Si on pose à tout cinéphile la question « Quelle est l’actrice fétiche d’Ingmar Bergman? » La réponse sera très probablement « Liv Ullmann » ou » Ingrid Thulin » Pour ma part je m’exclamerai « Eva Dahlbeck »! Mais qui répondra « Harriet Andersson »? Et pourtant!
C’est le 14 Février 1932 qu’Harriet Anderson naît à Stockholm comme les deux illustres qui l’ont précédée: Greta Garbo et Ingrid Bergman. Mais depuis les temps glorieux de Greta et d’Ingrid, le monde et le cinéma avec lui auront changé lorsqu’à son tour, Harriet deviendra actrice. La famille Andersson n’est gère riche mais la vocation d’actrice de la jeune Harriet n’en sera ni diminuée ni contrariée pour autant. D’ailleurs la jeune fille ne peut ignorer que l’icône nationale qu’est encore Greta Garbo est issue d’un milieu bien plus pauvre encore. Son père ne nettoyait-il pas les latrines publiques? Ce qui n’avait pas empêché miss Greta Lovista Gustafsson de mette Hollywood et le monde à ses pieds.
Harriet étudiera donc l’art dramatique et si l’on n’est pas à Broadway, il y a aussi des music-halls à Stockholm! La jeune apprentie comédienne alternera pièces de théâtres et revues jusqu’à mener celle de « La Scala » en 1950.
L’année précédente elle avait également débuté au cinéma, à peine une figuration en jeune étudiante dans un troupeau d’élèves. Ce n’était pas très glorieux mais ca valait bien les premiers films publicitaires pour des chapeaux ou pour les automobiles Lancia de Greta. Et puis n’y avait-il pas dans la distribution Mimi Polak qui fut une des intimes de Greta durant ses années d’études et ses débuts dans le cinéma suédois? Mimi qui avait appris à fumer et à boire à Greta pour se donner des airs d’affranchies? Nul doute que si Harriet était à la recherche de petits signes d’encouragements du destin, celui-là valait son pesant d’or!
Harriet tournera encore quelques films où elle ne paraît qu’à peine mais déjà se forge une image, se crée un personnage: Comme Ingrid Bergman, Harriet déteste le maquillage et le fait savoir. Elle n’a également que peu d’intérêt pour les rôles de jeunes premières compassées et transies d’amour pour le héros du film. Elle préfère les rôles de jeunes ouvrières ou de paysannes luttant pour leurs convictions quitte à porter des haillons et coiffée avec un pic à foin et mourir à la fin du film vaincue mais intègre. Dans « Sourires d’une nuit d’été n’est-elle pas au milieu de toutes ces élégantes froufroutantes la petite boniche délurée et facilement culbutée?
Bientôt elle sera pour le cinéma suédois ce que Lucia Bose est pour le cinéma italien: La belle sauvageonne qui a oublié d’être idiote.
Peu à peu, sa réputation grandissant, Ingmar Bergman alors en charge du théâtre de Malmö avait invité Harriet à se produire sur sa scène. Elle avait accepté. Ces deux-là auront une liaison. Trop courte pour qu’elle présente un intérêt quelconque hormis pour les deux intéressés, mais nous somme sen 1952 et lorsqu’Ingmar demande à Harriet de tourner nue pour lui elle accepte immédiatement sans se poser de questions. Cela lui semble être dans la logique des personnages de filles libres et débarrassées de préjugés bourgeois qui sont et resteront sa spécialité à l’écran.
Une étrange légende voudrait qu’Ingmar Bergman ait fait tourner Harriet après l’avoir repérée alors qu’elle était demoiselle d’ascenseur à Malmö. Bergman n’est pas « nouvelle vague », ce qui en 1952 n’existe d’ailleurs pas encore. Il ne fera jamais appel à des coiffeuses, des ouvrières d’usines ou des marchandes de boîtes à outils pour en faire les actrices de ses films. Et puis, en 1952, Harriet Andersson a déjà tourné plus de dix films et vient de faire ses débuts à la télévision!
Je l’imagine mal faire des heures supplémentaires dans les ascenseurs de province!
Si la liaison entre Ingmar Bergman et Harriet Andersson ne dura que ce que durent les perce-neiges, Ils resteront amis pour la vie et Harriet deviendra l’une des actrices essentielles de son œuvre pourtant prolifique. Harriet entamera une très longue liaison avec Jörn Donner, écrivain, réalisateur et producteur finnois d’un an son cadet, toujours marié à une autre et père de sa fille Petra. Donner travaillera beaucoup avec Ingmar Bergman et produira certains de ses films dans lesquels bien entendu, Harriet joue!
