La fabuleuse Juliet Prowse n’avait que 60 ans lorsqu’elle ferma à jamais ses grands yeux noisette. Soixante ans moins onze jours.
Le 25 Septembre 1935, Juliet Anne Prowse était née à Bombay. Le 14 Septembre 1996 elle s’éteignait à Los Angeles. Entretemps elle avait dansé, virevoltant et éblouissant les écrans et mené des liaisons tapageuses avec les deux plus grandes stars de leur époque, j’ai nommé Frank Sinatra et Elvis Presley.
Ainsi, si la charmante Juliet naît à Bombay c’est en Afrique du Sud qu’elle grandit. Une croissance en chaussons puisque dès ses quatre ans elle suit avec assiduité ses cours de danse. Occupation qui se transformera en passion avant de devenir son métier. Il fut un temps où les grandes étoiles de la danse hollywoodienne, tels Fred Astaire et Gene Kelly eurent la marotte de découvrir les futures Ginger Rogers et Cyd Charisse, faisant débuter à l’écran Leslie Caron ou Barrie Chase, Juliet ne dut qu’à elle-même son ascension vers les écrans, une ascension qui passera par Paris avant Los Angeles. La belle danseuse sud africaine s’était hissée jusqu’aux scènes des grands cabarets parisiens, sorte de saint graal pour toutes les danseuses du monde, sauf peut-être pour celles nées à Paris qui ne rêvent que de Broadway!
A Hollywood, la Century Fox semblait avoir la nostalgie d’un triomphe MGM de 1954, celui de « Gigi » avec Leslie Caron, Louis Jourdan, Maurice Chevalier et le Paris de la belle époque. Le studio choisit alors de porter à l’écran une opérette dont Cole Porter avait écrit le livret: « Cancan ». Irène Hilda qui avait porté Cancan au triomphe à Londres ne fut pas envisagée. Pas assez célèbre…On mit les petits plats dans les grands. Jourdan, Chevalier et le Paris de 1900 reprirent du service. Et puisque Frank Sinatra devait un film au studio, il accepta de donner la réplique à sa bonne vieille copine Shirley MacLaine qui devait être la grande vedette de la chose. Et comme à Paris sévissait une nouvelle « attraction dansante », miss Juliet Prowse fut engagée en qualité de curiosité complémentaire.
Le film avait forcément un air de « déjà vu ». Maurice Chevalier y fut encore plus ennuyeux que d’habitude. Louis Jourdan lassé des sempiternels rôles de bellâtres vaguement niais ne fit aucun effort de crédibilité et Shirley MacLaine se dépensa beaucoup pour justifier son cachet et la mise de la Century Fox.
Nikita Khrouchtchev en visite officielle en Amérique assista sur un tréteau d’honneur à la grande scène du cancan (on avait dressé une estrade à hauteur d’un premier étage pour que ce brave ne soit pas le nez à la hauteur des culottes froufroutantes de ces dames) Mais rien n’y fit. Il qualifia le ballet belle époque de Shirley et Juliet d’exhibition pornographique scandaleuse et décadente ce qui fit une bonne publicité au film et étonna de la part d’un homme dont le plus cher désir était de rencontrer Marilyn Monroe. Laquelle avait accepté de le rencontrer en marge du tournage du « Milliardaire » à condition de ne pas devoir l’embrasser. On a ses pudeurs.
Frank Sinatra et Juliet Prowse vécurent le film sur un nuage rose et un peu distant. Ils avaient été frappés du même coup de foudre et ils avouèrent très vite leur liaison aux gazettes déchaînées. Bien que le personnage de Juliet fut peu présent et ses chapeaux fort hideux, elle fut la seule à trouver grâce aux yeux des critiques qui incendièrent ce film démodé avant d’être tourné. Dans tout le tohubohu du tournage, seule la liaison de Frank et Juliet captiva le public, d’autant qu’ils se produisirent ensemble à la télévision et que l’on put admirer le couple sur le petit écran avant le grand.
Elle était déjà une star mondialement connue avant que son premier film ne soit sorti sur les écrans et cette renommée était d’autant plus exceptionnelle qu’elle n’avait encore aucune cote commerciale, aucun box office. Mais elle était peut-être la prochaine madame Sinatra, celà suffisait à la gloire en 1960.
Deux ans plus tôt, lorsqu’Elvis Presley dut effectuer son service militaire en Allemagne, le monde du disque et du film sembla s’effondrer! Le King rasé de frais et la banane trucidée en direct aux actualités par le coiffeur de l’armée était appelé sous les drapeaux! Le manque à gagner était colossal et l’Amérique ne pouvait guère envisager de se passer du king du rock durant deux ans ! Evidemment, l’idée de le faire travailler durant ses permissions sur le territoire teuton s’imposa d’emblée aux esprits facilement cupides des dirigeants de la Paramount! Et comme les qualités d’acteur d’Elvis Presley ne laissaient d’illusions à personne saut peut-être à lui même, il n’était pas nécessaire de déplacer en Europe une de ces dames d’Hollywood. Elvis devait être la seule star de ses films, faisant la part belle aux nouvelles « découvertes », tel un James Bond chantant, il avait ses Presley girls comme il y aura des James Bond girls!
Il ne restait à l’agent de la belle Juliet qu’à glisser le pion de sa cliente sur l’échiquier Elvis-Paramount!
