Entre Hollywood et la Suède, ce fut toujours une belle et grande histoire d’amour. De Greta Garbo à Ann Margret en passant par Ingrid Bergman, Marta Toren, Viveca Lindfors ou Signe Hasso, la froide contrée nordique offrit à l’écran américain quelques unes de ses plus belles et plus prestigieuses stars. Et si elles gardèrent au coeur la nostalgie de leurs lointaines neiges natales et furent parfois un peu revêches et dures à cuire, Hollywood et ces dames n’eurent, tout compte fait, qu’à se féliciter de leur collaboration.
Hélas , pour la belle Inger Stevens, les choses allaient mal se passer. C’est elle qui sonnerait l’heure sombre de cette belle histoire d’amour. Retracer son parcours n’est guère facile car non seulement la presse de son époque était plus discrète que celle d’aujourd’hui mais Inger Stevens brouillait savamment les pistes. Elle affichait toujours un sourire éblouissant, une santé insolente et une bonne humeur constante. Mais sous cet aspect de blonde saine et radieuse, couvait, faite d’amours déçues et ruptures désespérantes, une noire dépression doublée d’un instinct morbide qui finiront par avoir raison de cette « happy girl » suédoise.
La future Inger Stevens naît Inger Stensland à Stockholm le 18 Octobre 1934. Elle est la première née du couple Per et Lisbet Stenland qui aura encore deux autres enfants, un fils et une fille avant de se séparer alors qu’Inger n’a que 6 ans. Elle est déjà au moment de cette séparation une petite fille solitaire et mélancolique. Souffreteuse elle manque souvent l’école attrapant tous les virus et les microbes qui passent avec une régularité frisant la perfection. Elle n’en loupe pas un seul! La séparation de ses parents est d’autant plus brutale pour elle que son père décide de ne pas rester en Suède après que son épouse Lisbet l’ait quitté pour suivre un autre homme. Il part tenter sa chance en Amérique. Inger est complètement désemparée et si les relations familiales n’ont jamais été simples ni cordiales, son père avait au moins le mérite à ses yeux d’adorer le théâtre et de jouer dans une troupe d’amateurs ce qui à la fois la fascinait et la ravissait.
En 1944, son père installé à New-York s’est remarié et a maintenant la possibilité de réunir ses enfants. Inger et son petit frère le rejoignent. La petite fille a 9 ans.
Mais pour être en Amérique, son père n’en est pas devenu millionnaire pour autant. Les temps sont aussi durs qu’en Suède pour Inger. A ceci près qu’elle a une autre maison, une autre maman dans un autre pays où on parle une autre langue! Bref c’est une nouvelle vie mais qui n’a pas l’air beaucoup plus folichonne que l’ancienne. Cerise sur le gâteau si tant est qu’il y ait un gâteau, Inger ne s’entend pas avec sa belle-mère. La vie est déjà difficile pour elle à New-York et les choses se compliquent encore lorsque la famille recomposée déménage au Kansas. C’en est trop pour la jeune fille qui a à peine 14 ans mais ne se sent plus aucune affinité avec les siens.
Elle fugue une première fois et son père la retrouve chorus girl dans un spectacle burlesque où on l’a engagée sur foi du mensonge qu’elle a fait sur son âge. Les retrouvailles ne seront pas joyeuses. Inger fuguera à nouveau. Mais cette fois elle regagne New-York et se fond dans la foule anonyme allant d’un petit boulot à l’autre.
On perd un peu la trace de la jolie fuyarde qui gardait chevillée au coeur une fascination pour le théâtre et qui finit par s’inscrire aux cours de l’actor’s studio. C’est par ce biais qu’elle se fraiera un chemin jusqu’aux plateaux de télévision où elle apparaît pour la première fois en 1954, à tout juste 20 ans. Elle débute face à Walter Matthau qui restera un de ses plus fidèles amis. L’actor’s studio jouit alors d’une excellente réputation. L’approche du jeu d’acteur qu’on y enseigne, la « méthode » fascine tout le monde et les élèves de la prestigieuse école sont facilement engagés et respectés.
Inger aidée encore par sa fraîche beauté enchaîne les tournages à la télévision jusqu’en 1957 où on lui propose pour la première fois un rôle au cinéma. Mais attention! Un premier rôle! Les années passées au petit écran ont fait d’Inger une véritable vedette et c’est comme une véritable star qu’elle débute le tournage de « Man on Fire » face à Bing Crosby.