Donner et Bergman sont et resteront les hommes clés de la carrière d’Harriet Andersson
C’est Donner qui produire « Fanny et Alexandre », le film qui vaudra quatre Oscars à Ingmar Bergman. Harriet pour sa part aura toujours une nette préférence pour le « Songe d’une Nuit d’Été » qui reste son film et son rôle préféré. Elle nommera d’ailleurs sa fille Petra en souvenir de son personnage dans le film.
Le cinéma suédois s’est nettement moins exporté que le cinéma américain, italien, anglais, allemand ou même espagnol. Il est donc difficile pour nous, francophones, de nous faire une idée précise d’Harriet Andersson à travers le prisme de son travail au cinéma en dehors de ses collaborations avec Ingmar Bergman. Cette collaboration certes prestigieuse a le mérite de nous l’avoir faite découvrir mais éclipse le reste d’une carrière de plus de 60 ans et qui perdure aujourd’hui.
Malgré un prestige international à défaut de gloire ou de box officie, Harriet elle-même restera insensible aux sirènes étrangères. Elle reste en Suède. Après avoir été la Lucia Bose nationale, elle en deviendra la Diane Keaton!
Seuls Sidney Lumet et Jerry Lewis avaient réussi à l’intéresser. En 1966 Lumet la dirige pour « The Deadly Affair », ce qui la fait tourner en anglais avec James Mason et Simone Signoret. En 1972 c’est Lewis qui la dirige dans « The Day the Clown Cried ». On connaît l’histoire navrante de ce film qui ne connut jamais de distribution et dont le scénario, écrit par la très belle Joan O’Brien en 1962 préfigure « La Vita e Bella ». Jerry Lewis après avoir longtemps hésité sur le rôle d’un clown dans un camp de concentration avait bourse délié pour mener l’entreprise à bien avant de bloquer le film dont il juge le résultat désastreux. Si le film était sorti, la carrière d’Harriet Anderson en aurait-elle été changée? Je me permets d’en douter, car son parcours entier ne reflète qu’une série de choix et non de hasards ou d’opportunités.
Puis il faudra attendre 2003 et »Dogville » de Lars von Trier pour la retrouver dans une œuvre de portée internationale. Ce sera d’ailleurs, à ce jour, la dernière apparition d’Harriet Andersson au grand écran ce qui ne l’empêche pas malgré ses 90 ans approchants de rester très active à la télévision…suédoise comme il se doit.
Et pour boucler la boucle en beauté, si Harriet Andersson ne devint pas la nouvelle Greta Garbo pour Hollywood, la télévision, toujours elle, lui offre le remake du premier grand triomphe suédois de la divine: « La Légende de Gösta Berling » Joli clin d’œil!
Celine Colassin
QUE VOIR?
1950: Skolka Skolan: Avec Sickan Carlsson et Mimi Polak
1950: Stjärnsmäll i Frukostklubben: Avec Sigge Fürst
1951: Puck Heter Jag: Avec Sickan Carlsson
1952: Ubåt 39: Avec Eva Dahlbeck
1952:Trots: Avec Eva Dahlbeck et Anders Henrikson
1953: Sommaren med Monika: D’Ingmar Bergman avec Lars Ekborg
1954: En Lektion I Kärlek (Une Leçon d’Amour) d’Igmar Bergman avec Eva Dahlbeck
1955: Kvinnodröm (Rêve de Femmes) d’Ingmar Bergman avec Eva Dahlbeck
1959: Noc Poslubna: Avec Ignacy Gogolewski
1961: Barbara – Wild wie das Meer: Avec Helmut Griem et Maria Sebaldt
1961: Siska – En Kvinnobild: Avec Lars Ekborg
1963: En Söndag i September : De Jörn Donner: Avec Harry Ahlin
1964: Älskande Par: De Mai Zetterling avec Gunnel Lindblom
1965: Lianbron: Avec Mai Zetterling
1966: The Deadly Affair: Avec James Mason et Simone Signoret
1967:Människor möts och ljuv musik uppstår i Hjärtat: Avec Eva Dahlbeck
1968: Jag älskar, du älskar: Avec Evabritt Strandberg
1970:Anna: de Jörg Donner avec Pertti Melasniemi
1972: Cris et chuchotements: D’Ingmar Bergman avec Liv Ullmann et Ingrid Thulin
1972: The Day the Clown Cried: Avec Jerry Lewis, Peter Ahlm et Serge Gainsbourg
1979: La Sabina: Avec Anastasio Campoy
1982: Fanny et Alexandre: d’Ingmar Bergman Avec Bertil Guve
1991: Kajsa Kavat (Court métrage) Avec Matilda Lindgren et Mimi Pollak
1997: Selma & Johanna en Roadmovie: Avec Jakob Eklund
1999: Happy End: Avec Stefan Norrthon
2000: Gossip: Avec Pernilla August
2003: Dogville: Avec Nicole Kidman et Lauren Bacall
2006: Bip Bop Bip Bop Bap (court métrage) Avec Per Morberg