Ilse Werner

Il n’est jamais simple, surtout pour moi qui ne suis ni journaliste ni archéologue mais seulement cinéphile, d’évoquer le parcours d’actrices impliquées dans les fanfaronnades filmées et propagandistes du sanglant troisième Reich. C’est le cas de la très belle Ilse Werner qui fit beaucoup pour le morale des troupes allemandes de ce fameux IIIème Reich en question. Mais il y avait une guerre. Les soldats se battaient c’était leur rôle. Ilse était actrice et chanteuse. Elle chantait, elle jouait, c’était son rôle. Et puis durant les guerres, ils y a des soldats qui meurent mais il y a aussi des familles. Des familles privées de père, de frère de mari, de fils. Des familles qui attendent. Alors si « La fille qui Siffle » leur a apporté un peu de joie, ne fusse qu’un seul sourire dans ces années de peur de solitude d’angoisse et de deuil, qu’elle en soit remerciée.  »La Fille qui Siffle » C’est sous ce surnom qu’Ilse Werner sera célèbre et aimée en Allemagne. Elle est pourtant de nationalité hollandaise!

Elle a vu le jour le 11 Juillet 1921 à Batavia en Indonésie au temps de la colonisation hollandaise.  Ses parents ont fait fortune en cultivant le thé et le riz. Elle a d’ailleurs une grand’mère chinoise. Aujourd’hui, notre jeune demoiselle naîtrait à Jakarta. Elle est Isle Charlotte Still de nationalité néerlandaise pour l’état civil. C’est sa maman qui est allemande et qui s’appelle Ilse Werner. La famille quittera la colonie en 1931, Ilse a dix ans. Ils s’installent d’abord à Frankfort puis en 1936 déménagent pour gagner Vienne. Ilse a quinze ans et rêve de cinéma, de théâtre, d’opérette. Danser, rire et chanter, voilà ses ambitions en trois maîtres mots.

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Quelle ne sera pas sa joie lorsque ses parents accepteront de lui laisser suivre sa vocation et qu’elle sera reçue à l’académie Max Reinhardt!

L’académie Reinhardt est alors le sacro saint des saints, le nec le plus ultra. Toutes les aspirantes actrices rêvent d’y être acceptées et celles qui n’y ont jamais mis un pied comme Marlène Dietrich se revendiqueront quand même du précieux enseignement. Elle adopte le nom de jeune fille de sa mère pour « faire carrière », ce dont elle ne doute pas un seul instant, bien incapable d’imaginer que déjà la fin du monde est en marche et que la fureur se prépare. Inexorablement.

En 1937 elle joue au théâtre.

En 1938 elle débute au cinéma dans « Finale ». Un petit rôle encore, dans l’ombre de la grande vedette Kate de Nagy. Le film fait un énorme succès et sa version française rebaptisée « Sourire de Vienne » en fait tout autant. Aussitôt la UFA voit en elle une jolie jeune première et lui propose un contrat. C’est la première fois qu’Ilse va être confrontée à la politique du pays.

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Elle est de nationalité hollandaise. Pays où elle n’a jamais mis les pieds mais dont elle est quand même ressortissante. Elle doit donc obtenir une dérogation spéciale de la reine Wilhelmine pour pouvoir signer le contrat proposé par la UFA. C’est que voyez-vous, sa majesté la reine des Bataves n’aime guère que ses sujets fricotent avec des membres du pari national socialiste d’Hitler! Ilse obtiendra malgré tout son autorisation puisque sa mère est allemande, qu’elle vit en Allemagne et n’a jamais vécu en Hollande.

On peut évidemment et en toute logique se dire que dès 1938, Ilse est prévenue de la dangerosité de la situation en Allemagne. Elle a tourné avec Kate de Nagy qui s’apprête à fuir dare-dare le pays et la reine Wilhelmine elle-même s’ébouriffe à l’idée de la voir devenir une actrice sous contrat à la UFA. En outre le film qu’elle a tourné est le dernier film tourné en Autriche avant l’annexion du pays par Hitler! Certes, tout cela est vrai. Mais tout d’abord Kate de Nagy n’a jamais été connue pour faire savoir ses opinions à qui que ce soit. A fortiori si elle comptait prendre, mine de rien la poudre d’escampette! Elle n’allait pas confier ses projets et les raisons de ceux-ci à cette jeune fille qui n’était rien d’autre pour elle qu’une partenaire de jeu. Ensuite, la reine de Hollande est aussi étrangère et lointaine à Ilse Werner que Gengis Khan soi-même!

