gina manes

C’est décidé, aujourd’hui je vais croquer le portrait de Gina Manès. ouvrage sans cesse reporté car si le souvenir de cette actrice est bien loin dans les mémoires, Gina Manès est chère à mon coeur pour des raisons toutes personnelles qui n’ont d’ailleurs rien à voir avec elle.

Ma grand’mère maternelle ne s’appelait pas Gina, elle s’appelait Juliette. Elle ne faisait pas de cinéma elle était ouvrière d’usine, au département bouteilles d’une verrerie. Mais elle était le sosie de Gina Manès avec qui elle partageait un physique bien qu’elle soit sa cadette de 14 ans. Plus tard lorsque le cinéma parlera, elles partageront une voix. Mais dans le « pays noir » il n’y a pas de producteurs en Cadillac qui attendent les jeunes filles aux sorties d’usines pour leur proposer de faire du cinéma. Fussent-elles de ravissantes créatures au port altier, au regard de braise et au verbe haut. Ma grand mère resterait à l’usine et finirait sa vie au pays noir, ne se décidant jamais vraiment à propos de Gina Manès. Elle lui avait valu le surnom d’Athéna à son usine après que le cinéma du coin, le Rialto ait passé un film de Gina Manès où son personnage s’appelait comme ça. Ma grand-mère n’ayant pas vu le film, elle crut longtemps que ses nouveaux pendants d’oreilles lui faisaient une tête de tireuse de cartes! Elle sera à la retraite lorsqu’elle comprendra enfin l’astuce. Et si je dis qu’elle ne se décida jamais tout à fait à propos de Gina Manès, c’est parce qu’il est certes bien plaisant pour une jeune fille de ressembler à une grande star très à la mode. Mais Gina Manès se spécialisait dans les personnages de grues roublardes, de prostituées désabusées voire de fieffées salopes. Elle craignait l’amalgame, qui parfois, il faut le dire, se fit, à commencer par sa belle-mère!

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Gina Manès, pour situer, c’est la première Ginette Leclerc. Elles tiendront d’ailleurs à vingt ans d’intervalle le même rôle , celui de « La Belle Garce »

Quant à Gina Manès, la vraie, elle est une authentique parisienne née Blanche Moulin le 7 Avril 1893 dans le douzième arrondissement. Le Faubourg Saint Antoine est alors le « quartier des marchandes de meubles » qu’il restera jusqu’à la fin du siècle suivant et monsieur Moulin père en fabrique et en vend avec un certain succès. Blanche Moulin la fille du patron connaîtra d’ailleurs ses premiers émois dans les bras d’un jeune dessinateur engagé par son père. Elle tapera du pied pour pouvoir l’épouser dès ses 16 ans mais ne restera pas convaincue longtemps par le mariage et reprendra sa liberté!

Fascinée par le théâtre comme le sont tous les petits « trottins » parisiens de l’époque, comprenez ces jeunes parisiennes pimpantes et jolies comme des cœurs qui arpentent les grands boulevards pour se désennuyer, elle pousse un jour la porte du théâtre des Capucines pour « voir s’il n’y a rien pour elle ». Exactement comme le fera plus tard Léonie Bathiat dite Arletty qui, elle au moins avait une recommandation! Blanche Moulin n’était recommandée que par son culot, son inconsciente jeunesse et sa grande beauté.

Comme ce sera le cas pour Arletty elle fit bien car l’une comme l’autre se retrouveront « petites femmes » dans les revues du très à la mode Rip. Revues où l’on fait pas grand chose que d’être très belles, se dandiner en prétendant danser, chantonner un peu quelques sous entendus grivois, balancer quelques traits pour égratigner le tout Paris, mais en robes crées tout exprès par Poiret s’il vous plaît!

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Un soir René Navarre est dans la salle. Il est alors un des acteurs les plus célèbres du moment. C’est lui qui incarne Fantômas dans les films de Louis Feuillade. Fasciné par la beauté ténébreuse de Blanche Moulin, il la présente a Feuillade qui la fait débuter séance tenante dans un mélo que n’aurait pas désavoué Mary Pickford à Hollywood! « Les Six Petits Cœurs des Six Petites Filles » Nous sommes en 1916 ça a beaucoup de gueule! Le public adore ces films où l’on fouette à la badine des petites orphelines, alors pensez donc, six d’un coup! Ca promet, surtout dans un court métrage! On est vie au coeur de l’action!

On a hélas perdu toute trace de la chose! J’ignore également quel plaisir ou quel déplaisir éprouva Gina Manès en tournant pour le cinéma, mais il faudra patienter trois ans avant de la retrouver devant la caméra de Feuillade. C’est ensuite deux ans qui s’écoulent avant qu’elle ne revienne pour tourner « Le Sept de Trèfle » sous la direction de son ami René Navarre passé à la mise en scène. Soit trois films en cinq ans et tournés uniquement pour des amis chers. On peut penser que le cinéma ne fut pas un véritable coup de foudre pour Gina Manès. Il faudra attendre 1923 pour que l’artiste entame enfin une carrière de ce nom et reconnaissons qu’elle y mit à la fois du coeur et les bouchées doubles!

