Qui aurait pu croire qu’avec la naissance de la petite Irini Lelekou, dans un petit village de Corinthe, la Grèce allait connaître un nouveau mythe, une nouvelle déesse à son panthéon.
Nous sommes le 3 Septembre 1926 à Chiliomodi, le petit village en question. Moins de moins d’un millier d’âmes. Pourtant il va bien y avoir un miracle, ou plutôt un sortilège comme on n’en trouve plus guère depuis l’Iliade d’Homère!
La petite Irini voudra devenir actrice. C’est déjà un petit miracle en soi qu’une vocation d’actrice soit arrivée jusqu’au cœur d’une petite fille d’un petit village grec du début des années 30! Le sortilège suivant sera l’autorisation de la famille qui laissera leur cher trésor partir étudier l’art dramatique à la capitale!
On est déjà dans l’impensable. A l’époque, d’autres grandes gloires féminines grecques se préparent à éblouir le monde. Certes. Mais aucune n’a encore ouvert la voie. Lorsque la petite Irini quitte son village, Maria Callas est encore une petite émigrée américaine inconnue et Mélina Mercouri une fille de la haute bourgeoisie athénienne étudiant l’art dramatique comme d’autres étudient le piano.
L’une viendra de New-York, l’autre l’Athènes, c’est beaucoup plus improbable alors d’arriver de Chiliomodi où le temps s’est arrêté il y a plusieurs siècles.
A Athènes, Irini aura le même professeur d’art dramatique que Mélina Mercouri mais elles ne se croiseront pas. Mélina est l’aînée d’Irini de 6 ans et lorsqu’Irini entame sa formation, Mélina a déjà fait de modestes débuts sur les scènes grecques, jouant le répertoire classique national, celui de la grande tragédie antique, seul art inculqué à Athènes.
Le conte de fées continue avec les débuts au théâtre de la petite Irini qui met alors ses pas dans ceux de Mélina. Mais il est dit que le destin d’Irini était définitivement pris en mains par quelque bonne fée très active. Si Mélina ne débutera au cinéma qu’à 35 ans en 1955, dès 1948, Irina est sur les plateaux de cinéma pour y fêter ses 22 ans. Et lorsque je parle de débuts au cinéma, je parle de rôles importants, pas de simples figurations.
Mélina n’aura toujours pas fait ses débuts à l’écran qu’Irina sera devenue Irène Papas et aura été repérée dans un de ses films par Elia Kazan soi-même!
Après deux films grecs, Irène gagne l’Italie pour y devenir la partenaire de la gloire nationale qu’est Toto. Certes elle n’est pas la star du film, ce privilège est laissé à Léa Padovani, mais enfin, elle est sortie de ses frontières. Elle s’internationalise. Dès son film suivant, le ton de sa carrière sera donné. Après Toto, Gina Lollobrigida, la belle des belles, déjà grande vedette et qui s’apprête à devenir la star nationale italienne numéro un. L’année suivante elle donnera la réplique à Sophia Loren dans « Attila » et pourra se faire une opinion personnelle à propos de la plus grande rivalité médiatique des années 50. Qui de Sophia ou de Gina est la plus belle?
Installée à Rome, Irène enchaîne les rôles importants dans les plus prestigieuses productions de moment et l’ère étant aux grandes coproductions, elle fréquente tout le gotha du cinéma international. Liée d’amitié avec Anthony Quinn et bientôt Kirk Douglas, elle tombe dans les bras de Marlon Brando venu retrouver à Rome son ami Christian Marquant à qui Irène donne la réplique dans « Attila ». Ces deux-là vivront une histoire passionnelle à l’abri des médias, une histoire qui reprendra là où ils l’avaient laissée chaque fois qu’ils se retrouveront à la faveur de leurs tournages et de leurs voyages.
Et des voyages, Irène Papas va en faire peut-être plus que toute autre actrice de sa génération. Le cinéma grec n’étant guère florissant dans les années 50, Irène tournera nettement plus à l’étranger qu’en son propre pays, revenant parfois, ironie des choses, tourner en Grèce pour le cinéma ou la télévision américaine.
Hollywood bien sûr va faire appel très tôt à ses services. On y est alors entichés d’actrices étrangères « de caractère » comme Anna Magnani, Katina Paxinou ou Simone Signoret. Mais cela ne veut pas dire qu’Irène devienne une star américaine. Incarnant à elle seule l’image grecque « historique et rurale », le cœur de la Grèce profonde. Elle véhicule sa culture comme un étendard dans le cinéma américain et italien, certes, mais aussi dans le cinéma français, anglais, espagnol, mexicain, australien, japonais, belge ou canadien.
Elle est de ces actrices peu férues de théâtre mais se partageant entre le cinéma et la télévision de nombreux pays pour y donner la réplique aux plus grandes stars masculines du monde. Kirk Douglas, Oliver Reed, Anthony Quinn, Rod Steiger, Yves Montand, John Malkovich, Omar Sharif, Jean-Louis Trintignant, Gregory Peck, Richard Burton ou Raf Vallone seront ses partenaires entre de nombreux autres. Elle croisera également quelques superstars féminines outre Gina et Sophia déjà citées, elle aura également affaire à l’écran à Audrey Hepburn, Romy Schneider, Katharine Hepburn, Jacqueline Bisset, Catherine Deneuve, Vanessa Redgrave, Virna Lisi ou Valentina Cortèse.
