Lorsqu’on se penche sur les débuts de Karen Black et la carrière qui s’en suivit, on ne peut être que littéralement époustouflé. Le Hollywood des années 70 se plut à intellectualiser son cinéma et vouer le glamour qui avait fait sa gloire aux gémonies, emboîtant le pas à ce qui s’était fait en France dix ans plus tôt avec les résultats d’ailleurs mitigés de la « nouvelle vague ». On se mit donc à penser et à se laisser pousser les cheveux à Hollywood. On s’exprimait, on abordait les « grands problèmes de la société » on jouait « carte sur table », on « montrait les choses ».
Jane Fonda sera la première actrice de renom à y tourner une scène d’orgasme féminin. Jeanne Moreau s’empressa de venir s’y installer en sa qualité d’épouse intellectuelle de William Friedkin, le metteur en scène de « L’Exorciste ». On se mit à rougir en se souvenant qu’il y a encore quelques années la MGM tournait des musicals en technicolor avec Esther Williams! Mon dieu! Comment avait-on pu aller voir Betty Grable au cinéma? M’ouaih…A ceci près qu’à l’époque de Betty et d’Esther, Hollywood brassait plus de millions de dollars de bénéfices que jamais car ces messieurs qui soudain pensaient allaient coûter beaucoup plus cher… Mais maintenant…Les valises de billets verts…On les perdait! On avait simplement oublié qu’il fallait AUSSI et SURTOUT vendre du pop-corn! Dans toute cette mouvance artistico-intello-politico filmée, surgit l’égérie du moment: miss Karen Black.
Miss Black voit le jour sous le patronyme de miss Blanche! Elle naît le 1 Juillet 1939 sous le patronyme de Karen Blanche Ziegler à Park Ridge, proche banlieue de Chicago dans l’Illinois. Karen Black monte pour la première fois sur scène à 17 ans et deux ans de cours à la Northwestern University dans son bagage. Elle va se consacrer à Shakespeare avant que la critique soudain ne s’entiche d’elle comme d’une sorte de nouvelle Sarah Bernhard, voire même de nouvelle Barbra Streisand. Si Karen Black ne peut faire rivaliser ses cordes vocales avec celles de la « Funny Girl », elle lui dame le pion lorsqu’il s’agit de loucher avec beaucoup de conviction. Cette petite coquetterie dans le regard dont elle aura la candeur de nier farouchement l’existence deviendra très vite sa marque de fabrique.
Nous sommes donc en 1965 et Karen Black connaît son premier succès personnel dans la pièce « Playroom » qu’a mise en scène Joseph Anthony. Elle est alors l’épouse d’un certain monsieur Charles Black qui ne lui fit que peu d’usage mais dont elle conserva le patronyme. De New-York elle file à Miami pour jouer « Après la Chute » de Miller et enchaîner avec « On A Clear Day You Can See Forever » dont Barbra Streisand reprendra le rôle à l’écran en chantant face à Yves Montand.
C’est Francis Ford Coppola en personne qui le premier l’invite à débuter au cinéma, dans un vrai rôle, dans « You’re a Big Boy, Now » avant qu’elle ne reparte à Broadway pour la pièce suivante de Joseph Anthony: « Happily Never After ». Dès cette année 1966, elle prend le pli de se partager entre Hollywood et New-York où là aussi elle se partage entre les scènes de Broadway, les plateaux de télévision (On la verra entre autres dans « Mannix », « The Invaders » »The Big Valley », « F.B.I » et…Les cours de l’Actor’s Studio.
Lorsque je précise que c’est Coppola qui la fit débuter dans un « vrai rôle », c’est parce qu’en 1959, Karen avait traversé « The Prime Time », le corps barbouillé de peinture, le « body painting » était tendance, mais personne ne se souvient de cette chose dont la vedette était Jo Ann Lecompte.
Mais revenons à « You’re a Big Boy Now ». Dans la foulée de sa rencontre avec Coppola, Karen Black va faire partie de cette nouvelle génération de cinéastes et de comédiens qui vont « faire » les années 70 du cinéma américain. En 1969 elle rencontre Jack Nicholson sur le plateau de « Easy Riders » où elle joue sa petite amie et l’acteur s’avoue complètement fasciné par cette actrice au regard trouble. Ils se retrouvent dès l’année suivante sur le plateau de « Five Easy Pieces », un succès colossal qui vaudra à Nicholson une nomination aux Oscars en qualité de meilleur acteur, Karen étant nommée en « best supporting actress ». George Scott battra Jack Nicholson au poteau et c’est l’illustre vétérane Helen Hayes qui évince Karen Black pour « Airport ». Le triomphe de « Five Easy Pieces » est difficilement compréhensible aujourd’hui et pour tout dire, la nomination de Karen Black aux Oscars aussi. Le film esthétiquement douteux est ce que l’on appelait autrefois u n « véhicule » pour Jack Nicholson qui peut y montrer « tout ce qu’il sait faire » dans un rôle d’ouvrier caractériel sous la dégaine duquel se cache un ex enfant prodige du piano d’une famille excentrique et fortunée. Karen est sa petite amie officielle serveuse, bête comme une oie, amatrice de musique country, collante comme un papier tue-mouches et exaspérante à souhait.
