La vie de Gisèle Pascal, c’est plus que la vie d’une femme heureuse. C’est un véritable conte de fées plein de soleil avec un grand amour. Quelques miracles, un prince, un complot et des chansons. Gisèle Pascal, c’est « My Fair Lady » en vrai. Comme Elisa Doolittle, Gisèle Pascal est une petite bouquetière . Elle est née à Cannes, le 17 Septembre 1921 sous le patronyme de Giselle Marie-Madeleine Tallone. Ses parents sont fleuristes-légumiers mais ne sont pas riches. Giselle a un grand frère, André. Elle aura une petite sœur: Colette.
Qu’importe à la petite Giselle que le Pactole ne coule pas dans les poches de ses parents et encore moins dans sa tirelire enfantine. Dès qu’elle a cinq minutes, elle confectionne de ravissants petits bouquets avec les « chutes » et s’en va, la tête pleine de rêves et de chansons les vendre devant les grands hôtels aux belles élégantes qui en garnissent leurs corsages Poiret ou Chanel avant de s’engouffrer dans leur Rolls, leur Delahaye ou leur Panhard Levassor. Ce petit revenu ne garantit certes pas du caviar tous les jours ni même du poulet. Mais il permet à notre gracieuse héroïne de suivre des cours de danse, ce qui la passionne véritablement et lui donne des ailes pour vendre ses fleurs. Pourtant, si Giselle a un véritable don, c’est celui du chant. Elle égrène à longueur de journée les rengaines à la mode qu’elle connaît par coeur et les notes coulent de sa gorge comme de celle d’un rossignol.
Devenue une éblouissante jeune fille au sourire radieux, Giselle à la chance de ressembler furieusement à la plus en vogue des vedettes de son époque: la magnifique Danielle Darrieux dont elle a aussi la voix cristalline et pure. Elle rencontre aussi son premier amour sur les rives de la Méditerranée. Un certain Raymond Pellegrini à la chaude voix de velours et qui l’envoûte complètement même s’il a trois ans de moins qu’elle. Le beau Raymond rêve d’être acteur. Cela fait bien sûr sourire la belle Giselle. Mais qui en cette fin des années 30 ne rêve pas de cinéma? La guerre hélas va venir bouleverser cette douce insouciance de la manière la plus brutale qui soit. Le monde change, mais la côte d’azur reste, encore, en zone libre. Bientôt vont débarquer les parisiens fuyants et avec eux tout un contingent de gloires cinématographiques et théâtrales chassées de la capitale par la déferlante teutonne.
Giselle en croit-elle ses yeux lorsqu’elle croise dans les rues cannoises Michèle Morgan, Danielle Darrieux, Micheline Presle et son beau fiancé du moment Louis Jourdan? Ces illustres des écrans devisant gaiement comme s’ils étaient le plus naturellement du monde en vacances et non en exil forcé dans le dernier rempart de liberté de leur propre pays.
Giselle va également croiser le chemin du très célèbre Claude Dauphin, acteur et metteur en scène belge, adopté par la France et admiré du tout Paris. Lui aussi est en exil forcé dans le midi et comme peu à peu la vie mondaine et artistique s’organise, il reprend son métier de metteur en scène et monte une pièce de Salacrou. Dauphin, fasciné par la belle Giselle succède à Raymond dans les amours de la bouquetière.
Claude Dauphin engage Giselle dans sa compagnie et la fait débuter dans sa pièce. Nous sommes en 1941. Giselle lui donnant toute satisfaction, il l’impose pour un petit rôle à Yves Allégret dans « Les Deux Timides ». Film qu’il tourne la même année avec Jacqueline Laurent et Pierre Brasseur. L’année suivante, Marc Allégret fait débuter Giselle dans « L’Arlésienne » au côté de Gaby Morlay, de Raimu et surtout dans les bras du beau…Louis Jourdan!
