Comment se peut-il qu’une gloire aussi prestigieuse que Jeanne Aubert ait pu ainsi sombrer dans l’oubli?
Elle naît Jeanne Perrinot à Paris le 21 Février 1900, un mois avant le dernier printemps du XIXème siècle mais dans ce qu’il faut bien appeler la misère. Une misère qu’elle se plaira à accommoder à sa façon lorsque devenue la star Jeanne Aubert elle fera de son lugubre passé une époque plus rutilante et distinguée lui seyant mieux au teint.
Sa mère est une ouvrière, femme sans mari, Jeanne une fille sans père. La belle époque ne l’est pas pour tout le monde et ces femmes que l’on désigne alors sous l’appellation injurieuse de « filles mères » sont presque pires que des prostituées aux yeux des bourgeois (Lesquelles prostituées sont d’ailleurs gratifiées d’un surnom plus aimable puisque ce sont des « Lorettes ») La fille mère est donc moins qu’une putain, c’est une putain maladroite ou punie de dieu. On a l’impression d’avoir lu et vu ça dans les « Misérables ». Il convient de dire que dans la réalité c’est pire que dans le roman de Victor Hugo. Fantine et sa petite Cosette ont bien de la chance de rencontrer les immondes Thénardier.
Il n’y a au début du siècle pas d’embauche à l’usine pour les filles mères. La prostitution n’est alors souvent que leur seule issue. Mais il n’y a pas de place pour des enfants dans les maisons closes ou sur les trottoirs de Paris la nuit. Il faut alors se résoudre à « placer son enfant ». Le plus souvent en « nourrice » à la campagne. Mais le salaire d’une ouvrière ne peut nourrir qu’une bouche à peine. Pas de quoi élever un enfant au milieu des vaches laitières et des pâquerettes! Souvent, la bonne nourrice de la campagne vient chercher l’enfant à Paris, donne rendez-vous à la gare, reçoit l’enfant et de quoi couvrir les premiers frais. Souvent aussi, l’enfant ne sortira plus de la gare. Sa mère partie il est étranglé, jeté aux ordures, La mère paiera des années l’entretient d’un enfant mort. On compte sur la situation sans espoir de ces femmes pour ne jamais les revoir. Et souvent en effet, les mandats n’arrivent plus, parce que la mère elle aussi a terminé sa triste et courte vie. Si par malheur elle annonçait une situation qui s’améliore, il faudrait alors lui annoncer la douloureuse nouvelle d’un enfant emporté par les fièvres.
Il faudra des années pour que ces « faiseuses d’anges » soient inquiétées, poursuivies et condamnées, les procès seront rares, les exécutions encore plus.
Tout cela pour dépeindre un peu mieux la situation d’Augustine Perrinot et de sa petite Jeanne. Leur mérite n’en sera que plus grand.
Comme toutes les filles de sa condition Jeanne connaîtra le travail d’usine encore enfant, une fabrique de fleurs artificielles. Dans le Nord, une certaine Viviane Romance ira bientôt fabriquer des couronnes mortuaires.
A 20 ans, devenue une jeune femme superbe, dotée d’une jolie voix et d’une fine intelligence elle prend en marche la déferlante des années folles. Elle a chanté, comme Piaf dans les rues. Mais plus fûtée que « la môme », elle l’a fait devant des cabarets à la mode, passant très vite du dehors au dedans! Elle deviendra une « petite femme de revue ». Comme Arletty ou Lily Damita. Elle se produira pour Rip en personne qui fait alors courir le tout Paris. Elle sera de « Miousic » ou de « Toute Nue ». Et comme en 1920 on fait des films et qu’on aime les remplir de jolies filles (La parisienne est alors une denrée aussi précieuse et exotique que l’ivoire du rhinocéros blanc), Jeanne, devenue Jeanne Aubert débute au cinéma.
Mais pour l’instant c’est sur les planches que le succès lui sourit, elle est de tous les grands music-halls parisiens, du Moulin Rouge aux Folies Bergères en passant par le Casino de Paris et le concert Mayol.
Comme de bien entendu, Quand il s’agit de petites femmes et de plumes, l’Amérique lui fait un pont d’or. Elle débarque donc à Broadway, bien décidée à mettre l’Amérique à ses pieds. C’est là qu’elle profite du voyage pour astiquer son passé et le rendre plus présentable. C’est ainsi que son père inconnu deviendra un riche et bel aristocrate amoureux d’une ouvrière et qu’ensemble ils pousseront leur petite fille prodige adorée sur les scènes dès l’âge de cinq ans. Je m’empresse d’ailleurs de dire que Wikipédia, n’en étant pas à une sottise près, adore cette version toute aussi fausse que romanesque des choses.
Jeanne Aubert réussira son challenge. Elle mettra Broadway à terre et fera gober son nouveau passé à tout le monde. Dans la foulée, quelque part entre Broadway et le Moulin Rouge, elle sèmera cinq ans et sera dorénavant née en 1905!
Les années 20 se termineront avec le nom de Jeanne Aubert en lettres de feu dans le ciel de Broadway et de Paris. Sa dernière revue aura tenu 500 représentations et elle a maintenant au cinéma des rôles de « grande vedette ».
Et comme il se doit, le milliardaire inévitable, sous les traits avenants de Nelson Morris jr la poursuit de ses assiduités et la couvre de coûteux cadeaux dont une villa au Vésinet. Une pure merveille que les plus fins observateurs auront pu admirer dans « Mes Stars et Moi », puisque Catherine Deneuve y habite le temps du film.
