La très allurale Jacqueline Gauthier naît à Paris le 7 Octobre 1921, sous le signe de la balance ascendant balance!
Son père est un aimable employé de banque dont on fera, lorsque Jacqueline sera célèbre, un richissime banquier, ce que l’actrice démentira toujours avec véhémence.
Petite fille, Jacqueline souhaite devenir danseuse, suivant en celà l’exemple d’une de ses cousines. Mais la cousine en question est de constitution fragile, elle meurt à vingt ans. La mère de Jacqueline, persuadée que c’est la discipline de fer propre aux danseuses qui l’a tuée, il ne sera plus jamais question de danse pour sa petite fille! Voilà notre petite Jacqueline bien frustrée, mais son avenir de comédienne va soudainement se décider de manière fort inhabituelle.
L’institutrice de notre héroïne est à ce point fascinée par son talent de récitante, faisant de la moindre fable de la Fontaine un récit passionnant qui s’écoute bouche bée qu’elle convoque la maman de Jacqueline pour l’informer du talent précoce de l’enfant et vivement lui conseiller de la diriger vers cette voie qui lui semble toute tracée. Jacqueline à qui l’idée n’était pas venue tape des mains de contentement mais la maman n’est pas forcément convaincue. Que sait une institutrice de ce qu’il faut pour faire carrière au théâtre? Elle s’empare donc de sa Jacqueline et la traîne jusque sous le nez de Louis Jouvet dans sa loge au théâtre, lui mettant sa fille sous le nez et lui posant la cruciale question: « Voici ma fille! Croyez-vous qu’elle puisse faire carrière au théâtre?«
Pour la mère de Jacqueline, Jouvet est un dieu et ce saint homme, ce qu’elle ignore, ne déçoit jamais un enfant. Jouvet observe la petite demoiselle de 14 ans et fasciné par son côté sombre déclare: « En tous cas, vous n’en ferez pas une jeune première! »
Mais Jouvet avait parlé, Jacqueline fut « autorisée » à suivre sa voie.
Le côté sombre de la jeune fille qui avait tant frappé Louis Jouvet ira en s’accentuant jusqu’à devenir une sorte de marque de fabrique propre à la comédienne.
Frôlant à peine le mètre 60, Jacqueline Gauthier deviendra une des plus allurales comédiennes de la scène et des écrans français. Mais elle restera toujours une sorte de sauvage solitaire, fréquentant peu d’autres comédiens, fuyant les lieux à la mode, aimant s’isoler à la campagne ou au bord de la mer pour y peindre. Cette sombre solitaire sera étiquetée par ses pairs non pas comme une actrice ou une comédienne mais comme une « artiste dramatique » et aux curieux qui lui demandent ce qu’elle en pense, elle fait une réponse bien dans son style: « C’est tout à fait exact, le drame est partout, même dans le rire, SURTOUT dans le rire! » Car c’est un fait, Jacqueline n’est pas une joyeuse luronne de la vie parisienne.
Chose paradoxale: Le cinéma voit en elle une sorte de créature écervelée à la Danielle Darrieux. On demande essentiellement à l’actrice de faire rire le public d’une France occupée, son emploi devient celui d’une brune et parfois blonde Carole Lombard!
Jacqueline Gauthier est une actrice de prestige bien qu’elle n’ait jamais jeté l’ombre d’un faux-cil sur une offre hollywoodienne. Jacqueline préfère le cinéma au théâtre ceci bien qu’elle soit plus présente sur les planches que les écrans. Elle se montre désabusée de la médiocrité des emplois filmés qu’on lui propose. Encore et toujours des farces mondaines quand ce ne sont pas, parce qu’elle chante juste et bien des comédies musicales pour chanteurs à la mode comme Charles Trenet, Tino Rossi ou Georges Guetary.