Si l’on considère que Jack Nicholson est le véritable sujet du film et non son prétendu scénario, on peut envisager de voir la chose. Quant à la performance de Karen, elle consiste à faire d’un rôle d’amoureuse en demande qui ne demandait qu’à rafler tous les suffrages, un rôle de bécasse exaspérante qu’on a envie d’étrangler du début à la fin. Ce n’est pas dans les mœurs hollywoodiennes habituelles des actrices cotées de servir la soupe à son partenaire plutôt que de briller. C’est ce qui dut sans doute fasciner l’académie des Oscars. Mais en appuyant si fort son personnage, Karen Black justifie les emportements de Jack Nicholson exaspéré tout le long du film par ses minauderies infantiles et gluantes. On sort du récit de la relation conflictuelle d’un être caractériel incompris et torturé avec une créature égoïste pour se retrouver dans l’anecdote ennuyeuse d’un couple mal assorti. Un mufle et sa cruche.
Aujourd’hui ce film qui fascina son époque est tombé dans un oubli total des plus mérités.
En 1971, se sentant bouffi de talent, Jack Nicholson passe derrière la caméra pour sa première réalisation, « Drive, He Said », film dont il dit lui-même : »Enfin un film d’un jeune américain à propos des jeunes américains » La Colombia y croit, débourse des tombereaux de rutilants dollars et la chose disparaît des affiches et des mémoires aussi vite qu’une mouche sur une vitre ou qu’une chanson de Karen Cheryl. Qui se souvient aujourd’hui que Jack Nicholson fut un réalisateur persuadé de tenir à lui seul le saint Graal de la création artistique? Personne et c’est tant mieux.
Miss Black de son côté est devenue en fort peu de temps une actrice en vue sanctifiée par sa nomination aux Oscars. Elle est bien cotée et sait faire face aux durs des durs à l’écran. Après Nicholson elle ne fera qu’une bouchée de James Coburn, Bruce Dern, Charlton Heston, Gene Hackman, Kris Kristofferson, Robert Redford, Robert Duval ou…Bette Davis! Bientôt elle devient la « first lady » d’importantes productions, en un mot comme en cent, elle est une STAR! Elle n’a qu’une rivale sérieuse: Valérie Perrine! Elle atteint les sommets (c’est le cas de le dire) avec Airport 75 et les transformistes de clubs gay se délectent en l’imitant. Il est vrai que voir Karen Black en courageuse hôtesse de l’air les postiches au vent essayant de poser son Boeing en louchant comme une possédée vers la piste d’atterrissage a de quoi déchaîner l’hilarité!
Mais dès le milieu des années 70 où elle atteint les sommets de sa gloire et de sa carrière. Karen Black brouille les pistes en jouant sur tous les poncifs visuels qui ont fait la signature de l’âge d’or des grands studios! Ses faux-cils sont devenus gigantissimes, ceux de Marlène Dietrich elle-même n’auraient pu rivaliser avec les porte-manteaux qu’elle se colle au bord des yeux et jamais encore on n’avait vu une actrice faire un tel usage de perruques et de postiches! Dans « Nashville » elle croule dessous. Bien sûr la dame, juchée sur ses talons aiguilles joue du balconnet, des gambettes et du fume cigarettes, bientôt elle perd en crédibilité, s’octroyant elle-même le coup de grâce dans « Family Plot » , l’ultime film d’Alfred Hitchcock pour lequel elle sort de la naphtaline la perruque ma foi fort drôle que portait Barbara Stanwyck dans « Double Indemnity ».
En 1975 déjà lors de son mariage « évènementiel » avec Kit Carson, Karen qui avait invité le tout Hollywood ne vit débarquer que Charlton Heston. Déjà on craint qu’elle ne dure pas et il n’est pas bon de se montrer au côté de stars qui risquent le désaveu. Il faut dire également que les invités étaient conviés à six heures du matin! « Un symbole car ce mariage est l’aube d’un nouveau jour, d’un nouvel amour et d’une nouvelle vie! » avait précisé l’heureuse élue.
Que sa passa-il alors pour la diva perruquée à l’avènement des années 80? Est-ce que le public se détourna d’une actrice qui ne le surprenait plus? Est-ce que les studios choisirent d’autres distractions? Je l’ignore mais l’étoile de Karen Black pâlit à un point tel que bon nombre de spectateurs se demandaient ce qu’elle avait pu devenir ou ce qu’elle faisait de sa retraite. Or l’actrice tournait toujours, sans relâche et plusieurs films par an. Souvent hélas de vulgaires produits qui échouèrent immédiatement dans le circuit vidéo ou des films d’épouvante de série Z qui ne peuvent guère passionner que les amateurs du genre…Et encore! Elle affronta des tombereaux de vampires et de tueurs en série dans les plus invraisemblables cimetières et maisons hantées qui soient et se coltina même avec des dinosaures de rutilant plastique. Rares sont les films dignes de son talent et de son prestige qui s’offriront encore à elle. En 2012 elle tournait « Warnings from the Bathtub », un court métrage où elle incarnait le fantôme d’une mère hantant la baignoire de sa fille!