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Passant de Navarre à Epstein qui lui offre un rôle sublime dans « Coeur Fidèle », elle ne sera jamais plus aussi belle au cinéma que dans ce film, elle enchaîne les tournages. Quatre films en 1923. Quatre grands rôles, quatre succès. Elle devient une des actrices les plus actives des années vingt et puisque les films sont muets elle s’exporte sans le moindre problème jusqu’en Allemagne ou elle est une reine adorée des écrans et même en Suède. Elle s ‘est faite une spécialiste des femmes fatales alanguies sur de gros coussins satinés, porte cigarette au bec, telle une araignée dans sa toile attendant que l’homme qu’elle va pousser à sa perte franchisse la porte de son palais ou de sa roulotte! Elle brille seule dans l’emploi, paupière lourde et accroche coeur gominé sur le front. Cerise empoisonnée sur le gâteau, elle ne rechigne pas à jouer les seconds rôles si le rôle est dans ses cordes. Elle est la Theda Bara du cinéma français, moins boulotte et bien meilleure actrice que sa rivale en luxure païenne made in Hollywood.

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Le public est fasciné, hypnotisé. lorsque le cinéma parlera il en restera bouche bée. La créature luciférienne s’exprime avec une voix à la fois suave et grave, ses répliques sont comme des coups de fouets englués dans du miel de piment rouge. Les films s’enchaînent. Peu de véritables joyaux à sa couronne de vedette, mais une liste insensée de grands succès commerciaux. On est d’ailleurs en droit de rester surpris en se rendant compte du nombre de succès de Gina Manès qui connurent des remakes comme « Naples aux baisers de Feu » ou brillera sa plus farouche rivale Viviane Romance, mais aussi « L’Auberge Rouge » où Françoise Rosay lui succèdera avec bonheur, Thérèse Raquin où elle cédera la place à Simone Signoret.

Pourtant, cette actrice, une des mieux assises dans le cinéma populaire cinéma français, va voir inexorablement son statut péricliter jusqu’à dégringoler à celui de simple figurante en passant par un rôle de dame pipi dans « Les Caves du Majestic » en 1945. Film où on fera dire à son personnage qui parle de ses anciennes amies: « Ces garces se battaient pour venir à ma table en haut boire mon champagne et maintenant elles ne me laisseraient pas cinq francs de pourboire en bas! »

En 1925 sur le tournage de « Naples aux baisers de Feu » elle rencontre le beau jeune premier de quatre ans son cadet Georges Charlia qui deviendra son second et dernier mari. Le jeune acteur qui a débuté en 1923 sous la direction d’Epstein est alors un jeune premier qui monte. Dix ans après ses débuts il abandonne sa carrière, se rendant compte qu’il ne deviendra jamais le numero un du cinéma français.

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Cette décision d’abandonner le cinéma va faire péricliter la carrière de son épouse. Le couple s’est entiché des grands espaces marocains lors d’un voyage en Afrique du nord et George Charlat décide de s’installer à cent kilomètres de Marrakech, au milieu de nulle part pour tenir une modeste auberge le long d’une piste caravanière.

Lorsque Gina Manès revient en France en 1935, trois très mauvaises surprises l’attendent. Elles ont pour noms Mireille Balin, Ginette Leclerc et Viviane Romance qui se sont mises à trois pour s’accaparer l’emploi de grande fatale. Mireille leur donnera une certaine distinction, Viviane leur donnera du tempérament dont elle sera parfois victime elle-même, et Ginette leur donnera à tout jamais l’odeur du zinc de bistrot, de la gitane sans filtre, du rouge baiser et des frites.

Que faire dès lors de cette revenante de l’atlas et du cinéma muet qui a quand même quarante cinq ans? En 1933 on l’avait déjà trouvée trop vieille, trop empâtée pour être la fatale sans scrupules dans « La tête d’un homme » de Duvivier. Le cinéma la relègue dans des seconds rôles qui vont eux-mêmes se réduire comme peau de chagrin. Même si son nom brille encore en grosses lettres aux génériques de début, elle n’a souvent plus qu’une seule scène comme dans » Le récif de Corail » face à Jean Gabin ou le déjà cité « Les Caves du Majestic » face à Albert Préjean. Pour ajouter encore à sa disgrâce, ou tout du moins à son oubli, Gina Manès n’accepta qu’un seul film durant l’occupation ce qui l’éloigna des écrans de 1939 à 1945 après qu’elle se soit exilée de 1933 à 35, soit sept ans d’exil sur douze années, c’est énorme pour une carrière et bien peu se seraient relevés de telles absences.

