Bien peu des fans inconditionnels de Sarah Bernhardt eurent l’occasion de l’applaudir sur scène. Certains mêmes auraient été incapables de situer la France sur la carte de monde, alors Paris et la maison de Molière…Mais Sarah possédait la chose la plus essentielle du monde: une légende. Une légende qui donnera leur style à plusieurs générations de comédiennes. Le port altier le geste emphatique, le texte appuyé, les grandes dames du théâtre français étaient nées et allaient bien entendu descendre des scènes de théâtre pour se faire admirer sur les écrans de cinéma. La grande Sarah elle-même y avait consenti. Mary Marquet, Françoise Rosay, Elvire Popesco, Marie Bell, Annie Ducaux, Edwige Feuillère seront de celles-là avant que la génération des Girardot, des Flon, des Moreau ne les démodent.
Huguette Duflos sera elle aussi, telle Sarah une grande dame début de siècle qui sortie de la comédie française en claquant les portes investit les écrans muets.
Le 24 Aout 1887, Hermance Joséphine Meurs voit le jour à Limoges, fait qu’elle contestera toute sa vie La famille Meurs quittera en effet le Limousin pour s’expatrier à Carthage en Tunisie. C’est là que la future Huguette Duflos décidera être née à une date qui lui conviendra mieux. Ce qui rend parfois laborieuse la lecture de ses excellentes mémoires hélas entachées de brouille avec les dates! En ces terres lointaines, Hermance Meurs sera confiée aux bons soins de l’institution Sainte Monique dont elle sortira dira-elle avec la vocation d’artiste après avoir joué un ange dans une saynète de Noël. La famille rentrera en France au début du nouveau siècle. Hermance a l’âge du lycée, bientôt elle obtiendra l’autorisation parentale pour les cours du conservatoire d’art dramatique où le célèbre Raphael Duflos sera son professeur.
Fascinée par Duflos comme un canari par un serpent, Hermance Meus l’élève deviendra Huguette Duflos l’épouse. Nous étions le 5 novembre 1910, la jeune mariée au physique de poupée blonde a 23 ans, son époux a la barbe taillée façon Landru en a 52. Quelques années plus tard, Huguette Duflos entra à la comédie française, la maison de Molière, Molière qui est le seul auteur qu’elle redoute de jouer!
Bien entendu, Huguette, d’une grande beauté fut très vite sollicitée par le cinéma. Mais la belle se faisait tirer l’oreille. Elle savait que la grande Sarah s’était évanouie d’horreur en se voyant sur un écran. Il faudra la persévérance de son époux pour qu’elle accepte de lui donner la réplique dans un film bien qu’elle se soit déjà montrée à l’écran dès…1908!
Ca et une guerre! Les Français étant mobilisés, l’actrice trouvait de bonne guerre, c’est le cas de le dire, de se faire filmer afin que les valeureux combattants puissent l’admirer sur le front. Bien sûr elle minauda beaucoup, se plaignant qu’on la fit attendre et pire encore, refaire des scènes. Attendre et se taire! décidément non, le cinéma n’était pas pour elle! Ce qui ne l’empêchera pas de tourner sans relâche durant plus de quinze ans! La star allait de succès en succès et se plaignait toujours autant, c’était dans sa nature!
En 1924 après 40 ans de bons et loyaux services, Raphael Duflos quitte la comédie française en claquant la porte. Deux ans plus tard, son épouse l’imite et quitte l’illustre maison à grand fracas glapissant son mépris pour ces jeunes écervelées vénales et carriéristes que l’on ose engager pour lui donner la réplique, ce qui peut se traduire par des comédiennes plus jeunes qu’elle, un outrage à ses yeux! »La » Duflos décide de s’adonner au théâtre de boulevard. Malheureusement pour elle, non seulement sa pièce fait un four mais la comédie française faisant valoir ses droits la traîne devant les tribunaux pour un retentissant procès…Qu’elle perd! Huguette Duflos reviendra honorer le reste de son contrat et ne sera libérée de la comédie française qu’en 1927.
Etrangement, après avoir rompu avec la comédie française, le couple Duflos se sépare après 17 ans d’union. Huguette Duflos, très crâne et ne manquant pas d’humour, se fait dorénavant appeler Huguette ex Duflos!
De retour d’une tournée triomphale avec Maurice Escande, autre élève de son ex mari, Huguette eut la surprise de découvrir un cinéma qui s’était mis à parler! Elle se frotta les mains et se racla la gorge, parler c’était son métier. Elle excellait au théâtre, elle excella au cinéma. Trop! Le style grande époque lancé par Sarah s’était démodé, le jeu d’Huguette Duflos aussi et le cinéma parlant ne marqua pas la première étape d’une nouvelle carrière mais le déclin de la précédente. Il y avait une autre ombre au tableau. Le cinéma avait mis bien longtemps pour se montrer digne d’elle. La belle Huguette avait 40 ans à la naissance du micro, elle ne pourrait pas donner sa pleine mesure dans les rôles de jeunes premières où elle avait glané tant de succès…En silence.
Ses rôles vont perdre en importance. Elle se fera, comme Françoise Rosay et Mary Marquet, une spécialiste des rôles de grandes dames excessives et un rien effrayantes, ce n’est pas pour rien qu’elle fut Marie de Médicis et la reine Hortense à l’écran.
Après le Capitan en 1946, année de la mort de Raphael Duflos, Huguette Duflos s’éloigne quasi définitivement des écrans, ne réapparaissant plus que deux fois: En 1952 pour « Jupiter » et en 1962 pour « Les Petits Matins » de Jacqueline Audry. Huguette Duflos a 72 ans. Mais si elle est une actrice à la retraite, elle n’est pas une femme inactive. Elle livrera longtemps ses chroniques assassines à plusieurs journaux avant de laisser l’oubli se faire sur son souvenir et son nom.
Huguette Duflos s’éteint à Paris le 12 Avril 1982 à l’âge vénérable de 95 ans!
Celine Colassin
QUE VOIR?
1908: L’Assassinat du Duc de Guise: Avec Gabrielle Robinne et Berthe Bovy
1914: L’Infirmière: Avec Yvonne Briey et Jeanne Brineau
1916: L’Instinct: Avec Suzanne Avril et Raphael Duflos
1917: Son héros (court métrage) avec Léon Mathot
1918: Les Bleus de l’Amour: Avec Denise Grey et Louis Baron Fils.
1921: Lily Vertu: Avec Armand Numès
1921: Mademoiselle de la Seiglière: Avec Maurice Escande et Charles Granval
1922: Les mystères de Paris: Avec Georges Lannes
1927: Yasmina: Avec Camille Bert et Léon Mathot
1927: Palaces: Avec Blanche Beaume et Léon Bary
1931: Le Procès de Mary Dugan: Avec Charles Boyer et Françoise Rosay
1937: Les Perles de la Couronne: Avec Sacha Guitry, Jacqueline Delubac et Arletty
1937: Maman Colibri: Avec Jean-Pierre Aumont
1939: Visages de Femmes: Avec Pierre Brasseur
1943: Des Jeunes Filles dans la Nuit: Avec Louise Carletti et Gaby Morlay
1946: Le Capitan: Avec Claude Genia et Pierre Renoir
1952: Jupiter (Douze Heures de Bonheur): Avec Dany Robin et Georges Marchal
1962: Les Petits Matins: Avec Agathe Aems, Pierre Mondy et Darry Cowl