Bien entendu, Joséphine Baker n’est pas une actrice au sens premier du terme. Mais il est de tradition, lorsqu’une personnalité hors normes excelle dans un domaine, que le cinéma lui ouvre ses portes et propose à ces gloires venues d’ailleurs, quelques rôles filmés pour la postérité. De Sarah Bernhard à Mistinguett, de Zizi Jeanmaire à Sheila ou de Johnny Halliday à Eric Cantona, la tradition perdure, pourquoi l’extraordinaire Joséphine Baker aurait-elle fait exception à la règle?
Le 3 Juin 1906 Freda Josephine MacDonald voit le jour à Saint Louis dans le Missouri. Elle est le rejeton d’un couple noir en Amérique au début du XXème siècle. On lynche encore avec beaucoup de naturel. Les noirs, tous descendants d’esclaves ne sont pas considérés comme des Américains à part entière ni même tout à fait comme des hommes « normaux » fabriqués en bonne et due forme par dieu. On leur suppose des instincts sanguinaires, des pulsions sexuelles violentes, des cerveaux réduits, une fainéantise intrinsèque et une odeur désagréable. Bref en Amérique quand on est noir la vie n’est pas rose! La petite Freda culmine les mauvais points. Du sang « indien » coule dans ses veines, la voilà moitié négresse moitié sioux, moitié cannibale et moitié scalpeuse!
De plus ses parents, Carrie MacDonald et Eddie Carson se séparent très vite après sa naissance Le couple se rêvait artistes. Ils avaient mis un numéro au point. Personne n’en voulut, l’entreprise échoua et la belle histoire d’amour suivit le même triste chemin. La petite fille portera le nom de sa mère, puis s’appellera Freda Martin lorsque sa maman se mariera avec Arthur Martin. Lorsqu’elle obtiendra ses premiers papiers d’identité elle s’apercevra qu’Arthur n’a jamais pris la peine de la reconnaître officiellement!
Arthur et Carrie auront trois autres enfants: Richard, Margaret et Willie Mae. On est très pauvres, comme dans toutes les familles noires de l’époque. Parfois Freda gagne quelques sous en aidant Carrie dans ses places de bonne à tout faire. Elle a huit ans lorsque sa mère la « place » chez une blanche qui n’aime rien tant que la battre comme plâtre! A 13 ans, la jeune fille tombe amoureuse et se marie avec Willie Wells. Son statut de femme mariée, s’il l’oblige à quitter l’école publique où elle a la chance d’aller de temps en temps, n’améliore pas son quotidien. Willie est encore plus pauvre que les Martin et c’est lui qui vient s’installer dans la famille de sa femme!
Pour supporter cette vie sans espoir, Freda a une passion chevillée au corps. Une passion qui lui fait oublier tous ses soucis chaque fois que des musiciens de rues viennent à passer par là en quémandant quelques sous: la danse. Dès qu’il y a de la musique, elle ne se tient plus, se déchaîne et danse jusqu’à s’en étourdir, se fichant bien d’être au milieu de sa rue et que tous ses voisins l’observent sans trop savoir que penser de ses exhibitions spontanées!
Un jour de 1920, le « Jones Family Band » passe par là et récolte bien plus de piécettes qu’à l’ordinaire grâce à la prestation bénévole de cette jolie fille de 14 ans. Ils lui proposent de les suivre et elle accepte immédiatement. Fureur de Willie? Et bien tant pis pour Willie! Pour la première fois la vie fait un signe à Freda, elle ne va pas l’ignorer!
Cette vie itinérante durera un an, jusqu’en 1921 où la troupe passe par Philadelphie et où Freda-Joséphine, divorcée, rencontre un autre Willie, Willie Baker et l’épouse! A quinze ans c’est son deuxième mari! S’étant fixée, elle s’est trouvé un emploi de danseuse dans un cabaret. Elle gagne dix dollars par semaine ce qui lui paraît être digne du roi Midas! Etre sur scène l’enivre. Elle est rapidement consciente de son efficacité et pourquoi ne pas le dire, de son impact sur le public. Bientôt, New-York, cette ville que l’on dit sans racistes la fascine. Le simple nom de Broadway l’attire comme un aimant. A 16 ans, n’y tenant plus elle part tenter sa chance et puisque Willie Baker ne veut pas la suivre, et bien tant pis pour lui.
