La belle Junie Astor qui vit le jour à Marseille le 21 Décembre 1911 (ou 1912 selon les sources) pousse ses premiers braillements sous le nom de Rolande, Jeanne Risterucci, ce qui convient peu à une future étoile, même filante, du cinéma Français. Cette actrice au talent débordant à foison d’une palette aussi riche que haute en couleurs réunit tous les critères de nos belles éphémères: Depuis les débuts modestes aux grands triomphes sans lendemains jusqu’à la mort brutale qui interrompt le cours de son destin.
J’ai trouvé peu de traces des débuts dans la vie de la future Junie, et bien peu encore de ses débuts dans le dur métier d’artiste. On sait qu’elle se rêva prima ballerina, commença une formation de danseuse classique qu’elle abandonna au profit des « arts parlés » et suivit les cours du conservatoire.
Cette jolie demoiselle aux sourcils hauts perchés, aux grands yeux expressif, au nez spirituel et à la petite moue de poupée de salon, apparaît, se soumettant à l’admiration du public des cinémas, quelque part entre Fernandel et Noël Noël dans « Adémaï Aviateur », nous sommes en 1934. Elle avait débuté au théâtre l’année précédente en donnant la réplique à Julien Carette. Si « Adémaï Aviateur » n’est pas son tout premier film, c’est le premier que la jeune débutante Junie Astor tourne en qualité de vedette et qui connut un succès fou.
Deux ans plus tard elle tourne le rôle qui la figera à jamais dans l’imaginaire collectif des cinéphiles: celui de la Natacha des « Bas Fonds » de Jean Renoir face à Jean Gabin. Un film considéré aujourd’hui comme un des incontournables classiques du cinéma Français. Le film qui nous offre la seule rencontre à l’écran des monstres sacrés Gabin et Jouvet.
Le film connut pourtant bien des aléas qui ne manquent d’ailleurs pas de caviar. Le parti communiste français avait investi dans le film des sommes colossales puisque le scénario n’était autre que l’adaptation d’une oeuvre de Maxime Gorki. Les fonds investis permirent à la production de copieuses dépenses. Faire construire de nombreux décors, engager de grands noms. On peut revoir dans le film, outre les visages de Jean Gabin et de Louis Jouvet, ceux de Junie bien sûr, mais aussi de Suzy Prim, Robert le Vigan ou Jany Holt. Or quelques jours avant le début du tournage, le couperet tombe, le parti communiste n’apprécie ni le scénario ni les décors, l’ensemble a perdu son « Ame Russe »! Tout le monde était atterré, sauf Renoir qui déclara: « On s’en fout! Flanquez-moi quelques samovars dans les coins et rendez aux personnages leurs noms d’origine, ça devrait les contenter! » Et ils furent en effet contentés!
C’est ainsi que Gabin arriva au studio et qu’il découvrit qu’il ne jouerait plus « Jean » mais « Pepel »! Junie devenait Natacha et Suzy Prim devenait Vassilissa, sa grande soeur de cinéma!
Dans la foulée, Junie découvrit que le chignon « a la russe », c’est à dire en tresses relevées sur le haut du crâne et enroulées lui allait fort bien au teint et sublimait encore son beau visage. Elle en fera sa coiffure de prédilection durant des années.
Avec le film de Renoir, elle atteint des sommets. L’année suivante, elle est la première couronnée du prix Suzanne Bianchetti qui vient de naître pour son travail dans « Le Coupable ».
Malheureusement, même durant l’époque bénie que furent les années 30 pour le cinéma Français, on ne tournait pas d’immortel chef d’oeuvre tous les jours. Junie bien que devenue une populaire et très prolifique actrice ne retrouvera plus d’aussi prestigieuse matière à défendre avant « L’Eternel Retour » de Jean Delannoy et Jean Cocteau en 1943. Il convient encore de préciser que Junie Astor n’est la vedette dans aucun de ses films de grand prestige. Elle est un second rôle aussi prestigieux qu’efficace, certes, mais un second rôle tout de même!
Restée fidèle au poste dans le Paris occupé, elle se fera elle aussi embringuer dans le fameux voyage à Berlin, devenu aujourd’hui le « voyage de la honte », et qui emmena la crème du cinéma Français d’alors admirer les installations berlinoises de l’oncle Adolphe Pendant que la diva Zarah Léander faisait le trajet dans l’autre sens. Est-ce parce qu’elle était aussi populaire en Allemagne qu’une Viviane Romance que Junie Astor fut elle aussi du voyage ou est-ce qu’elle accompagnait son amie proche Danielle Darrieux, je l’ignore. Albert Préjean, Danielle Darrieux et Suzy Delair payèrent chèrement la coûteuse addition dès qu’on solda les comptes dans un Paris fraîchement libéré. Junie, sans doute pour avoir été la « deuxième » Nathalie de « L’Eternel Retour », film que la résistance française considérait à la fois comme son hymne et son étendard ne me semble pas avoir été inquiétée à ce propos. Il semble qu’elle n’ait jamais été aussi active à l’écran qu’en ces heures de liesse et de liberté retrouvée!
On retrouve en effet Junie Astor en pleine activité dans ce Paris libéré. Elle semble n’avoir jamais été autant sollicitée. C’est dans cette mouvance que non seulement elle convole avec le réalisateur Bernard de la Tour, mais qu’elle décide avec monsieur de créer sa propre maison de production, à l’instar de Viviane Romance qui elle aussi souhaite produire des films avec des rôles « enfin dignes d’elle »! La maison de production de Junie n’aura hélas qu’une existence aussi brève que confidentielle. Tout comme son mariage d’ailleurs. Le cinéma Français, un peu rancunier va faire payer à la belle ingrate ses velléités d’indépendance et ses rôles vont perdre en intérêt dans des films qui perdront en prestige!