Et parce qu’elle existe, on mettra en chantier quelques films où elle pourra pleinement exprimer la plénitude de son talent resté très hellène comme « Antigone » »Le Christ s’est arrêté à Eboli », « Bouboulina » ou le magnifique « Erendira ». Tous ne feront pas des triomphes publics. Ils sont parfois un peu « ardus ». Il est évident que l’adaptation cinématographique d’une tragédie de Sophocle attirera mois de spectateurs en salles que « Le Corniaud ». Mais certaines de ses interprétations entreront dans la légende populaire comme celle qu’elle donne de Pénélope dans l’adaptation télévisée de l’Iliade avec Kirk Douglas en Ulysse.
L’interprétation qu’elle adonnée d’Electre justifie que le film soit nommé pour l’Oscar du meilleur film étranger en 1963. En 1964, le succès de Zorba le Grec remet à flot la Century Fox dévastée par la Cléopâtre d’Elizabeth Taylor. Le film scelle à jamais l’image d’Anthony Quinn en Zorba dans le cœur du public et la Grèce hérite d’une nouvelle musique traditionnelle pourtant tout neuve écrite pour le film: le Sirtaki!
Le film devient un véritable phénomène de société, le monde s’affole et respire Grèce et Sirtaki. Dalida se fend même d’une version française « La Danse de Zorba » qu’elle chante et danse pied nus et en tunique!
« Là-bas, dans son pays, Zorba, s’élance, il danse, le sirtaki… »
Et il faut d’ailleurs voir avec quelle tête inspirée tous les danseurs de sirtaki et Dalida en tête exécutent la petite chorégraphie entrée dans l’histoire en un jour, celui de la sortie du film. C’est la tête de ceux qui veulent être fidèles au « pas traditionnel », ne pas défigurer ni trahir le rythme séculaire traditionnel! Pour être accidentel, le Sirtaki est le plus beau bluff de l’histoire du film. Un demi siècle plus tard le monde n’a pas oublié Zorba et pas de vacances en Grèce sans Sirtaki tous les soirs! Bel hommage à son auteur Mikis Theodorakis!
A l’avènement des années 80, Irène Papas auréolée d’un prestige mondial et paradoxalement très grec s’efforce de revenir vers son cinéma national et tourne des films certes plus confidentiels, du moins à portée moins internationale mais qui soyons justes, ne se seraient probablement pas tournés sans elle.
En 2003 elle tourne son dernier film, mais soyons justes encore une fois, entre Catherine Deneuve et John Malkovich! On est une star ou on ne l’est pas.
L’image d’Irène Papas est restée si forte et si présente dans les mémoires qui la belle grecque à la retraite depuis une bonne dizaine d’années continuait de recevoir de belles propositions pour de bons rôles de nouvelles générations de cinéastes incapable d’imaginer que la belle Irène était…nonagénaire! Comme Rita Hayworth et Monica Vitti, Irène a ses dernières années assombries par la maladie d’Alzheimer.
Le 14 septembre 2022, Irène s’en allait, oubliée du monde et d’elle-même. Elle avait 93 ans.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1948: Hamenoi Angeloi: Avec Hristos Tsaganeas
1952: Nekri Politeia: Avec Nikos Tzogias
1953: Una di Quelle: Avec Léa Padovani et Toto
1953: Le Infedel: Avec Gina Lollobrigida, May Britt et Pierre Cressoy
1953:Vortice: Avec Silvana Pampanini
1954: Teodora, imperatrice di Bisanzio: Avec Gianna Maria Canale et George Marchal
1954: Attila: Avec Sophia Loren et Anthony Quinn
1955: The Missing Scientists: Avec Paul Campbell
1959: Bouboulina: Avec Koula Agagiotou
1961: The Guns of Navarone: Avec Gregory Peck et Anthony Quinn
1961: Antigone: Avec Manos Katrakis
1962: Electre: Avec Giannis Fertis
1964: Alexis Zorba: Avec Anthony Quinn, Alan Bates et Lila Kedrova
1966: Roger la Honte: Avec Georges Géret et Jean-Pierre Marielle
1967: The Desesperates Ones: Avec Raf Vallone et Maximilian Schell
1968: Les Frères Siciliens: Avec Kirk Douglas
1968: Ecce Homo: Avec Philippe Leroy
1969: Z: Avec Yves Montand et Jean-Louis Trintignant
1969: Anne of the Thousand Days: Avec Geneviève Bujold et Richard Burton
1971: Roma Bene: Avec Senta Berger et Virna Lisi
1971: The Trojan Women: Avec Katharine Hepburn, Vanessa Redgrave et Geneviève Bujold
1973: N.P. il Segreto: Avec Francisco Rabal
1977: Ifigeneia: Avec Kostas Kazakos
1977: The Message: Avec Anthony Quinn
1979: Un’ombra nell’ombra: Avec Anne Heywood et Valentina Cortèse
1979: Bloodline: Avec Omar Sharif et Audrey Hepburn
1980: Noces de Sang: Avec Laurent Terzieff
1981: Le Lion du Désert: Avec Anthony Quinn, Oliver Reed et Rod Steiger
1983: Erendira: Avec Claudia Ohana
1984: Melvin, Son of Alvin: Avec Lenita Psillakis
1987: High Season: Avec Jacqueline Bisset et James Fox
1989: Island: Avec Eva Sitta
1993:Pano, kato kai Plagios: Avec Stratos Tzortzoglou
2001:…kai to Treno Paei Ston Ourano: Avec Mihalis Evlogimenos
2003: Um Filme Falado : Avec Catherine Deneuve et John Malkovich