Elle sera essentiellement active durant l’occupation, étant restée stoïquement sur place. Paris occupé lui va mieux au teint qu’une garden party entre privilégiés à Nice ou à Hollywood! Elle s’installe dans un ravissant appartement-atelier rue de Caulaincourt et plus tard s’achètera une jolie maison de campagne à Gambais, petit coin bucolique rendu tristement célèbre puisqu’il avait également les faveurs de Landru et de sa cuisinière en fonte! Mais plus que le triste souvenir du tueur de dames, c’est le jardin de 16.000 mètres carrés qui a obtenu les faveurs de Jacqueline, la gambétoise du dimanche!
Elle se dirigera ensuite vers la télévision dès 1956 et cette reconversion sonnera le glas définitif de sa carrière au cinéma.
Vieillissante, Jacqueline Gauthier restera belle à couper le souffle, masquera ses premiers cheveux blancs dans une vaporeuse blondeur qui lui va bien mais lui laisse l’âme toujours aussi sombre. Le regard qu’elle jette sur elle et sa carrière sera toujours aussi désabusé: « Je ne suis pas mariée, je n’ai pas d’enfants, ce n’est pas un choix, pour moi ça s’est passé comme ça, pourtant rien ne doit être plus merveilleux que d’être deux, c’est la seule chose qui compte en ce monde. Personnellement, être apaisée m’angoisse, allez-donc comprendre! Moi je suis trop instable, et m’installer dans une quelconque sécurité affective me donne l’impression de me suicider« .
Lassée d’elle et de sa vie, Jacqueline Gauthier se donne la mort le 18 Septembre 1982. Elle venait encore de faire rire le tout Paris, pétulante en diable face à Bernard Blier dans la courte pièce de Feydeau « Feu, la Mère de Madame »
Louis Jouvet qui n’avait pas oublié la petite fille jetée par sa maman au milieu de sa loge avait toujours gardé un oeil sur Jacqueline et avait fini par la solliciter pour être sa partenaire sur scène. Au tout Paris qui s’émeut de l’anecdote, Jacqueline de son ton lassé répond: « Oui, c’est merveilleux…mais mon partenaire préféré reste Pierre Frenay!«
A Jacques Chancel qui lui demandait si elle se retrouvait dans les rôles sombres qu’elle interprétait elle répond: « Mais joue-on un rôle pour s’y retrouver ou pour s’y perdre?«
On prête beaucoup de films à Jacqueline Gauthier dans lesquels je ne la vois pourtant pas, comme « Premier rendez-vous », on pourrait la chercher dans la figuration, certes, mais ce serait fort étrange pour une actrice qui déclarait: « Rien ne m’a amenée au cinéma, c’est le cinéma qui est venu me solliciter au théâtre où je jouais! » Ce n’est pas là une méthode pour recruter des figurants!
Celine Colassin
QUE VOIR?
1942: Frederica: Avec Elvire Popesco et Charles Trenet
1942: A Vos Ordre, Madame: Avec Jean Tissier
1942: Signé Illisible: Avec André Luguet et Gaby Sylvia
1943: Au Bonheur des Dames: Avec Suzy Prim, Blanchette Brunoy, Michel Simon et Albert Préjean
1945: La Femme Fatale: Avec Madeleine Sologne et Gaby Sylvia.
1946: La Sérénade aux Nuages: avec Tino Rossi
1946: Tombé du Ciel: Avec Claude Dauphin et Gisèle Pascal
1947: Une Nuit à Tabarin: Avec Robert Dhéry
1947: Les aventures de Casanova: Avec Georges Guetary
1949: Interdit au Public: Avec Catherine Auger
1950: Ils ont Vingt Ans: Avec Philippe Lemaire
1951: Coq en Pâte: Avec Maurice Escande
1951: La plus belle fille du monde: Avec Françoise Arnoul et Nadine Alari
1952: La Plus Belle Fille du Monde: Avec Françoise Arnoul.
1952: Elle et Moi: Avec Dany Robin, François Périer et Louis de Funès
1956: La Terreur des Dames: Avec Noël-Noël et Jacqueline Pagnol