Joséphine aurait pourtant dû se méfier. Exagérément maigre et musculeuse, elle fait « tache » à côté d’autres danseuses et souvent elle se voit chassée de scène et sert d’habilleuse. En ce temps là on admire encore les corps de femmes en forme de poules dodues comme Mae West et Lillian Russell. Le règne de la musclée danseuse de claquettes n’est pas encore né, Joséphine n’est pas du tout à la mode. Et puis à New-York comme ailleurs, Joséphine est noire. De refus en refus elle échoue dans un spectacle de noirs pour noirs dans un cabaret « pour noirs ».
Elle entame une longue traversée du désert, deux ans à sillonner l’Amérique avec un spectacle 100% noir. Parfois danseuse, parfois habilleuse. Mais malgré tout, Joséphine est heureuse! Elle joue elle danse, bientôt elle chante. Personne ne la bat, personne ne l’insulte, ce n’est pas elle qui fait la vaisselle et ravaude le linge. Pour une femme noire américaine après la première guerre mondiale son statut est déjà féérique. Et puis les années 20 sont les années folles et peu à peu, la musique noire grise les intellectuels et les artistes avant de déferler comme un ouragan sur la nouvelle jeunesse avide de liberté après les exploits guerriers. Le Jazz est né et Joséphine entend bien en profiter jusqu’à plus soif. Le jazz c’est son sang.
C’est en se produisant au « Plantation Club » que Joséphine fait la rencontre qui va décider de sa vie: celle de la très mondaine et très riche madame Caroline Dudley épouse Regan. L’époux de miss Regan est en poste à l’ambassade américaine de Paris. Caroline doit l’y rejoindre et a en tête de faire découvrir aux parisiens qui sont « en retard d’une guerre » la mouvance jazz. Elle propose à Joséphine de la suivre à Paris et d’y devenir la meneuse d’une revue qu’elle compte produire « la revue nègre ». Si Joséphine accepte, elle recevra 250 dollars pas semaine (une dactylo en a 15 pourvu que son parton puisse la trousser un peu entre deux dictées)
250 dollars par semaine et à dater de ce jour et le voyage sur le paquebot Berengaria en first class compris! Je parierais bien volontiers que Joséphine fut la première à bord!
Le 25 Septembre 1925 elle débarque à Cherbourg, le 2 Octobre elle est déjà prête à entrer pour la première fois en scène, au théâtre des Champs Elysées. Dans cette fameuse « revue nègre » où elle apparaît vêtue de quelques plumes et dansant un charleston endiablé intitulé « la danse sauvage » Ceux parmi les spectateurs qui ne s’enfuirent pas en hurlant, croyant que Joséphine allait les dévorer lorsqu’elle se dirigeait vers eux en roulant des yeux, ceux qui ne conspuèrent pas sa nudité presque totale, ceux-là lui firent un triomphe et la firent entrer dans la gloire et la légende en un seul soir. En une seule danse. Le peintre Fernand Léger se prosterne à ses pieds et souhaite faire son portrait, Paul Poiret fait de même et souhaite l’habiller. Picabia et Blaise Cendrars lui baisent la main. Le figaro, lui , titra: « L’Offense la plus directe jamais faite au bon goût français »!
Deux ans plus tard elle est une diva absolue. Elle est respectée, vénérée, adulée et descend le grand escalier des Folies Bergères, laissant Mistinguett crever de rage sur la scène du Moulin Rouge. Elle a entretemps renouvelé l’opération « scandale exotique » en dansant avec son célèbre pagne de bananes! Elle a engagé un secrétaire parce qu’elle le trouvait mignon et avec qui elle mènera une tendre liaison: l’écrivain belge George Simenon puis fait la rencontre de Vincent Scotto qui est le premier à oser défier celle qui est plus qu’une star. Celle qui est la signature de sa génération.