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Et puis, encore et surtout, Ilse a dix-sept ans! Quelle jeune fille de dix-sept ans rêvant de cinéma abandonnerait ses rêves les plus fous sur le point de se réaliser sous prétexte que la politique de son pays d’adoption ne plaît pas à tout le monde? Aucune! Et à ce tarif là il faudrait conspuer TOUS les acteurs français qui ont joué pendant que se déroulait la guerre d’Algérie! Je sais que ca n’a rien à voir mais c’est quand même exactement pareil. C’est même pire! Puisque l’Allemagne de 1938 est encore une Allemagne en paix. Ce qui n’est pas le cas de la France, entendant bien maintenir son pouvoir par la force sur des pays conquis! Sans vouloir défendre la candeur d’Ilse Werner à tout crin, j’ajouterai que « Finale » avait connu un succès retentissant jusqu’en Amérique et que la MGM avait proposé un contrat à la jeune Ilse. Elle s’en était évanouie de bonheur! Hollywood!

Mais entretemps, le contrat UFA avait fait son apparition et c’est le père d’Ilse qui craignant les mœurs hollywoodiennes très dissolues disait-on pour sa fille mineure refusa de la laisser partir . Au  grand désespoir de celle-ci.

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La reine  Wilhelmine donna donc son consentement. Du bout des doigts, sans doute, mais qu’importe. Ilse signa son précieux contrat. Elle chanta, elle joua, elle siffla et le peuple Allemand, encore baigné d’illusions frelatées, l’adora. Et la guerre vint.

Ilse Werner continue son métier. Elle est avec Zarah Léander une des actrices préférées des Allemands durant la sombre période de guerre. Une Suédoise et une Hollandaise! Petit détail qui ne manque pas de piquant en haut des affiches teutonnes de ces années là.

L’Allemagne ayant imposé son embargo sur les productions américaines, Ilse et Zarah seront aussi deux des actrices préférées de  tous les européens et donc des Français durant l’occupation puisque les films allemands, eux, déferlent sur les écrans. Ilse la star teutonne n’est pas, durant le court règne d’Hitler, une intouchable comme pourrait le laisser croire son statut de superstar adorée du public européen. Parce qu’elle a tourné un film où son bel amoureux Rudi Godden songe à déserter l’armée pour fuir avec elle au lieu d’aller se faire trucider au front, elle se fait vertement tancer par les sbires d’Hitler. Le film est purement et simplement confisqué. Les scènes contre productives aux yeux du régime avaient été un peu « améliorées » par Ilse et son partenaire qui les trouvaient un peu médiocres. Ils avaient fait passer dans leur jeu le désespoir d’une séparation que l’on imaginait alors définitive pour une cause qui n’était pas celle de l’amour mais du parti.

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Dorénavant Ilse continuera son travail sous a très haute surveillance du parti. Pas une réplique, pas un battement de cil qui ne soit sous contrôle. Quant au beau Rudi Godden, il disparaîtra purement et simplement. A titre d’exemple sans doute.

Après la disparition de Rudi Godden, un autre de ses partenaires, Joachim Goddschack met fin à ses jours quelques jours après la fin du tournage de leur film. Il se tue, à bout de persécutions nazies incessantes et de plus en plus violentes. La menace que faisait planer le troisième Reich sur tous les Allemands, qu’ils soient artistes ou non, célèbre sou pas, est loin d’être une légende et tout le monde n’avait pas le cran ou l’inconscience d’une Zarah Léander pour se payer leur tête et les traiter ouvertement de singes! Ajoutons qu’elle-même finira par « baisser d’un ton » et prendre très opportunément la fuite en pleine nuit!

C’est dans ces conditions qu’Ilse tournera ses films les plus propagandistes qui lui seront vivement reprochés à la fin de la guerre. Des films dont les spectateurs se compteront en millions, toutes nationalités confondues à travers l’Europe. Il est d’ailleurs fort probable pour ne pas dire évident que l’on a plus reproché à Ilse Werner son succès plutôt que son travail. Après tout, elle a eu bien plus d’ennuis à la fin de la guerre que d’autres actrices aux succès plus médiocres mais qui n’avaient pas hésité à se pavaner au bras d’Hitler soi-même! Frappée de blâme et d’interdiction pour deux films particulièrement propagandistes, la condamnation d’Ilse Werner est injuste et arbitraire. Tout d’abord parce que nul n’est tenu à la bravoure sous la menace de mort pour soi et les siens. Ensuite, parce qu’à l’époque les forces d’occupation n’ont pas accès aux films qu’Ilse a tournés au mépris du danger et que les nazis ont interdits et confisqués parce que contraires à l’éthique du parti.

