Ina Fagan, la future Ina Claire naît à Washington DC le 15 Octobre 1893 et ouvrira les yeux sur une maman engoncée dans ses voiles de deuil. A la naissance du bébé, la jeune mère est une jeune veuve depuis quatre mois.
En cette fin de siècle, les choses ne sont pas faciles pour une femme seule avec un enfant. Toutes les « filles mères » qui sont encore l’opprobre de la société jurent leurs grands dieux qu’elles sont veuves, alors pour les vraies veuves, on ne fait guère de différence, on ferme les portes !
Ina sera élevée à l’école publique, le statut de sa mère lui donne droit à une bourse pour ses études. Mais la jeune demoiselle a une véritable passion pour l’école buissonnière et sa mère craint à tout moment de devoir rembourser la bourse en question ! Puisqu’Ina n’est pour ainsi dire jamais à l’école. Un jour qu’elle y est malgré tout, elle lance à son institutrice médusée sur un ton digne de Sarah Bernhard : « Laissez-moi tranquille, votre éducation m’ennuie et je n’en ai pas besoin, je vais devenir une actrice ! »
En 1907 en effet elle fait ses débuts au vaudeville, elle n’a que 14 ans. Ina a un grand sens du comique et est devenue plus que jolie, ses imitations sont bientôt célèbres, et Ziegfeld, séduit, l’engage pour ses illustres Folies où il l’autorise d’ailleurs à continuer ses imitations désopilantes !
En 1910 elle enchaîne trois succès sur Broadway et elle est une des seules étoiles des Folies qui ait réussi à se faire prendre au sérieux dans d’autres spectacles. La presse de l’époque fut unanime pour la louanger dans « Chercheuses d’Or », « La Huitième Femme de Barbe Bleue » ou « La Fin de Mrs Cheney ». Et comme de bien entendu, le cinéma s’y intéressa de fort près.
Elle y débutera en 1915 chez Metro mais ne sera guère convaincue par cet « art » où on est contraint au silence. Elle garde donc sa préférence aux scènes de Broadway et n’accepte que les films qui se tournent à New-York. Il n’est pas rare que le lendemain d’une dernière elle quitte l’Amérique pour une tournée mondiale. Elle restera pour le cinéma une actrice très parcimonieuse ne tournant que quelques films disséminés sur…50 ans !
En 1919 elle était devenue madame James Whittecker mais elle reprenait sa liberté en 1925. Ina Claire est alors une actrice célèbre et respectée de tous, admirée pour sa beauté et son talent. Elle va alors vivre l’étape la plus curieuse de son existence sur laquelle nombre d’historiens du cinéma spéculent toujours.
En 1929 elle rencontre l’acteur John Gilbert, l’idole mâle numéro un du cinéma, le « Dieu des midinettes » et accessoirement le fiancé transi de Greta Garbo. Quinze jours plus tard, Ina Claire devient son épouse à la stupéfaction mondiale et à celle du sphynx suédois tout particulièrement. Gilbert n’est-il pas sa propriété personnelle ?
Quant à Ina Claire, elle est certes célèbre et jolie, mais sa gloire et sa beauté ne peuvent en rien se comparer à Greta Garbo ! A un journaliste plus effronté que les autres qui demanda à Ina Claire ce que cela faisait d’être mariée à une grande star, elle lui répondit du tac au tac : « Ça, mon cher, c’est à mon mari qu’il faut le demander ! » Le couple de joyeux tourtereaux laissa le monde spéculer et s’en alla vivre sa joyeuse lune de miel au Cap d’Antibes. On sut qu’après une nuit de « dolce vita », John Gilbert planta Ina Claire et sa robe du soir devant leur palace à 5h du matin et qu’il partit rouler seul à tombeau ouvert sur la route de la corniche. Ina jeta ses hermines dans une valise Vuitton et elle était déjà à Paris lorsque le beau John Gilbert l’intercepta. A leur retour, ils déclarèrent aux journalistes qu’ils se souvenaient vaguement d’une querelle d’amoureux.
Le couple divorça moins de deux ans plus tard, deux années qui furent cruciales pour John Gilbert. Le parlant avait anéanti sa carrière sur une traîtrise du studio. Lui qui gagnait dix mille dollars par semaine ne valait plus rien. Gilbert venait de terminer un film lorsque le parlant fit sa déferlante. Il fut décidé dare-dare de faire du film de Gilbert un « parlant » Et comme on n’avait pas encore de dialoguistes, on lui fit lire les cartons d’intertitres que l’on ajouta sur la bande son essentiellement musicale. John Gilbert jouant muet mais ponctué par la lecture de cartons qui n’avaient aucun sens fit tordre le public de rire. Le sommet du ridicule était largement atteint. Le film disparut des affiches et le studio pour se dédouaner affirma que Gilbert avait une voix ridiculement fluette et pour tout dire ridicule. C’était faux mais la carrière de l’homme était anéantie. L’anecdote donnera lieu au scénario de l’excellent « Chantons sous la pluie ».
Ina, de son côté, poursuivit sur sa lancée, et le cinéma devenu parlant allait lui permettre d’enfin briller, ou presque. Ina a 33 ans lorsque le cinéma découvre enfin le son. Elle restera une actrice très active mais ne deviendra jamais une star, elle sera un « second couteau » au cinéma, brillante, drôle et sarcastique à souhait et continuera à collectionner le succès sur scène jusqu’en 1975, année où elle se retire après un dernier triomphe à 82 ans.
Les hasards de la vie et du cinéma mirent en présence les rivales d’autrefois en 1939. Ina retrouva Greta Garbo sur le tournage de Ninotchka, film où elles étaient d’ailleurs rivales une fois encore. Rien ne filtra sous les faux-cils, ces dames furent parfaites. John Gilbert alors défunt ne fut pas mentionné. Fut-il regretté, je l’ignore. Ce duel au sommet fut le chant du cygne d’Ina Claire au cinéma.
Ina Claire s’éteignit de sa belle mort le 21 Février 1985, elle avait 91 ans et s’était évidemment encore remariée.
Certaines biographies font d’Ina Claire l’épouse de William R. Wallace, créateur du Reader’s Digest. Ceci est faux, celui-ci était l’époux de Lila Ascheton Bell qu’il avait épousée en 1921 et avec qui il était encore photographié au côté de Nixon en 1966.
Celine Colassin
QUE VOIR ?
1920: Polly with a Past: Avec Ralph Graves et Clifton Webb
1939: Ninotchka: Avec Greta Garbo et Melvyn Douglas
1943: Claudia: Avec Dorothy MacGuire et Robert Young.