Alors même qu’elle se grise à juste titre de gloire, d’argent et de champagne, celle qui en Amérique n’était guère plus respectée qu’un torchon de cuisine s’entend dire par Scotto: » Aujourd’hui ils vous adorent mais demain ils peuvent s’enticher d’un caniche savant et vous jeter aux ordures! Si vous n’avez pas des chansons valables et un répertoire digne de ce nom vous ne tiendrez pas et j’espère que vous aurez de quoi regagner Saint Louis en troisième classe.« Sur le coup, Joséphine faillit lui lancer son léopard apprivoisé en pleine figure mais Scotto avait raison. Elle le toisa et lui répondit « Et bien soit, faites-moi une chanson ».
« J’ai deux amours
Mon pays et Paris
Par eux toujours
Mon coeur est ravi
Ma savane est belle
mais à quoi bon le nier
ce qui m’ensorcelle
C’est Paris, Paris tout entier »
Et c’est elle qui ensorcela Paris. A tout jamais.
Nous sommes en 1931 et Joséphine Baker est la plus célèbre, la plus inouïe des stars françaises! Rien qu’avec les royalties sur la gomina qui porte son nom elle serait richissime!
Bien entendu, le cinéma fait appelle à elle et elle enchaîne deux films avec comme il se doit les deux acteurs les plus en vue du moment: Jean Gabin et Albert Préjean, respectivement dans « Zouzou » et « Princesse Tam-Tam ». Les films ne seront pas des succès, la caméra ne raffole pas de Joséphine et, soyons justes, Joséphine ne semble pas avoir découvert avec le cinéma son mode d’expression ultime. Ses « trucs » ultra célèbres comme de marcher à quatre pattes les jambes raides, faire danser ses yeux ou son index ne « passent pas » à l’image et même si elle s’accroche au lustre et saute à pieds joints dans les fenêtres, Joséphine Baker semble vouloir porter à l’écran son personnage scénique, perpétrer sa légende et n’accorde aucun crédit à ses personnages. Même si, ceci étant dit, ces deux films se laissent voir bien volontiers, le fait demeure: Joséphine minaude et grimace.
En 1936, a la faveur d’un week-end en Dordogne, elle découvre le château des Millandes et l’achète! Il deviendra son fief et même si elle y reçoit de nombreux invités, personne n’aura le droit d’y dormir! Peu à peu elle va acquérir toutes les maisons du petit village presque abandonné à l’époque pour en faire ses « chambres d’amis »!
Ce mauvais pas de deux filmé pour le cinéma va s’oublier dans la tournée qu’elle entame dès 1936. Il s’agit pour elle de revenir en Amérique et de montrer à tous ces croquants ce que des pays civilisés comme la France peuvent faire d’une femme noire: Un idole, un être respecté, un être humain sans souci de sa couleur. Mais l’Amérique c’est un pays de durs à cuire et on ne badine pas avec les fondements de la nation comme le mépris des noirs. Dès 1937, Joséphine est de retour, disons-le « bredouille » avec une tournée écourtée qui devait parcourir le continent et n’a pas décollé de Broadway!
La star, outrée, rentre en France et coup sur coup adopte la nationalité française et épouse un Français, Jean Lion. Ce n’est pas l’Amérique qui la bannit, c’est elle qui bannit l’Amérique! Mais Joséphine Baker n’en a pas fini avec les abrutis.
En 1939, sa douce France n’a d’autre choix que de déclarer la guerre au parti national socialisme d’Hitler. Et Joséphine Baker a assez vu les sbires du KKK pour ne pas voir parfaitement de quoi il retourne! Enfant elle avait failli être prise dans une « rafle » qui avait fini par le lynchage de 39 noirs d’âges et de sexes indifférents. Elle va immédiatement entrer personnellement en guerre avec Adolph Hitler! Elle est une résistante immédiate, devient très vite un des rouages essentiels du contre espionnage et jubile en passant au nez et à la barbe de l’ennemi des messages codés en partitions musicales! Elle tourne avec la jeune Micheline Presle « Fausse Alerte » mais ni l’une ni l’autre ne s’en souviendront tant les autres évènements de l’époque prennent le pas sur le cinéma.