Bing Crosby alors toujours fermement arrimé au sommet de la gloire, veuf de Dixie Lee avec quatre enfants à la maison sort d’une liaison très médiatisée avec une autre blonde: miss Grace Kelly en personne. Inger Stevens va immédiatement tomber follement amoureuse de son partenaire et se sent prête, contrairement à Grace, à tout abandonner pour lui et se dévouer corps et âme à son grand amour tout neuf. Mais monsieur Crosby a de la bouteille et connaît bien les femmes. Malgré une passion partagée, il n’imagine pas la déjà mélancolique et fantasque Inger en mère de famille nombreuse. Il a besoin de quelqu’un avec une tête solide et bien fixée sur les épaules. Il a déjà vécu l’expérience amère d’un mariage avec une épouse tendre et fragile qui a sombré dans l’alcoolisme avant d’en mourir. On ne l’y reprendra pas. Bing Crosby épouse Kathryn Grant en cette même années 1957 et Inger Stevens est littéralement dévastée. Son équilibre déjà instable est complètement ébranlé et après s’être un peu battue avec l’énergie de son désespoir elle commet une tentative de suicide.
Inger Stevens était fragile, et comme Marilyn Monroe elle craindra toute sa vie pour sa santé mentale. L’actrice a deux cousins handicapés mentaux et dès que ses moyens le lui permettront, elle s’engagera sans compter dans la recherche médicale et la protection des enfants malades mentaux. « Ils croient que je suis belle mais un jour ils se rendront compte que j’ai de trop grands pieds et la tête de travers, ils croient aussi que je suis une actrice mais un jour ils se rendront compte que je ne suis pas capable de faire ce qu’ils me demandent«
Elle s’était jetée, sans doute par bravade à la tête et dans les draps de son partenaire suivant, le très british et très marié James Mason mais la liaison n’avait duré que le temps d’un tournage. Mason avait repris sa vie dès le dernier tour de manivelle de « Cry Terror » donné. Inger était hospitalisées comme Rod Steiger pour avoir inhalé de la fumée toxique lors du tournage d’une scène d’incendie dans un tunnel.
Ce fut la décision d’en finir.
Inger Stevens ne mourut pas mais dès qu’elle fut rétablie elle quitta Hollywood et regagna ses chers plateaux de télévision où elle s’engouffra dans le travail durant cinq longues années où elle apparaît dans tous les programmes du moment. Pas une série, pas une émission qui n’ait alors affiché le nom d’Inger Stevens à son générique. Evidemment la presse s’était un peu gaussée de ce suicide raté qui était alors presque une mode chez les actrices. Pourtant Inger avait été sauvée de justesse et si elle déclara: » Pour une personne avec la tête aussi solide que la mienne, vouloir se suicider est une aberration et la chose la plus stupide que j’aurai faite dans ma vie! Je n’ai plus qu’à rire de moi » Quelques semaines plus tard, l’avion dans lequel elle se trouve à l’aéroport de Lisbonne menace d’exploser. Si tous les passagers fuient l’appareil complètement paniqués, se piétinant les uns les autres pour sauver leur vie, Inger est la dernière à sortir, d’un calme olympien, avec son sac à main, son manteau et même pas décoiffée. Moins d’une minute plus tard l’appareil explose!
Inger Stevens entre dans la légende du petit écran en reprenant dans la série éponyme le rôle qui avait valu un Oscar à Loretta Young: « The Farmer’s Daughter », un rôle de Suédoise, comme elle. Lorsque le feuilleton s’arrête après trois longues années d’un succès ininterrompu, Inger est une véritable star et le cinéma se rue sur elle. Les propositions de rôles pleuvent mais les « petits travers » d’Inger Stevens qui ne jouit pas de la protection d’un grand studio sont connus de tous. L’alcool et les stupéfiants font partie de son quotidien. Et surtout il y a cette folle manie de tomber amoureuse de ses partenaires. Ce qui ne serait qu’un moindre mal, voire même un avantage pour détendre l’atmosphère sur les plateaux, mais chaque rupture la laisse complètement anéantie et elle sombre un peu plus.
Elle prend en grippe la charmante Yvette Mimieux et un soir que ces deux-là se croisent dans un night club elles s’envoient des bordées d’injures qui médusent l’assistance. Malgré sa fraîche beauté et sa bonne humeur affichée, l’actrice est en plein désarroi. Bientôt on la compare à Marilyn Monroe, à Marie MacDonald.