C’est le cas d’un film magnifique, parvenu jusqu’à nous par miracle, « La Paloma » où Ilse Werner se montre sublime de beauté et baignée d’un sombre désespoir qui scandalisa Goebbels!

Interdite d’exercer son métier, c’est dans les bras d’un journaliste américain épousé en Allemagne qu’elle quittera le pays pour la Californie en 1948. Vingt ans après l’offre de la MGM.

Divorcée, Ilse reviendra en Allemagne et tentera de retrouver sa place. Et si Ilse Werner revient à l’écran, c’est pace que le très illustre réalisateur G.W. Pabst la réclame, trouvant tout à fait indignes de la vérité , la punition et la stigmatisation d’Ilse Werner comme égérie du pari nazi. Hélas, l’actrice ne retrouvera plus de rôles aussi brillants qu’elle a tenus dans la période paradoxalement la plus sombre du siècle. C’est qu’hélas, la paix revenue, on ne tourne plus en Allemagne de films aussi merveilleux que « Les Aventures du Baron de Münchhausen » dont Ilse était la star éblouissante.

La faute n’en incombe pas qu’au cinéma. Marquée par les épreuves bien plus qu’on ne pourrait le croire, Ilse qui incarnait si magnifiquement la fougue et l’insouciance de la jeunesse se montre dans ses films d’après guerre comme une bourgeoise éteinte et fatiguée. La petite flamme magique s’est perdue dans les horreurs du temps. Elle tourne des films, sort des disques mais sa seconde carrière n’a plus rien en commun avec la première. Si Ilse Werner n’est pas morte, elle s’est quand même éteinte.

Rappelée par Pabst en 1949 pour un premier rôle dans « Profondeurs Mystérieuses », elle cesse de tourner et prend une retraite qu’elle-même croit définitive dès 1955. Elle mettra dix ans avant d’accepter un rôle à la télévision. Elle travaillera jusqu’à un âge avancé, 79 ans, dégringolant les derniers échelons de la gloire jusqu’à finir en vielle dame assassinée dans des feuilletons comme « Derrick » ou « Tabor ».

Sa carrière au cinéma arrêtée en 1955 ne connaîtra qu’un seul retour: en 1990 dans le très médiocre « The Hallo Sisters »

Elle s’éteint pour de bon, paisible et silencieuse dans sa maison de retraite le 7 Août 2005.

Ilse Werner fut très célèbre en son temps comme » La Fille qui Siffle », ce qu’elle faisait magnifiquement. Or, si elle se mit à siffler, c’est parce qu’en ces temps de comédies musicales, sa voix n’était pas très harmonieuse. Elle chantait juste et bien mais elle n’avait pas l’organe exceptionnel. Elle siffle donc pour pallier à ce défaut. Cela restera à jamais sa marque de fabrique. Micheline Dax en France tentera de lui succéder dans l’emploi au début des années 50 et on peut l’entendre siffler l’intro de « Wind of Chance » du groupe Scorpions.

N’est-ce pas l’apanage des plus grands que d’inspirer de nouvelles générations d’artistes par delà la mort et la fureur des hommes?

Celine Colassin

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QUE VOIR?

1938: Finale: Avec Kate de Nagy

1938: Frau Sixta: Avec Franziska Kinz et Gustav Frölish

1939: Bel Ami: Avec Olga Tschechowa et Willi Forst

1940: Wunschkonzert: Avec Hedwig Bleibtreu.

1940: Bal Paré : Avec Paul Hartmann

1941: Die schwedische Nachtigall: Avec Karl Ludwig Diehl et Joachim Gottschalk

1942: Wir Machen Musik: Avec Viktor de Kowa

1943: Münchhausen: Avec Hans Albers et Brigitte Horney

1944: Große Freiheit Nr. 7 (La Paloma): Avec Hans Albers

1946: Sag’ die Wahrheit: Avec Sonja Ziemann et Gustav Frölish

1949: Geheimnisvolle Tiefe (Profondeurs Mystérieuses): Avec Paul Hubschmid

1953: Der Vogelhändle: Avec Wolf Albach Rety et Eva Probst

1954: Ein Toller Tag: Avec Lola Müthel

1955: Die Herrin vom Sölderhof: Avec Viktor Saal

1990: Die Hallo Sisters: Avec Gisela May

 

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