Joséphine tourne son film, espionne sans vergogne puis reprend sa place sur la scène du casino de Paris le soir! Bientôt elle devra quitter Paris, elle s’en ira remonter le moral des troupes avec Maurice Chevalier sur la ligne Maginot avant qu’Hitler n’en fasse son ennemie personnelle. Joséphine rejoint Marlène Dietrich et Irène de Trébert sur la liste « A fusiller sur place ». Lorsque les Allemands font tomber la défense Maginot, Joséphine rentre aux Millandes où elle cache réfugiés, résistants , juifs et tout ce qui peut énerver Hitler! Elle installe un émetteur radio dans la plus grosse tour de son château pour prendre ses ordres de Londres!
Puis ce sera la fuite en avant! Hitler fait courir la nouvelle de sa mort. Joséphine pourtant est à Marseille pour « raison d’état », mais pour justifier sa présence incongrue, elle monte une opérette à ses frais. Puis ce sera le Portugal, le Maroc, Casablanca et Marrakech. Ce sera même Bruxelles où elle se cache du côté des Etangs d’Ixelles, accueillie par son cher Simenon. Elle transite tous les jours avec lui par…la maison de la radio place Flagey! A l’époque elle est la seule noire de la capitale! Vive la discrétion clandestine! Elle trouvera le temps de contracter une paratyphoïde qui la laissa entre la vie et la mort durant près de deux ans à Casablanca. Epoque bénie pour Hitler qui propage alors la nouvelle de sa mort.
Remise sur pieds en 1943, Joséphine ne peut plus guerre espionner ce qui en toute objectivité fut une des grandes joies de sa vie! Elle va alors, comme Marlène Dietrich chanter pour le moral des troupes. Dans sa jeep, elle ira à la rencontre du général de Gaulle à Alger puis elle ira chemin faisant au Caire, à Beyrouth, en Syrie, en Palestine (tant d’endroits où elle ne serait plus reçue aujourd’hui), au Liban avant de revenir à Marrakech, à Alger et à Oran. Bien entendu, Joséphine refuse de se faire payer, elle fait son devoir! Après avoir retrouvé Paris en 1944, descendu les Champs Elysées en uniforme et rencontré le chef d’orchestre Jo Bouillon, Joséphine repart! Les Français sont stupéfiés de la voir vivante et des producteurs avisés ressortirent « Fausse Alerte » c’était bien le moins! Jamais un film n’avait été aussi judicieusement nommé! Elle repartira encore deux ans à travers un monde dévasté par la guerre, une tournée où elle chantera partout et pour tous, une tournée qui la mettra face à l’horreur à Buchenwald. Mais la maladie contractée au Maroc a eu des séquelles sur l’état de santé général de Joséphine. C’est hospitalisée à Neuilly qu’elle reçoit la croix de guerre.
Lorsque son état général le lui permit, elle regagna ses chères Millandes. Reconquérir Paris ne l’intéressait plus. Elle avait une autre idée en tête! Plus jamais, après les horreurs vécues durant son enfance et pendant la guerre elle ne voulait être confrontée au racisme. Elle croyait, comme toute une génération avoir enfin éradiqué cette vieille baderne et pouvoir enfin vivre dans un monde en paix parce que sans préjugés. Elle se mit en tête d’adopter, avec Jo Bouillon qu’elle avait épousé en 1947 les enfants qu’elle ne pouvait avoir et en voulut douze! De douze origines ethniques différentes! Sa « tribu arc en ciel ». Et pour celà elle se mit en tête de rentabiliser les Millandes qui n’avaient toujours ni eau ni électricité ni téléphone mais une incroyable salle de bains noire et or signée Lanvin! Elle décida d’en faire une ferme modèle, une sorte de petit fief qui pourrait vivre en autarcie.