Inger avait bien tenté une expérience matrimoniale avec Anthony Soglio, son agent qui l’avait rebaptisée « Stevens » et avec qui elle avait été mariée de 1955 à 1957. Mariage qui avait pris fin avec l’arrivée de Bing Crosby dans le jeu de quilles.
Elle va se jeter avec une passion folle qui tient du désespoir à la tête de ses partenaires successif pour des liaisons qui ne tiennent que le temps d’un tournage et de quelques week-ends. Anthony Quinn, Clint Eastwood, Dean Martin et le producteur Allen Baron vont se succéder sans s’attarder dans sa vie. Anthony Quinn eut d’ailleurs ces mots au moment de leur rupture, mots très dur mais qui avec le recul sonnent terriblement justes: « Qu’est-ce que tu fais à Hollywood? Ce n’est pas ta place! Tu aurais dû rester en Suède, épouser un camionneur et lui faire dix enfants!«
On lui attribua même une liaison avec Mario Lanza, ce qui me paraît quand même très incongru. Elle s’afficha au mépris du scandale avec l’acteur noir Harry Belafonte et on la dit en 1961 mariée à Tijuana mais aussitôt séparée avec Ike Jones, producteur noir et associé de Nat King Cole . Mariage tenu secret suite aux cuisants déboires de May Britt ou de Jean Seberg. Inger n’en était pourtant plus à un scandale près. Si le mariage d’Inger et Ike est bien réel, leur divorce ne l’est pas. Même s’ils furent souvent séparés, ils étaient toujours légalement mariés à la mort d’Inger et c’est Ike Jones qui s’occupera de ses funérailles.
Inger Stevens avait fini par renouer des relations amicales avec sa mère Lisbet. Elle avait failli se faire virer manu militari de la cérémonie des Oscar où elle était venue affublée d’une ultra micro robe moins large qu’une ceinture et décolletée jusqu’au nombril.
A l’heure de sa fin elle venait de rompre avec Burt Reynolds.
Le 30 Avril 1970, Inger est à nouveau seule, elle partage un appartement avec Lola McNally, sa coiffeuse sur son dernier tournage avec qui elle s’est liée d’amitié, voir un peu plus selon quelques gazettes pseudo informées.
C’est Lola qui ce triste jour découvre Inger inanimée sur le sol de la cuisine. Elle a une petite coupure au menton qu’elle s’est faite dans sa chute en se cognant sur le coin d’un meuble. Emmenée à l’hôpital, Inger décède dans l’ambulance. Son autopsie révèle une surdose de barbituriques et d’alcool. Il est conclu officiellement au suicide. Elle avait 35 ans.
Inger Stevens sera incinérée et ses cendres dispersées sur l’océan.
Comme pour Carole Landis, les proche et la famille d’Inger Stevens réfutèrent la thèse du suicide. Ils en veulent pour preuve qu’elle avait son agenda rempli pour les prochaine semaines et qu’elle était, à l’heure de sa mort, plongée dans les essayages de ses robes pour son prochain programme Tv.
Peu importe au fond, qu’Inger Stevens se soit donné volontairement ou non la mort. Il vient un temps, lorsqu’un être a beaucoup souffert, où son coeur refuse de battre encore.
Il reste de cette femme belle et fragile, le souvenir de son talent dans des beaux films qui nous la rendent dans toute son humanité. Que celà nous suffise, le reste est son affaire. Inger Stevens nous a beaucoup donné, nous lui avons pris beaucoup, laissons-lui ses derniers secrets.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1957: Man on Fire: Avec Bing Crosby
1958: Cry Terror: Avec James Mason et Rod Steiger
1958: The Buccaneer: Avec Claire Bloom, Charles Boyer et Yul Brynner
1964: The New Interns: Avec Stephanie Powers; Barbara Eden, Dean Jones et Telly Savalas
1967: Hang ‘Em High: Avec Clint Eastwood
1968: 5 Card Stud: Avec Robert Mitchum et Dean Martin
1968: Police sur la Ville: Avec Richard Widmark et Henri Fonda
1968: Firecreek: Avec Henri Fonda, James Stewart et Gary Lockwood
1968: House of Cards: Avec Georges Peppard et Orson Welles