Si la brillance des étoiles du cinéma était en relation directe avec leur nombre de films tournés, alors la belle Gertrude Astor serait la plus grande star du monde! Elle tourna tant sur un demi siècle de carrière qu’il est impossible aujourd’hui de recenser de manière formelle la totalité de ses films, les plus courageux des entêtés se sont arrêtés à 250! Pour ma part, j’ai découvert Gertrude dans « The Great Ziegfeld » où elle cancane pendant que Luise Rainer-Anna Held se produit sur scène. Elle n’a qu’une seule phrase mais elle m’avait fait hurler de rire (comme chaque fois que je revois ce film). William Powell, alias Florenz Ziegfeld, pour « vendre » sa découverte Anna Held fait croire que la star l’a ruiné en consommant « Twenty Galions of Milk » par jour, non pour le boire mais pour s’y baigner. Lorsqu’Anna chante « la petite tonkinoise » sur scène, trois rombières cancanent dans la salle. L’une d’elle dit « Quel teint merveilleux! vous croyez vraiment que c’est à cause de ses bains de lait? » et Gertrude avec un teint d’huître pas fraîche: « Oh, évidemment, ma chère, c’est formidable, moi je le fais depuis des années! »
Dans « Topper » elle n’a également qu’une seule scène. Elle descend un escalier à l’entrée d’une boite de nuit, en robe du soir, un peu rombière mais portant beau. Cary Grant, invisible pour cause de décès lui pince les fesses. Elle sursaute et minaude en gloussant à un figurant décontenancé « Oh! Vilain garçon! je vous ai vu vous savez » sur ce, le fantôme de Cary lui flanque une claque sur les fesses, une claque qui résonne jusqu’au troisième balcon! Et là elle se retourne, outrée vers le figurant médusé « Oh! Vraiment! Vous allez trop loin! grossier personnage! » J’ai aussi toujours eu plaisir à croire, mais ceci est tout à fait personnel, que Gertrude avait servi de modèle à Jack Lemmon pour créer son travesti de « Certains l’aiment Chaud »
Le 9 Novembre 1887, Gertrude Astor naît à Lakewood dans l’Ohio. Cette petite demoiselle sentant fourmiller depuis toujours dans ses jambes des envies de liberté trouve un premier emploi: Elle joue du trombone dans un orchestre féminin qui se produit sur un bateau mouche! Gertrude est une belle jeune fille blonde. Mais elle est de ces beautés, grandes et altières chez qui on sent poindre la future matrone. Elle ne s’embarrasse d’ailleurs que très peu de manières pincées et de deviser napperons de dentelles en prenant son thé le petit doigt relevé. Gertrude préfère une bonne bière et vous flanquer une bonne claque dans le dos si la plaisanterie salace que vous lui racontez en vaut la peine! Ensuite elle ira souffler dans son encombrant instrument qu’elle trimballe comme un cure-dents!
Partie en tournée avec son orchestre de filles, elle se fixe à New-York ou on lui a proposé un travail au cinéma. Nous sommes en 1911. Ce n’est pas encore l’aura prestigieuse des acteurs qui draine les foules vers les représentations du cinématographe dans les fêtes foraines, mais simplement la curiosité pour ce nouvel exploit technique. Gertrude est choisie pour donner la réplique à Thomas Meighan, acteur complètement oublié aujourd’hui mais qui fut une véritable star à 10.000$ par semaine pour donner la réplique à Gloria Swanson. Mais l’homme est aussi un ancien soutier sur des cargos et la « solidité » de Gertrude face à lui fonctionne à merveille. Gertrude accepte à condition d’être citée la première au générique, plus tard elle aura honte de cette effronterie qui restera son seul caprice connu.
Paradoxalement, cette expérience ne la convainquit pas du tout! elle retourna à son trombone et on ne la retrouvera au cinéma que quatre ans plus tard, en 1915, dans un second rôle dans l’ombre de Louise Vale dans « Sous Deux Drapeaux ». C’était la guerre, le cinéma était patriotique.