Si elle acheta bien des vaches, des poules et des cochons, on y vit surtout des chiens et des paons! De ses terres elle voulut faire un parc d’attractions (qui existe toujours aujourd’hui) mais le grand coeur de Joséphine s’accordait mal à faire payer une entrée à des enfants! Ajoutons à celà qu’elle installa gratuitement soixante familles dans les maisons du village qui lui appartenaient! Bientôt elle ouvrirait une poste, un poste à essence, deux hôtels, on pourrait pratiquer le golf ou visiter un musée de cire retraçant sa vie et sa carrière. Et comme la Dordogne, ce n’est pas la porte à côté de Paris, il y eut bientôt un héliport!
Mais tout celà coûtait de l’argent! Bientôt Joséphine devrait reprendre ses strass et ses plumes pour gagner sa vie et faire tourner la machine!
En 1948 elle avait à nouveau tenté la tournée américaine mais elle avait subi un second échec. Finalement son Amérique natale était son seul bastion invaincu. Elle revint!
En 1951, A 45 ans, après un nouveau triomphe aux Folies Bergères qu’elle avait ensuite emmené jusqu’à Cuba où l’accueil avait été délirant, elle négocie un contrat d’un nouveau genre pour sa tournée Américaine qui comprend Chicago, New-York, Boston et Hollywood: Les noirs comme les blancs pourront acheter des billets et venir au spectacle! C’est la première fois de l’histoire américaine. Le spectacle est parfait, Joséphine au sommet. Les critiques sont excellentes mais la fréquentation reste très moyenne, on ne tient pas à être assis à côté d’un noir lorsque l’on est un Américain bien né, même pour voir cette Joséphine Baker!
A New-York, après son spectacle, Joséphine se rend au très sélect Stork Club pour y dîner. L’actrice Grace Kelly est présente. Joséphine fut reçue avec beaucoup d’égards mais ne fut pas servie. On ne servait pas les noirs. Miss Kelly, rouge de honte, plongea le nez dans son poulet basquaise. Si elle intervenait, son contrat à Hollywood aurait été immédiatement résillé, elle le savait. Elle adopta le profil lâche.
Joséphine Baker, star et ancien combattant fut ulcérée et provoqua un scandale inouï relayé dans toute la presse! Elle espérait bien faire bouger les choses mais fut prise à partie par sa femme de chambre, noire comme il se doit à l’hôtel : »Arrêtez d’attirer l’attention sur nous! On ne vous a rien demandé! Qu’est-ce qu’on s’en fout qu’ils ne servent pas les noirs au Stork Club! On ne saurait même pas se payer le taxi pour aller jusque là! » Et les noirs américains ne virent pas Joséphine en scène. Le billet aussi était bien trop cher pour eux. Le litige avec le Stork Club s’envenima, il devint une affaire d’état et finalement Joséphine fut traitée de communiste puis de fachiste! Elle hurla, tempêta puis s’en alla en Argentine à l’invitation du Général Péron! Finalement le gouvernement américain lui signifia clairement que si elle continuait son travail de sape, on lui interdirait le territoire américain! Réponse de la star: « Interdite en Amérique? C’est un honneur! »
Durant toutes les années 50, Joséphine va parcourir le monde, à l’exception de l’Amérique, et adopter ses 12 enfants qu’elle élèvera dans le respect de leur religion d’origine. Les Millandes accueillent 300.000 visiteurs par an mais l’argent file entre les doigts de monsieur et madame Bouillon. Le couple finit par se séparer.
Sois dit en passant, son conflit avec le gouvernement américain ne l’empêcha pas de soutenir Martin Luther King et de marcher, en 1963 et en uniforme militaire sur Washington pour l’égalité des droits entre noirs et blancs! Elle en profita pour enfin triompher au Canergie Hall avant de fêter ses 60 ans!
En 1959 le rock and Roll avait fait son oeuvre et Joséphine Baker n’avait rien à faire chez Elvis Presley ou Johnny Halliday. Pourtant sa voix mature était plus fantastique encore que sa voix de jeune fille. le frêle gazouillis de rossignol amoureux avait fait place à un timbre grave et velouté à faire mourir de jalousie la future Tina Turner. Joséphine triomphait à l’Olympia puis partait autour du monde avec sa nouvelle revue aux costumes ahurissants. pourtant les Millandes croulaient sous les dettes, chaque jour des exploits d’huissiers débordaient de la boîte aux lettres. Jean Cocteau un des plus fidèles amis de celle qu’il n’appelait pas autrement que « Perle Noire » est un des premiers à réagir, prend les devants et écrit une pièce de théâtre à son intention. Un projet qui hélas avorte.