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Elle s’accrochera au monde du cinéma qu’elle avait fini par adorer jusqu’en 1966. Elle raccroche ensuite définitivement les gants après une ultime figuration dans « Pas de Panique » où brillent Alain Barrière et Silvia Solar. Son crépuscule sera illuminé par une proposition qui lui vient du théâtre. « le Grenier de Toulouse » lui propose d’intégrer la troupe et d’interpréter de beaux grands rôles dignes de son talent et respectueux de son âge. Elle avait d’abord choisi de rejoindre son cher Maroc et s’était installée à Rabat où elle donnait des cours d’art dramatique mais l’expérience avait tourné court.

Gina Manès jouera au théâtre jusqu’en 1972 à près de 80 ans. Puis elle décide de se retirer et entre en maison de retraite, toujours à Toulouse, la ville qui lui avait tant donné et où elle peut encore aller voir ce qui se donne au grenier.

C’est à Toulouse que Gina Manès s’éteint, seule et oubliée depuis si longtemps de tous, le 6 Septembre 1989 à l’âge canonique de 96 ans. Avec elle toute une page de l’histoire du cinéma se fermait à jamais.

Qui maintenant pouvait encore parler de Louis Feuillère, de Léon Mathot et du beau George Charliat qu’elle avait tant aimé?

Celine Colassin

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QUE VOIR?

1916: Les Six Petits Cœurs des Six Petites Filles: (Ce court métrage est aujourd’hui perdu)

1919: L’Homme sans Visage: Avec René Cresté

1921: Le Sept de Trèfle: Avec Henri Bosc et Jacqueline Arly

1923: L’Auberge Rouge: Avec Léon Mathot

1923: Coeur Fidèle: Avec Leon Mathot

1924: Le Secret d’Alta Rocca: Avec Henri Bosc et Jacqueline Arly

1925: la Dame de Monsoreau: Avec Geneviève Félix

1925: Naples au Baiser de Feu: Avec Gaston Modot et George Charlia

1926: Napoleon et la Revolution: Avec Albert Dieudonné et Damia

1927: Printemps d’Amour: (Ce film est aujourd’hui perdu)

1928: Thérèse Raquin (ce film est aujourd’hui perdu)

1928: Die Heilige und ihr Narr: De et avec William Dieterle

1928: Mädchenschicksale: Avec Vera Schmiterlöw

1929: Sables: Avec Colette Dafeuil

1930: Nuits de Princes: Avec Jaque Catelaib

1931: Une Belle Garce: Avec Georges Benoit

1931: L’ensorcellement de Séville: Avec Georges Charlia et Ginette Maddie

1933: La Tête d’un Homme: Avec Harry Baur

1934: Le Diable en Bouteille: Avec Kate de Nagy et Pierre Blanchar

1935: Barcarolle: Avec Edwige Feuillère et Pierre Richard Wilm

1935: Napoléon Bonaparte: Avec Albert Dieudonné

1936: Mayerling: Avec Danielle Darrieux et Charles Boyer

1936: Les Loups entre Eux: Avec Renée Saint Cyr et Jules Berry

1936: La Brigade en Jupons: Avec Paulette Dubost et Raymond Cordy

1938: La Maison du Maltais: Avec Viviane Romance, Louis Jouvet, Dalio et Fréhel.

1938: Mollenard: Avec Harry Baur et Albert Préjean

1938: Gosse de Riche: Avec Pierre Brasseur et Jeanne Fusier Gir

1939: Le Récif de Corail: Avec Jean Gabin

1945: Les Caves du Majestic: Avec Albert Préjean

1946: Le Bateau à Soupe: Avec Lucienne Laurence et Charles Vanel

1954: La Belle Otero: Avec Maria Félix

1954: Marchandes d’Illusions: Avec Nicole Courcel

1955: Milord l’Arsouille: Avec Jean-Claude Pascal et Simone Bach

1955: Les Carnets du Major Thompson: Avec Martine Carol

1956: Pitié pour les Vamps: Avec Viviane Romance et Geneviève Kervine

1956: Le Couturier de ces Dames: Avec Suzy Delair et Fernandel

1958: C’est arrivé le Premier Mai: Avec Nicole Berger et Yves Montand

1958: Un Certain Monsieur Jo: Avec Michel Simon et Geneviève Kervine

1958: Rafles sur la ville: Avec Bella Darvi, Charles Vanel et Danik Patisson

1959: Les Amants de Demain: Avec Edith Piaf et Michel Auclair

1961: Le Bonheur est pour Demain: Avec Jacques Higelin

1966: Pas de Panique: Avec Pierre Brasseur, Alain Barrière et Silvia Solar

 

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