Et cette fois fut la bonne. Si Gertrude Astor ne tourna que trois films en 1916, en 1917 elle en tourna vingt! Dont un avec Mae Murray en personne! Elle avait trouvé sa voie. Elle n’était pas faite pour jouer les grandes vaporeuses de premiers rôles mais plutôt les seconds couteaux très affutés. En réalité, l’emploi de Gertrude au cinéma peut se résumer en une phrase qui la contient toute entière: « Elle précède Joan Blondell dans son emploi ».
Elle est toujours la « solide », la grande soeur ou la putain au grand coeur. La maquerelle débonnaire, l’infirmière autoritaire ou la pionnière mettant la main à la pâte, au chariot, à la traite, à la pioche et à la carabine! Quelque soit la qualité du film ou elle se produit et quel que soit le prestige de l’actrice tenant le premier rôle, Gertrude tire son épingle du jeu. Bientôt elle devient célèbre et adulée d’un public qui se délecte de sa truculence et de ses manières franches. Lorsque le studio Universal ouvre ses portes, elle est la première actrice à y être prise sous contrat. Bientôt elle côtoie les plus illustres stars de son époque dont Gloria Swanson, Colleen Moore, Louise Brooks, Rudolph Valentino, Ruth Chatterton, Pola Negri ou Mae Murray déjà citée. Sa suprématie dans les seconds rôles hauts en couleurs durera jusqu’à l’avènement du parlant ou, et paradoxalement puisque sa diction est parfaite, elle se voit reléguée dans des rôles dont l’importance se réduit comme peau de chagrin jusqu’à devenir de simples figurations. Mais soyons justes, dans des films de haute volée comme « The Great Ziegfeld », « Women » ou « All About Eve ».
Dès 1932 il arrive qu’elle ne soit même plus créditée au générique. Elle tournera encore, pourtant. Durant 34 années bien remplies, finissant sa colossale carrière en 1966 à la télévision dans « My Mother, the Car », une de mes séries cultissimes ou Jerry van Dyke retrouve sa mère réincarnée en vieille Ford T doué de pouvoirs magiques. Décidément, même si je suis la seule à me souvenir d’elle, Gertrude Astor m’aura fait rire et rêver jusqu’au bout. Sa dernière apparition dans un film de cinéma fut dans « La Mélodie du Bonheur » où elle est une invitée lors d’une réception.
Gertrude s’éteint le 9 Novembre 1977 à Los Angeles dans une complète discrétion, celle qui convenait à cette nonagénaire peu avide de gloire, en somme.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1911: The Ne’re do Well: Avec Thomas Meighan
1915: Under Two Flags: Avec Louise Vale
1916: The Shadows of Suspicion: Avec Maud George et Lee Hill
1917: By Speshul Delivrery: Avec Zoe Rae et Val Paul
1917: Polly Redhead: Avec Elia Hall
1917: The Price of a Good Time: Avec Mildred Harris
1917: The Grey Ghost: Avec Priscilla Dean
1917: Bucking Broadway: Avec Molly Malone
1918: After the War: Avec Grace Cunard
1918: Mum’s the Word: Avec Lee Moran
1919: What am I a Bird?: Avec Mae Murray et Ralph Graves
1919: Destiny: Avec Dorothy Phillips
1920: Occasionally Yours: Avec Betty Bythe et Lew Coddy
1921: The Concert: Avec Myrtle Stedman et Lewis Stone
1922: Beyond the Rocks: Avec Gloria Swanson et Rudolph Valentino
