Pour tous les cinéphiles, Lois Maxwell restera la femme d’un seul rôle. Un rôle qui la rend célèbre même chez le spectateur qui n’est pas cinéphile pour un clou, le rôle de Moneypenny dans la série des James Bond. La secrétaire, amoureuse du séduisant agent secret qui traversa toute les modes et toutes les époques. Fidèle au poste et à sa machine à écrire, tout changeait, même James Bond, Moneypenny était là et Moneypenny c’était Loïs Maxwell. Elle le sera 14 fois! Elle tournera plus de James Bond que Sean Connery, que Roger Moore et leurs successeurs! Il serait cependant bien dommage de cantonner le souvenir de cette excellente actrice à ce seul personnage, tout sympathique et récurrent qu’il soit!
Notre future Moneypenny naît le 14 Février 1927 à Kitchener, une petite ville de l’Ontario canadien. Elle est Loïs Ruth Hooker pour l’état civil. Fille d’un enseignant et d’une infirmière. Elle grandira et fera ses études à Toronto, cherchant comme toutes les jeunes filles de son âge de petits boulots d’étudiante. Elle n’est que peu inspirée par le baby sitting et se trouve des boulots de serveuses au bar des hôtels chic en mentant effrontément sur son âge. Particularité qui sera longtemps récurrente, car en ces temps lointains où la femme était majeure en se mariant ou en franchissant le cap des 21 ans, Loïs s’est enfuie de chez elle à quinze ans! Non que la situation familiale lui pèse, mais c’est la guerre! Pas question pour elle de rester chez maman à attendre que ça se passe alors que le monde est à feu et à sang et que chaque jour on meurt par milliers!
L’adolescente réussit à se faire engager dans l’armée! Certes les femmes ne sont pas au front, elles sont secrétaires, décryptent des messages, elles conduisent des camions et des ambulances. Moneypenny ne sourcilla même pas lorsqu’on lui donna un camion à conduire, s’installant derrière le volant comme un vrai routier alors qu’elle ne savait même pas où mettre la clé de contact!
Dotée d’un tempérament hors du commun, et d’un véritable abattage, Loïs était jolie et drôle. Bientôt elle intégrerait la troupe du théâtre aux armées et s’en irait détendre l’atmosphère et dérider le soldat partout où l’on se battait! Elle fut affectée en Angleterre. C’est là, alors qu’elle lève la jambe et pousse la chansonnette entre deux blagues un tantinet grivoises que la supercherie sur son âge est découverte! Elle fut immédiatement renvoyée de l’armée mais tenait à rester là où les choses se passaient. C’est à dire là où les bombes pleuvaient! Elle évita le rapatriement en s’inscrivant aux cours de théâtre de l’académie d’art dramatique de Londres où elle devint immédiatement la copine inséparable du plus beau de la classe: un certain Roger Moore! L’amitié qui unit instantanément ces deux là allait durer toute la vie.
J’ignore complètement à quel échange contractuel entre Londres et Hollywood Loïs Maxwell dut son « transfert » vers Los Angeles, mais toujours est-il que c’est à Hollywood que la jeune actrice débuta au cinéma. Un début de carrière à propos duquel il convient de remettre les pendules à l’heure. Contrairement à ce que l’on peut généralement lire et entendre à ce propos, ces débuts ne furent pas du tout médiocres, loin de là.
L’actrice passa très vite aux premiers rôles, quatre films tournés en vedette en 1948.
Elle fut la partenaire d’acteurs prestigieux comme Warner Baxter, Cesar Romero, Amedeo Nazzari, Ronald Reagan, Shirley Temple ou William Holden! Loïs a d’ailleurs obtenu un Golden globe dès ses débuts pour « That Hagen Girl », réussissant la prouesse de se faire remarquer dans l’ombre de Shirley Temple alors jeune adolescente froufroutant dans les jupons du premier rôle! Et si les films dont elle est la star ne sont pas des nouveaux « Autant en Emporte le Vent », c’est parce que ce film là est une exception dans le catalogue des studios!
Loïs ne renouvela pas son contrat en 1950. C’est tout simplement parce qu’elle ne se plaisait pas particulièrement à Hollywood. Londres lui manquait et l’Italie lui faisait les yeux doux avec des propositions de films qui, sur le papier en tous cas, avaient l’air plus alléchantes au niveau artistique que les braves films commerciaux qu’elle avait l’habitude de tourner.
Si l’actrice quitte Los Angeles pour Rome, c’est quand même sollicitée par Carlo Ponti! Hélas pour Loïs Maxwell, si les projets de Ponti étaient ambitieux sur le papier, le résultat ne fut à la hauteur des espérances de personne. « Aïda », opéra filmé de manière kitchissime avec Sophia Loren maquillée au nutella est d’une laideur jamais égalée à ma connaissance! Elle va donc se partager entre Rome et Londres, tourner des films de qualité moyenne jusqu’à l’été 1957 où lors de vacances à Paris, elle rencontre un homme fabuleusement beau qui fait instantanément chavirer son coeur. Le producteur de télévision Peter Marriott. L’homme est lui aussi en vacances. Il vit à Londres, Londres que Loïs adore. Ils se marièrent presque immédiatement et s’empressèrent de fonder une famille. Leur fille Melinda naît en 1958 et leur fils Christian en 1959.