Jeanne Aubert deviendra donc madame richissime Morris jr mais le restera peu de temps, monsieur trouvant que meneuse de revues et star de cinéma n’est guère une occupation de femme mariée, surtout à lui, elle lui rendit sa liberté en 1933, SA liberté et rien d’autre!
Une proposition venue d’Hollywood dut d’ailleurs un peu influencer cette décision. Lorsqu’elle en reviendra, plus aucune de ses grandes rivales des scènes pailletées n’égalera son prestige. Que ce soit Mistinguett ou Joséphine Baker. Quoi que veuillent en dire les historiens de la gambette levée et de la plume d’autruche, Jeanne Aubert est alors bel et bien la plus grande.
Il faut dire aussi qu’elle leur rendit bien volontiers leur sceptre de reine de la nuit de Paris pour se consacrer au cinéma où les plus grands se l’arrachent comme on s’arrachera plus tard Martine Carol ou Brigitte Bardot. Délaissant les plumes et les boys, elle enchaîne les films, tourne pour Lacombe ou Siodmak et entame une nouvelle carrière de chanteuse, faisant les grands soirs de l’Alhambra ou de Bobino. Lorsqu’elle s’arrête à Paris, elle recommence dès le lendemain à Rome, à New-York ou à Londres. L’occupation viendra mettre un terme à sa seconde décennie de succès, mais seulement pour un temps très court. Le temps de réunir les capitaux pour monter « La Veuve Joyeuse » à Mogador. Le spectacle tient deux ans, et que lui importe si Piaf ou Chevalier se produisent et font salle comble, les fauteuils pour Jeanne Aubert se réservent six mois à l’avance.
Après avoir été de tous les grands succès de la libération dont « Les Hommes Préfèrent les Blondes » et « Le Prince Endormi », Jeanne Aubert qui a maintenant 46 ans et fait mine de s’offusquer d’en avoir eu 40 entame une longue liaison avec Olympe II Henriot. Le fils de commandant Henriot. Le couple aime alors s’isoler au Vésinet cher à la star. Mais Olympe devra avoir sa propre villa, mademoiselle Aubert n’ayant que peu goûté la vie maritale. Henriot rachètera donc la « folie » Stoltz du nom de son ancienne propriétaire Rosine Stoltz, autre gloire des planches parisiennes, cantatrice cette fois, mais qui émerveilla le Paris de 1860. La bâtisse était si spectaculaire que bien qu’étant démolie aujourd’hui, elle a donné son nom à la rue où elle s’érigeait. Elle n’étant pourtant qu’à peine plus grande que la mairie de Paris!
Henriot s’éteindra en 1953, emporté par une crise cardiaque dans le pied à terre que gardait la star à Paris, il avait 66 ans.
Jeanne songea alors rester éloignée de l’agitation professionnelle et se reposer auprès de sa chère maman dans son fief du Vésinet. Elle ne put y tenir bien longtemps. Dès 1957, elle revenait tourner pour Jean Boyer, Edouard Molinaro et même Vittorio de Sica. La télévision étant née, elle s’y engouffra aussi! Elle avait repris sa place au théâtre mais ne condescendit qu’à se produire dans des spectacles de haute volée, c’est ainsi que Luchino Visconti la mit en scène sur un texte d’Arthur Miller.
La mort de sa chère maman en 1966 va lui porter le premier coup au coeur. Pour la première fois de sa vie fabuleuse, Jeanne Aubert se retrouve seule sans elle. La vieille dame a souhaité être inhumée au vieux cimetière de Pantin, sous une simple dalle et non dans ce mini Versailles que sa fille envisage pour son dernier sommeil sous les frondaisons du Vésinet.
Jeanne Aubert ne fut plus la même. Après avoir longtemps erré dans sa villa splendide et maintenant déserte, elle la vendit et choisit de se placer en maison de retraite. La presse annonça très laconiquement sa fin le 6 Mars 1988.
Elle s’éteignait pour son public ou le peu qui en restait à 82 ans. Nous savons bien sûr qu’elle en avait 88. Elle avait souhaité dans ses dernières volontés rejoindre sa mère sous la modeste dalle de pantin et qu’il n’y ait pas sa photo sur sa tombe, puisque sa chère maman, chère ouvrière sans manières, n’avait jamais pensé à se faire photographier! Sans doute, pensait-elle aussi un peu que la mort, pour l’intrépide Jeanne Aubert était la première de ses défaites, alors à quoi bon insister?
Celine Colassin
QUE VOIR?
1920: Etre Aimé pour Soi-Même: avec Paul Amiot
1935: Les Epoux Scandaleux: Avec Suzy Vernon
1936: A Nous Deux, Madame la Vie: Avec Simone Berriau
1936:Le grand refrain: Avec Jacqueline Francell et Fernand Gravey
1937: Mirages (Si Tu m’Aimes) Avec Jean-Louis Barrault, Arletty, Michel Simon et Mouloudji.
1957: Sénéchal le Magnifique: Avec Fernandel et Nadia Gray (Photo)
1957: L’Amour est en Jeu (Ma Femme, mon Gosse et Moi) Avec Robert Lamoureux et Annie Girardot
1961: Les Croulants se Portent Bien: Avec Fernand Gravey, Nadia Gray, Claudine Coster et Sophie Daumier
1962: Les Ennemis: Avec Dany Carrel, Pascale Audret et Roger Hanin.
1961: Les Croulants se Portent Bien: Avec Nadia Gray, Fernand Gravey et Pierre Dux
1966: un Monde Nouveau: Avec Madeleine Robinson, Pierre Brasseur, Christine Delaroche et Nino Castelnuovo
1971: Madame, Etes-vous Libre? Avec Denise Fabre, Dora Doll, Coluche et Pierre Brice.