Imagine-on ce que dut être cette époque pour la jeune Giselle devenant Gisèle? Agée de 20 ans, elle est « découverte » par le cinéma, elle partage la vie du beau Claude Dauphin ce qui est à l’époque l’équivalent d’une liaison avec Brad Pitt aujourd’hui. Elle tourne un film avec deux des plus illustres gloires du cinéma national: le grand Raimu et la merveilleuse Gaby Morlay. Cerise sur la pièce montée, son partenaire Louis Jourdan est le fiancé de Micheline Presle et vient de tourner avec Danielle Darrieux le colossal succès qu’est »Premier Rendez-Vous ». Gisèle est parfaite dans le film d’Allégret et il met immédiatement en chantier un autre film où elle sera cette fois la vedette dans les bras de son cher et beau Claude Dauphin.: « La Belle Aventure ». films de « fiancés » puisque le couple Claude Dauphin et Gisèle Pascal y côtoie le couple Micheline Presle-Louis Jourdan.
Dauphin fait entretemps une autre découverte qui fera elle aussi les beaux jours du cinéma français: une jeune fille nommée Danièle Girard qui se destine à une carrière de concertiste. Elle aussi a fui l’occupation et il l’a fait débuter sous le pseudonyme de Danièle Delorme dans » La Belle Aventure ». Mais si tout semble merveilleux sous le soleil encore paisible de la côte d’azur, Claude Dauphin n’en oublie pas la guerre pour autant. Il est l’un des premier engagés dans les forces françaises libres. Bientôt l’occupant interdit ses films dont « La Belle Aventure » qui reste bloqué par la censure hitlérienne.
La guerre, bientôt, accapare complètement Claude Dauphin. Il entre dans la résistance où il se couvrira de gloire. Les trois plus illustres actrices du cinéma français vont déserter Cannes. Michèle Morgan partira pour Hollywood. Danielle Darrieux regagnera Paris avant de s’exiler en Suisse et Micheline Presle, crânement, regagnera elle aussi la capitale, mais pour y rester. En attendant cette envolée de vedettes vers d’autre cieux, on joue et on tourne toujours tant et plus sur la côte d’Azur!
Restée seule, Gisèle n’aura pas le temps de s’ennuyer. Le cinéma la considère comme une de ses plus magnifiques recrues et elle est sollicitée par Marcel L’Herbier qui fait mouche en utilisant son talent de chanteuse dans « La Vie de Bohème » où elle retrouve encore le beau Louis Jourdan. Avec ce film et son film suivant, « Lunegarde », Gisèle devient une star et fêtera la libération de la France en 1945 comme une des actrices les plus cotées et les plus en vogue de son cinéma. Pourtant, dans « Lunegarde », déjà se profile une nouvelle génération d’actrices, Dany Robin y fait ses jolis débuts.
En 1946, Gisèle fait la conquête du jeune Yves Montand et le « souffle » à Edith Piaf qui le couvait comme s’il s’agissait d’un poussin qu’elle avait elle-même pondu et fait éclore. Ce qui n’est d’ailleurs pas tout à fait faux. Piaf ne consentira jamais à reconnaitre la moindre défection chez ses amants et déclarera avoir « congédié » Montand. Montand ne fera pas de commentaires et de toutes manières, l’histoire ne dura pas.
Gisèle Pascal est donc une grande vedette dans la France de l’immédiate après guerre. Mais les plus illustres des cinéastes retrouvèrent avec un émoi mal dissimulé les grandes étoiles d’avant le cataclysme. Michèle Morgan rentre toute auréolée d’un nouvel éclat hollywoodien pour recevoir le premier prix d’interprétation au festival de Cannes. Elle reprend d’emblée son statut de première dame. Danielle Darrieux retrouve bientôt les faveurs du public et si Mireille Balin passe à la trappe, Viviane Romance, Ginette Leclerc , Simone Simon et Odette Joyeux monopolisent à nouveau le haut des affiches. La seule véritable absente à part Mireille Balin, c’est Arletty.
