! Malgré ses difficultés liées à son embonpoint chronique, c’est un cancer qui eut raison d’elle.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1930: Le roi des resquilleurs: Avec Hélène Perdrière et Georges Milton
1949: Un garçon-garçon: Court métrage avec Nathalie Nattier et Jean Tissier
1950: Les anciens de Saint-Loup: Avec François Périer et Serge Reggiani
1950: Quai de Grenelle: Avec Françoise Arnoul, Maria Mauban et Henri Vidal
1950: Méfiez-vous des blondes: Avec Martine Carol et Raymond Rouleau
1951: Moumou: Avec Nathalie Nattier et Jeannette Batti
1951: Un grand patron : Avec Pierre Fresnay
1951: Sous le ciel de Paris : Avec Brigitte Aubert et Jean Brochard
1951: Le passe-muraille: Avec Bourvil
1952: Le huitième art et la manière: Court métrage avec Ablo, Louis de Funès et André Claveau
1952: Fanfan la Tulipe: Avec Gina Lollobrigida, Noël Roquevert et Gérard Philipe
1952: La fête à Henriette: Avec Dany Robin et Michel Auclair
1952: Monsieur Taxi: Avec Michel Simon
1952: Mon mari est merveilleux: Avec Sophie Desmarets et Elina Labourdette
1953: A Day to Remember: Avec Odile Versois, Joan Rice et Stanley Holloway
1953: Scampolo 53: Avec Maria Fiore, Henri Vidal et Cosetta Greco
1954: Madame du Barry: Avec Martine Carol
1954: Les femmes s’en balancent: Avec Nadia Gray, Dominique Wilms et Eddie Constantine
1954: L’étrange désir de Monsieur Bard: Avec Geneviève Page et Michel Simon
1955: To Catch a Thief: Avec Cary Grant et Grace Kelly
1955: Treize à table: Avec Micheline Presle et Fernand Gravey
1955: Milord l’Arsouille: Avec Simone Bach et Jean-Claude Pascal
1955: Les évadés: Avec François Périer
1956: Mannequins de Paris: Avec Madeleine Robinson
1956: Paris canaille: Avec Daniel Gélin, Dany Robin et Tilda Thamar
1956: Marie-Antoinette reine de France : Avec Michèle Morgan et Jacques Morel
1956: Una aventura de Gil Blas: Avec Georges Marchal et Barbara Laage
1956: Le Sang à la Tête: Avec Jean Gabin
1956: La Traversée de Paris: Avec Jean Gabin et Bourvil
1956: L’homme aux clefs d’or: Avec Annie Girardot et Pierre Fresnay
1956: Les mains liées: Avec Nadine Alari et Jean Brochard
1957: Ah, quelle équipe!: Avec Louise Carletti et Colette Deréal
1957: Sylviane de mes nuits: Avec Giselle Pascal, Frank Villard et Denise Grey
1958: Les jeux dangereux: Avec Pascale Audret et Jean Servais
1958: Premier Mai: Avec Yves Montand, Sylvie et Nicole Berger
1958: Le Miroir à deux faces: Avec Michèle Morgan et Bourvil
1959: Drôles de phénomènes: Avec Sophie Desmarets et Philippe Clay
1959: Nuits de Pigalle: Avec Danielle Godet et Yves Deniaud
1960: Le pain des Jules: Avec Bella Darvi
1961: Fanny: Avec Leslie Caron, Maurice Chevalier et Horst Bucholz
1964: Le chant du monde : Avec Catherine Deneuve et Charles Vanel
1966: Moment to Moment: Avec Jean Seberg et Honor Blackman
1973: Les gants blancs du diable: Avec Bernadette Lafont et Jean-Pierre Kalfon
1975: Zig Zig: Avec Catherine Deneuve et Bernadette Lafont
1976: À l’ombre d’un été: Avec Joséphine Chaplin, Maurice Ronet et Charles Vanel
1984: Cheech & Chong’s The Corsican Brothers: Avec Cheech Marin et Tommy Chong