1922: The Ninety and Nine: Avec Colleen Moore et Warner Baxter
1922: Skin Deep: Avec Florence Vidor
1923: The Six Fifty: Avec Renée Adorée
1923: The Wanters: Avec Marie Prévost et Norma Shearer
1923: Hollywood: Avec Pola Negri et Roscoe Arbukle
1924: Robes of Sin: Avec Sylvia Breamer
1924: All’s Swell on the Ocean: Avec Esther Ralston et Jack Dempsey
1925: Easy Money: Avec Cullen Landis, Mildred Harris et Mary Carr
1925: Satan in Sables: Avec Pauline Garon et Lowell Sherman
1925: Kentucky Bride: Avec Peaches Jackson
1925: The Charmer:Avec Pola Negri et Wallace MacDonald
1926: Kiki: Avec Norma Thalmadge et Ronald Colman
1926: Sin Cargo: Avec Shirley Mason
1926: Wife Tamers: Avec Vivien Oakland et Lionel Barrymore
1926: The Cheerful Fraud: Avec Gertrude Olmstead et Reginald Denny
1929: Untamed: Avec Joan Crawford et Robert Montgomery
1936: The Boy Friend: Avec Marceline Day
1927: Uncle Tom’s Cabin: Avec Margarita Fischer
1927: Ginsberg the Great: Avec Audrey Ferris et George Jessel
1928: Hit of the Show: Avec Joe E. Brown et Gertrude Olmstead
1929: Two Weeks Off: Avec Dorothy MacKaill
1930: The Boss Order’s: Avec Addie MacPhail et Gene Morgan
1931: Come Clean: Avec Mae Bush et Laurel et Hardy
1932: Frisco Jenny: Avec Ruth Chatterton et Louis Calhern
1932: Hesitating Love (court métrage) Avec Louise Fazenda et Marie Prévost
1934: Guilty Parents: Avec John St. Polis, Jean Lacy et Robert Frazer
1935: Northen Frontier: Avec Eleanor Hunt et Kermit Maynard
1935: Broadway Melody of 1936: Avec Eleanor Powell, Robert Taylor et Jack Benny
1935: Honeymoon Limited: Avec Irène Hervey et Neil Hamilton
1936: The Milky Way: Avec Verree Teasdale Harold Lloyd et Adolphe Menjou
1936: Empty Saddles: Avec Louis Brooks et Buck Jones
1938: The Big Broadcast of 1938: Avec Martha Raye, Dorothy Lamour, W.C. Fields et Bob Hope
1939: Women: Avec Norma Shearer et Joan Crawford
1942: Lady for a Night: Avec Joan Blondell et John Wayne
1943: Idaho: Avec Roy Rogers
1945: Guest Wife: Avec Claudette Colbert et Don Ameche
1946: Sister Kenny: Avec Rosalind Russell et Alexander Knox
1948: My Dear Secretary: Avec Laraine Day et Kirk Douglas
1948: Sitting Pretty: Avec Maureen O’hara, Robert Young et Clifton Webb (scène coupée)
1950: Montana: Avec Alexis Smith et Errol Flynn
1950: All About Eve: Avec Bette Davis et Gary Merril
1951: A Place in the Sun: Avec Elizabeth Taylor, Shelley Winters et Montgomery Clift
1951: Elopement: Avec Anne Francis et Clifton Webb
1951: Thunder on the hill: Avec Claudette Colbert et Ann Blyth
1953: Roar of the Crowd: Avec Helene Stanley et Howard Duff
1955: Wichita: Avec Vera Miles et Joel McCrea
1956: Calling Homicide: Avec Kathleen Case et Bill Elliott
1961: Twenty plus two: Avec Jeanne Crain et Agnès Moorehead
1962: The Devil’s Hand: Avec Linda Christian et Robert Alda
1962: The Man Who Shot Liberty Valance: Avec Vera Miles, John Wayne et James Stewart
1964: L’insubmersible Molly Brown: Avec Debbie Reynolds et Harve Presnell
1965: La Mélodie du Bonheur: Avec Julie Andrews, Eleanor Parker et Christopher Plummer