Belle, talentueuse et pas très chère, la jeune danseuse de 25 ans gagna la partie haut la main pour ne pas dire haut la jambe et devint la partenaire du bidasse Elvis Presley. Un partenariat qui, comme il se doit, se poursuivrait en dehors des heures de tournage et de manœuvres et…A Hollywood!
Absent des écrans depuis deux ans, l’idole du rock était entré à l’armée sur le triomphal « Bagarre au King Créole ». Il piaffait d’impatience à l’idée de retrouver les plateaux et montrer ce dont il était réellement capable devant une caméra. Tout le monde tenait au sans faute, et après huit mois de préparation, le film était prêt à être tourné et…Elvis rendu à la vie civile! Hélas, « Bagarre au King Créole » resterait le meilleur film d’Elvis Presley et même si « GI’s Blues » engrangea plus de quatre millions de dollars de bénéfices, le film était médiocre. Les critiques furent acerbes et la seule à trouver grâce dans la curée fut la « découverte « Juliet Prowse.
La liaison de la « découverte » en question et du King ne survécut pas à la fin du tournage, il allait bientôt rejoindre une nouvelle « découverte » sur le plateau de son prochain film: Ursula Andress. Juliet, qui cette fois avait été fort discrète retrouva Frank Sinatra et ces deux-là annoncèrent leur prochain mariage en 1962. Provoquant une épidémie d’évanouissements d’admiratrices, Frank demanda officiellement Juliet en mariage, assortissant sa demande d’un solitaire propre à faire passer toute la quincaillerie d’Elizabeth Taylor pour un étal de brocante en faillite. Le solitaire allait d’ailleurs magnifiquement avec le somptueux bracelet cerclé de rubis que Frank lui avait offert quelques jours plus tôt. Juliet prit l’avion pour Johannesburg pour demander à ses parents de bien vouloir venir à Los Angeles assister à son mariage.
Juliet se voyait bien en « madame Sinatra ». Mais le crooner aux yeux bleus ne voyait pas en madame Sinatra une star d’Hollywood mais plutôt une sublime ménagère à la mode italienne. Notre jeune héroïne avisant bien vite que ce mariage ne serait pas pour elle un tremplin mais un frein pour sa carrière prit la décision de rompre ces très voyantes fiançailles. On douta fort qu’elle ait pris les devants dans cette rupture! Les experts les plus avertis en frasques Sinatresques déclarèrent que le crooner aux yeux bleus avait parfois des périodes d’abattement où il distribuait des demandes en mariage peu réfléchies. Lana Turner et Lauren Bacall en avaient déjà fait les frais.
Juliet renvoya donc au crooner ses somptueux présents. Lequel joua les offusqués dans la presse en déclarant qu’on ne reprenait pas à une dame les présents qu’on lui avait offerts. Il renvoya donc le tout à Juliet. Le tout sauf le précieux solitaire de dix carats. Frank estimant qu’il s’agissait là d’une bague de fiançailles et que la tradition voulait que la dame restitue ce genre de choses lorsqu’elle changeait d’avis. Juliet aurait bien gardé le solitaire, histoire de prouver au monde qu’il y avait bien eu fiançailles mais fit contre mauvaise fortune bon cœur.
Mais peut-on s’émanciper de Frank Sinatra après l’avoir trompé avec Elvis Presley et devenir une star d’Hollywood comme si de rien n’était? La suite prouva que non et la belle « découverte » Juliet Prowse ne dura pas plus que les roses, fussent-elles à très longes tiges.
Elle quittait définitivement le cinéma en 1965 et resterait active vingt deux ans de plus à la télévision, tirant sa révérence après un épisode d’Arabesque en 1987. La dame ne fut guère amère. Elle avait un nom, une réputation et un réel talent. S’estimant déjà très chanceuse d’être arrivée jusque là, elle mena une très grande carrière sur les scènes américaines, faisant de Las Vegas son fief et des plateaux de télévision sa résidence secondaire!
Wikipédia ne se fait pas faute de nous rappeler qu’elle fut la première à se prêter au jeu d’une nouvelle émission à laquelle personne ne croyait: Le Muppet Show! Juliet avait fait deux rencontres cruciales sur les plateaux de télévision outre celle de Kermit. En 1972, celle de l’acteur John MacCook de neuf ans son cadet qui sera son seul mari et le père de son fils unique Seth né en 1972. Le couple divorça en 1979
Elle rencontra également un tigre à qui elle n’avait pas le bonheur de plaire et qui se rua sur elle deux fois, lui arrachant une oreille à la seconde fois! Ornée de vingt points de suture, elle entendit en 1994 le diagnostic fatidique qui avait autrefois frappé Joan Crawford, celui du cancer du pancréas réputé fatal, ce que Juliet Prowse ne voulut pas entendre!
Elle se battit comme une lionne en furie. Elle qui avait dompté Presley et Sinatra et avait eu affaire à un tigre! L’année suivante, elle faisait une rentrée triomphale sur scène et accompagnait Mickey Rooney en tournée.
Le mal ne s’était hélas qu’un temps apaisé, et Juliet Prowse rendait définitivement les armes le 14 Septembre 1996.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1960: Can-can: Avec Shirley MacLaine et Frank Sinatra
1960 GI’s Blues: Avec Elvis Presley
1961: The Fiercest Heart: Avec Stuart Whitman
1961: The Right Approach: Avec Frankie Vaughan et Martha Hyer
1965: Dingaka: Avec Stanley Baker