En 1964 Brigitte Bardot, l’icône planétaire lance un appel de fonds pour que les Millandes ne soient pas vendues. Bruno Coquatrix puis Dalida lui emboîteront le pas. Mais Joséphine faiblit. Déjà deux fois elle a été terrassée par des attaques cardiaques.
En 1968, le domaine est vendu. Ni Bardot ni Coquatrix ni Dalida n’ont su trouver le demi million de dollars qui manque encore réclamé à Joséphine. Même si Brigitte a déjà mis quatre millions sur la table aussi simplement que si elle avait posé un pain de campagne. La vente ne rapporte presque rien et il s’en suit un épisode tragique de rocambolesque. Les enfants sont à Paris, Joséphine est seule aux Millandes. Elle a le droit d’y rester « tant qu’elle s’y trouve » et des huissiers squattent dans sa cuisine. Un matin, en chemise de nuit, elle sort avec un broc prendre de l’eau fraîche à la pompe dans la cour du château. Les huissiers referment la porte derrière elle, déclarant qu’elle « N’est plus dans le château et en est librement et volontairement sortie ». La photo de Joséphine assise en chemise de nuit dehors, pieds nus fera le tour du monde mais ne lui rendra pas ses chères Millandes.
Cette fois c’est Jean-Claude Brialy qui lui propose de se produire dans son restaurant parisien. Puis la princesse Grâce de Monaco entre en scène. Ce que Grace Kelly actrice ne pouvait se permettre, l’altesse monégasque le peut. Elle offre à Joséphine une villa belle époque à Roquebrune où elle pourra vivre avec ses enfants. La croix rouge interviendra elle aussi en souvenir des services rendus sans compter par Joséphine durant la guerre. La star maintenant approche les 70 ans mais elle est toujours au sommet de son art malgré sa faiblesse cardiaque de plus en plus évidente. Elle revient au Canergie Hall de New-York puis entame une tourne mondiale avant de revenir à Bobino qui fête « Les 50 ans d’amour entre Joséphine Baker et Paris ». Les assurances du « Casino de Paris » si cher à son coeur ont refusé de la couvrir. C’est le prince Rainier de Monaco qui finance la totalité du spectacle de Bobino jusqu’au dernier centime.
Le 8 Avril 1975 c’est la première. Mick Jagger, Sophia Loren, Alain Delon et Mireille Darc, Jeanne Moreau, Pierre Balmain, Tino Rossi et bien sûr la princesse Grâce, tous sont là pour porter Joséphine en triomphe et le spectacle sera à la hauteur de leurs espérances. Elle est plus grandiose, plus fabuleuse que jamais!
250 invités la fêteront après le spectacle lors d’un grand dîner en son honneur à l’hôtel Bristol. Le dernier soir de sa vie.
Le lendemain, Joséphine Baker sombre dans le coma. Emmenée à la Salpêtrière, elle ne se réveillera pas et entre dans la mort, terrassée par une hémorragie cérébrale.
Ses funérailles seront nationales et télévisées. Joséphine part entourée de ses amis qui pour certains l’avaient applaudie à tout rompre trois jours plus tôt. Sophia Loren et la princesse Grâce furent de ceux-là. Ironie du sort, le convoi funèbre passa devant Bobino où le nom de Joséphine Baker brillait encore en lettres de feu. On s’arrêta quelques instants…pour la photo.
Grace Kelly fit un dernier cadeau à Joséphine: sa sépulture. Elle repose à Monaco, juste à côté de Marie Bell, une copine!
Celine Colassin
QUE VOIR?
1934: Zouzou: Avec Jean Gabin et Yvette Lebon
1935: Princesse Tam Tam: Avec Albert Préjean, Germaine Aussey et Viviane Romance.
1945: Fausse Alerte: Avec Micheline Presle, George Marchal et Gabrielle Dorziat