Gisèle tourne beaucoup. Mais hélas les cinéastes qui font appel à ses nombreux talents seront désormais de moindre envergure que ceux qui la sollicitaient durant l’occupation. Car enfin, Marc Maurette n’est pas Marcel L’Herbier et Robert Vernay n’a rien d’un Allégret. Si elle est très populaire et que ses films sont de très grands succès, elle ne trouve en cette prolifique période qu’un seul grand rôle à se mettre sous la dent: celui de l’aviatrice morte à 26 ans, Hélène Boucher, dans »Horizon sans Fin » où elle a la chance d’être dirigée par Jean Dréville.
Mais il est un autre point de détail qui empêche, me semble-il, Gisèle Pascal de devenir une des plus grandes. Elle reste et restera à tout jamais une fille du midi. Et si les hostilités guerrières terminées, le cinéma regagne Paris, Gisèle laisse son coeur au bord de la mer.
Maintenant qu’elle gagne beaucoup d’argent, elle n’a de cesse que de s’offrir une jolie maison les pieds dans l’eau. Ce sera au Cap Ferrat. Son plus proche voisin n’est autre que le prince Rainier III de Monaco momentanément exilé de son rocher. Entre ces deux-là, le coup de foudre est instantané et donne naissance à un vrai grand amour. Gisèle Pascal va partager durant six ans sa vie entre le cinéma et l’amour du prince Rainier. Mais en 1953, lorsqu’il est question que le prince prenne femme, la raison d’état éloigne Gisèle. La jeune femme est d’origine judéo-polonaise, ce qui rend l’idée même de la voir régner sur la très catholique principauté complètement absurde. En outre, les origines par trop modestes de cette fille sortie tout droit des fruits et légumes même pas en gros rend l’idée de cette union scandaleuse. Comment imaginer que les grands de ce monde puissent s’incliner respectueusement devant cette saltimbanque à qui ils ont acheté quelques années plus tôt, un minable brin de mimosa dans un geste de pitié mal déguisée. Décidément non, Gisèle Pascal ne peut être une altesse! Par contre, la liaison du prince et de l’actrice avait été très relayée par la presse et avait ému bien des chaumières. Toutes les âmes romanesques, qu’elles soient de Monaco ou d’ailleurs s’insurgèrent. On ne brise pas l’amour des princes et des bergères! Cela ne se fait pas! On argumenta alors la stérilité de Gisèle, éliminée pour ne pouvoir donner d’héritier au trône!
L’idée de marier le prince Rainier à une actrice fit son chemin parmi ses conseillers, mais il s’agissait de faire les choses en grand. Il fallait viser le luxe d’Hollywood! On sollicita Marilyn Monroe qui remise de son évanouissement ne répondit même pas! Jayne Mansfield fit alors savoir qu’elle était tentée. C’est Monaco qui cette fois ne répondit pas. Ce fut le tour de Grace Kelly après une brève tentative avec Bella Darvi. Durant toutes ces tractations qui sont au grand amour ce que la saucisse de Francfort est à la gastronomie française, Rainier batailla pour épouser la femme de sa vie. Tout simplement. Il n’eut pas gain de cause mais le jour de sa rupture avec Gisèle, il déclara à ses conseillers en rentrant au palais: « Si un jour mes sujets croient que je ne leur suis pas dévoué, rappelez-leur qu’aujourd’hui je leur ai sacrifié ma vie« . Ses conseillers agitèrent alors sous son nez princier le chèque de 20 millions de dollars extirpé au père de Grace Kelly. Une garantie fut-il prétendu, que la promise, roturière peut-être, star de cinéma peut-être mais surtout fille de milliardaires prendrait ces épousailles très au sérieux.
Gisèle, bafouée, meurtrie et pourquoi pas le dire insultée, mit le grappin sur le beau Gary Cooper rencontré lors d’une une villégiature festivalière cannoise et avec qui elle tournera « Boum sur Paris ». Histoire sans doute de ne pas rester tout à fait le dindon de la farce et passer à autre chose avec un certain panache! Surtout lorsque l’on sait que Grace avait été très amoureuse de Gary avant de passer à Oleg Cassini et Bing Crosby.