Après avoir été dirigée par Renoir, Delannoy, Decoin ou L’Herbier, donné la réplique aux gloires les plus illustres de son temps dont Fernandel, Jules Berry, Raimu, Suzy Prim, Fernand Gravey, Albert Préjean, Marie Bell, Jean Gabin, Danielle Darrieux, Gaby Morlay ou Noël-Noël. Elle finira par donner la réplique à Eddie Constantine, Claudine Dupuis, Cathia Caro ou Dora Doll ou se faire diriger par Alfred Rode, monsieur Claudine Dupuis à la ville!
Junie Astor n’en devient pas pour autant une « has been » en quête de rôles pour survivre et se survivre, elle s’est remariée avec John Simone, le patron de Maserati France et a ouvert un cinéma sur les grands boulevards, « l’Astor ». Et devant la réussite de celui-ci qui bénéficie de son savoir à la programmation, elle en ouvrira un second.
En 1966 elle avait été de la triste aventure de « Joe Caligula », film de lugubre mémoire qui sonnera le glas des carrières au cinéma de Ginette Leclerc et de la délicieuse Jeanne Valérie. Ce film mené par Gérard Blain connaîtra les affres de la censure et le désintérêt des distributeurs, mettant des années à sortir et finalement considéré en son temps comme un vulgaire filmX.
Ce triste épilogue marquera aussi la dernière apparition de Junie à l’écran.
Voulant profiter du soleil d’Août et du voyage en Maserati,, Junie décide d’accompagner son mari sur la route de l’Italie. Il doit en effet se rendre à Modène, en Ombrie et en profite pour tester la nouvelle Maserati Mistral.
Ils n’y arriveront hélas jamais et meurent tous les deux tués sur le coup dans un accident spectaculaire à hauteur d’Avallon. La route de l’été 1967 avait déjà été fatale deux mois plus tôt à Jayne Mansfield et à Françoise Dorléac.
Junie n’avait encore que 55…ou 56 ans à bientôt fêter
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1933: D’Amour et d’Eau Fraîche: Avec Renée Saint Cyr, Jean Acquistapace, Fernandel et Claude Dauphin .
1934: Ademaï Aviateur: Avec Fernandel et Noël Noël.
1935: Tovaritch: Avec Ariane Borg, Pierre Renoir et André Lefaur.
1935: Joli Monde!: Avec Germaine Aussey
1936: 27, Rue de la Paix: Avec Renée Saint Cyr, Suzy Prim et Jules Berry
1936: Toi, c’est Moi: Avec Saturnin Fabre, Claude May et Pauline Carton.
1936: La Garçonne: Avec Marie Bell et Arletty
1936: Les Bas Fonds: Avec Jean Gabin et Suzy Prim.
1936: Mayerling: Avec Danielle Darrieux et Charles Boyer.
1936: Au Service du Tsar: Avec Vera Korène et Pierre Richard Wilm
1937: La Bête aux Sept Manteaux: Avec Jules Berry et Meg Lemonnier.
1937: Le Coupable: Avec Pierre Blanchar et Gabriel Signoret
1938: Adrienne Lecouvreur: Avec Yvonne Printemps, Pierre Fresnay, Madeleine Sologne et Michèle Alfa.
1938: Monsieur Breloque a disparu: Avec Lucien Baroux et Gabrielle Dorziat
1939: Quartier Latin: Avec Blanchette Brunoy, Bernard Lancey et Sylvia Bataille.
1939: Entente Cordiale: Avec Gaby Morlay, Arlette Marchal et Victor Francen.
1939: Le Carnaval de Venise.
1940: Battement de Coeur: Avec Danielle Darrieux et André Luguet
1940: Tutto per la Donna: Avec Antonio Centa
1941: Fromont jeune et Risler aîné: Avec Mireille Balin, Bernard Lancret et Jean Servais
1942: Patrouille blanche( Le mystérieux monsieur Way) Avec Sessue Hayakawa
1943: L’Eternel Retour: Avec Jean Marais.
1945: L’Invité de la Onzième Heure: Avec Blanchette Brunoy et René Génin.
1947: L’Homme de la Nuit: Avec Albert Préjean.
1947: Les Beaux Jours du Roi Murat: Avec Claude Génia et Alfred Adam
1948: Cargaison Clandestine: Avec Claudine Dupuis, Kate de Nagy et Luis Mariano
1949: Piège à Hommes: Avec Micheline Francey et Albert Préjean.
1949 Du Glesclin: Avec Paul Amiot, Louis de Funès et Gisèle Casadesus.
1950: La Souricière: Avec François Perier, Danielle Godet, Bernard Blier
1951: Coupable? : Avec Raymond Pellegrin et Arlette Accart
1951: Boîte de Nuit: Avec Claudine Dupuis, Jane Marken et Anouk Ferjac
1951: La Belle Image: Avec Françoise Christophe, Suzanne Flon et Frank Villard
1954: Escalier de Service: Avec Danielle Darrieux et Etchika Choureau
1957: Isabelle a peur des Hommes: Cathia Caro et Roger Dumas.
1957: Mademoiselle Strip-Tease: Avec Agnès Laurent et Dora Doll
1957: Les Truands: Avec Eddie Constantine
1960: Interpol contre X: Avec Maria Vincent et Howard Vernon
1963: Cadavres en Vacances: Avec Simone Renant, Jeanne Valérie et Rita Cadillac
1966: L’Homme d’Interpol: Avec Hubert Noël et Sylvia Solar
1966: Joe Caligula: Avec Gérard Blain, Jeanne Valérie et Ginette Leclerc.