Miss Karen Black s’est remariée trois fois après le court règne de Charles Black: Avec Robert Burton pour une courte union entre 1973 et 1974, avec L.M Kit Carson déjà cité. Un journaliste venu l’interviewer pour qui elle eut un fracassant coup de foudre et dont elle fit un acteur dans un de ses chers films d’horreurs. Et enfin avec Stephen Eckelberry, épousé en 1987 et qui restera son compagnon jusqu’à sa fin.
En 2010, la star apprenait la terrible nouvelle: elle souffrait d’un cancer des voies digestives. Complètement anéantie, elle tint la nouvelle secrété pour ne pas figurer sur la liste des « foutues » que les assurances ne veulent plus couvrir, les condamnant ainsi à une autre mort. Prise à temps, la maladie n’avait pu, espérait-on continuer son oeuvre destructrice et Karen Black était considérée comme guérie. Elle avait aussitôt repris son métier d’actrice sans lequel elle ne pouvait vivre. Elle a entamé l’année 2012 en tournant deux films à la fois! Hélas le 8 Août 2013, la maladie avait raison d’elle et Karen Black s’éteignait chez elle à Santa Monica.
Elle avait 74 ans depuis un mois.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1959: The Prime Time: Avec Jo An Lecompte
1966: You’re a Big Boy Now: Avec Géraldine Page et Elizabeth Hartman
1969: Hard Contact: Avec Lee Remick, Lilli Palmer et James Coburn
1969: Easy Rider: Avec Jack Nicholson, Peter Fonda et Dennis Hopper
1970: Fibe Easy Pieces: Avec Jack Nicholson et Susan Anspach
1972: Cisco Pike: Avec Kris Kristofferson et Gene Hackman
1972: Portnoy’s Complaint: Avec Richzrd Benjamin et Lee Grant
1973: The Outfit: Avec Robert Duvall, Robert Ryan et Sheree North
1974: The Great Gatsby: Avec Mia Farrow et Robert Redford
1974: Airport 1975: Avec Charlton Heston
1974: Law and Disorder: Avec Carroll O’Connor et Ernest Borgnine
1975: Nashville: Avec Keith Carradine
1976: Crime and Passion: Avec Omar Sharif
1976: Family Plot: Avec Bruce Dern et Barbara Harris
1978: In Praise of Older Women: Avec Tom Berenger et Susan Strasberg
1979: The Last Word: Avec Richard Harris et Martin Landau
1981: Separate Ways: Avec Tony lo Bianco
1981: Chanel Solitaire: Avec Marie-France Pisier et Timothy Dalton
1982: La Donna Guista: Avec Margot Kidder, Virna Lisi, Marie-France Pisier et William Tepper
1982: Come Back to the Five and Dime, Jimmy Dean, Jimmy Dean: Avec Cher, Cathy Bates et Sandy Dennis
1985: Martin’s Day: Avec Richard Harris et Lindsay Wagner
1985: The Blue Man: Avec Winston Rekert
1986: Flight of the Spruce Goose: Avec Betsy Blair
1987: It’s Alive III: Island of the Alive: Avec Michael Moriarty
1988: The Legendary Life of Ernest Hemingway: Avec Victor Graber
1989: Homer and Eddie: Avec Whoopi Goldberg et James Belushi
1990: Club Fed: Avec Judy Landers et Burt Young
1991: The Children: Avec Kim Novak, Ben Kingsley et Britt Ekland
1992: Judgement: Avec Eliott Gould et Emilia Crow
1993: The Trust: Avec Jim Bernhard et Sam Bottoms
1996: Dinosaur Valley Girls: Avec Griffin Drew, Jeff Rector et William Marshall
1997: Men: Avec Sean Young et Dylan Walsh
1998: I Woke Up Early the Day I Died: Avec Tippi Hedren, Cristina Ricci et Billy Zane
1999: The Underground Comedy Movie: Avec Barbara Snellenburg
2001: Hard Luck: Avec Brytane Garvin et Jack Rubio Jr.
2003: House of 1000 Corpes: Avec Sid Haig
2005: My Suicidal Sweetheart: Avec Lorraine Bracco et David Paymer
2008: Contamination: Avec Eric Roberts
2009: Stuck: Avec Jane Wiedlin et Susan Taylor
2009: Double Duty: Avec Mimi Lesseos
2011: Some Guy who Kills People: Avec Kevin Korrigan
1971: Drive, He Said: Avec William Tepper et Bruce Dern