Il jouait un cambrousard dans le film. Gisèle y était une citadine un rien perverse et il finissait par la tuer. Le jour où l’on tourna la scène du meurtre, après l’avoir tuée, Raymond Pellegrin lui demanda sa main. Le tendre amour des jeunes années était revenu chambouler les cœurs. Sans doute plus fort encore qu’autrefois puisque Gisèle et Raymond ne sont plus les jeunes rêveurs de jadis mais des adultes accomplis avec un réel vécu.
Cet amour là allait durer pour toute leur vie. Un mariage de 51 belles années, célébré le 8 Octobre 1955. Le couple aurait une fille, Pascale, née en 1962 ce qui mit très à mal les conseillers monégasques qui avaient clamé sur tous les toits la prétendue stérilité de l’actrice. A l’avènement des années 60 et de la dévastatrice nouvelle vague, Gisèle trop grande dame et bien trop classieuse pour ces freluquets qui ne sont encore que de pompeux amateurs plus grossiers que talentueux s’installe en Camargue après avoir longtemps vécu en Provence et met la pédale douce. Elle est présente à la télévision, joue beaucoup au théâtre, mais délaisse le cinéma où on ne la retrouve que de ci de là, comme par surprise, j’ai failli dire « par enchantement ».
On ne la reverra que quatre fois au cinéma après 1970 et si ses apparitions à la télévision furent plus nombreuses, elles restèrent malgré tout très épisodiques;
Gisèle Pascal s’éteignait à Nîmes le 2 Février 2007. Raymond Pellegrin était auprès d’elle et terrassé par le chagrin il ne lui survécut que huit mois.
Pascale avait 85 ans et Raymond 82.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1941: Les Deux Timides: Avec Jacqueline Laurent, Claude Brasseur et Claude Dauphin
1942: L’Arlésienne: Avec Gaby Morlay, Louis Jourdan et Raimu
1942: La Belle Aventure: Avec Claude Dauphin, Micheline Presle et Louis Jourdan.
1945: La Vie de Bohème: Avec Maria Denis, Louis Jourdan et Suzy Delair
1945: Lunegarde: Avec Gaby Morlay et Jean Tissier
1946: Les J3: Avec Richard Nery et Saturnin Fabre
1946: Madame et son Flirt: Avec Andrex et Denise Grey
1947: Dernier Refuge: Avec Raymond Rouleau
1947: Tombé du Ciel: Avec Claude Dauphin et Jacqueline Gauthier
1947: Amours, délices et orgues: Avec Jean Desailly
1948: Mademoiselle s’amuse: Avec Ray Ventura
1950: Véronique: Avec Jean Desailly
1950: La Petite Chocolatière: Avec Claude Dauphin
1953: Horizon dans Fin: Avec Paul Frankeur, Maurice Ronet et Jean Chevrier
1954: Boum sur Paris: vec Gary Cooper, Jacques Pills et Danielle Godet
1954: Le Feu dans la Peau: Avec Raymond Pellegrin et Philippe Lemaire
1954: Marchandes d’illusions: Avec Raymond Pellegrin, Louise Carletti et Nicole Courcel
1954: Si Versailles nous était Conté: (Elle est Louise de Lavallière)
1956: Pitié pour les Vamps: Avec Viviane Romance et Geneviève Kervine
1958: Si Paris nous était Conté: Avec Danielle Darrieux, Sophie Desmarets et Françoise Arnoul
1959: Ca n’arrive qu’aux Vivants: Avec Raymond Pellegrin, Magali Noël et Daniel Cauchy
1962: Le Masque de Fer: Avec Jean Marais, Sylvia Koscina et Claudine Auger
1963: Seul…A corps perdu: Avec Yves Massard
1970:Un caso di coscienza: Avec Françoise Prévost, Antonella Lualdi, Raymond Pellegrin et Lando Buzzanca
1983: En Haut des Marches: Avec Danielle Darrieux , Micheline Presle et Hélène Surgère.
1983: Les Compères: Avec Pierre Richard et Gérard Depardieu
1984: La Femme Publique: Avec Valérie Kaprisky
1988: Juillet en Septembre: Avec Anne Parrilaud