Epouse heureuse, maman comblée, Loïs Maxwell la petite canadienne délurée est maintenant célèbre à Londres, à Rome et à Hollywood. Tous ses films triomphent au Canada où on est tellement fier d’elle, que pourrait-elle rêver de mieux?
Sa vie familiale et amoureuse a hélas ralenti sa carrière et si elle tournait son quota de quatre films par an depuis 1947, après « Kill Me Tomorrow » avec Pat O’brien en 1957, le mariage et la maternité l’éclipsent du grand écran jusqu’en 1960. Un seul second rôle en 1959 entre ses deux maternités: « Face of Fire » et quelques télévisions grâce à son mari. C’est tout, c’est peu. Le cinéma est vite oublieux et le destin ne va pas aider Loïs Maxwell. Il a déjà eu assez de bontés pour elle. Ca suffit.
L’année 1962 avait commencé sous les meilleures auspices: Stanley Kubrick lui avait offert un rôle dans « Lolita » et à Londres il se passait des choses incroyables: le producteur Cubby Brocoli voulait adapter James Bond au cinéma. Il cherchait désespérément son séducteur agent secret et avait jeté son dévolu sur le mari de Loïs, Peter Marriott à la beauté, à l’élégance et au charme parfaits. C’est ainsi que Loïs va tout naturellement intégrer l’aventure en préparation. A l’époque, il faut bien le dire, personne ne croit en ce projet, aucune jeune actrice ne veut être « James Bond girl », même les « playmates » refusent! Et si Brocoli choisit Peter Marriott qui n’est pas comédien pour un rôle titre, c’est que les comédiens non plus, ne veulent pas « jouer ça »! Ursula Andress donnait le scénario de « James Bond contre le Dr No » à lire à ses invités pour les faire rire et n’aurait jamais tourné le film si Kirk Douglas ne l’en avait pas persuadée.
Loïs aurait dû jouer la petite amie de James, Sylvia Trench. Mais l’idée de jouer des scènes sentimentales avec son propre mari devant les caméras ne l’inspirait pas. Elle préféra le rôle de Moneypenny. Eunice Gayson deviendra l’éphémère Sylvia.
Brocoli n’aimait pas trop être contrarié et il considérait déjà Loïs comme « imposée » sur son projet, il la renvoya purement et simplement lui disant d’aller plutôt faire des réclames pour produits ménagers! »
C’est à ce moment là que le destin de Loïs Maxwell bascule. Peter Marriott son mari est foudroyé par une violente crise cardiaque et mettra très longtemps à récupérer une relative intégrité physique. Seule avec deux petits enfants et un mari diminué, Loïs ne peut assumer le train de vie de la famille. Elle doit travailler. Elle relance alors Brocoli et fait pression sur lui pour obtenir le rôle de Moneypenny qui n’a toujours pas trouvé preneuse. Il finit par accepter mais réduit les scènes au minimum et son cachet à l’avenant. Finalement ce sera deux jours de tournage à cent livres et elle jouerait avec son propre vestiaire face à Sean Connery qui la détesta d’emblée! Bientôt ils ne se parleraient plus du tout en dehors de leurs répliques. Si sa famille n’avait pas été dépendante d’elle, nul doute que Loïs Maxwell n’aurait jamais toléré pareil traitement et aurait envoyé tout ce beau monde promener en termes choisis.
Mais deux cent livres c’était déjà ça. Elle accepta. Moneypenny ne fut pas la bouée de sauvetage espérée. L’aide vint de son ami Roger Moore qui commençait à être très célèbre à la télévision et l’imposera dorénavant sur tous ses projets. C’est ainsi que Roger Moore donne aussi la réplique à Loïs dans « Le Saint » et dans « Amicalement Vôtre ».
Les tournages avec Connery seront autant de pensums. La production refusant de l’augmenter malgré le succès planétaire du film et les milliards de recettes. Elle faillit être renvoyée pour une histoire de coiffure, Loïs ayant changé de couleur de cheveux sans la bénédiction de Brocoli qui l’obligea à jouer avec un turban. Et s’il la toléra encore sur le plateau, c’est parce que James Bond changeait d’interprète et que Loïs avait maintenant le soutien de son meilleur ami Roger Moore, nouveau tenant du rôle.
Bien évidemment, Loïs continua sa carrière en marge des James Bond. Mais elle était dorénavant « Miss Moneypenny ». Elle tournera d’ailleurs volontiers dans toutes les parodies de la série, atterrissant même au milieu des Charlots dans « Bons Baisers de Hong-Kong »! Ceci déclenchant immanquablement des fureurs apoplectiques chez Brocoli! Mais on se venge comme on peut!
En 1973, Peter Marriott le mari de Loïs décédait sans jamais avoir retrouvé une autonomie complète. Dévastée, Loïs regagna son Canada natal et devint même chroniqueuse pour le Toronto Sun, signant sa rubrique « Moneypenny » Elle investira alors dans des affaires moins aléatoires que le cinéma comme l’industrie textile. Elle vivra là vingt ans tout en sillonnant le ciel pour aller d’un tournage à l’autre, puis en 1994 elle revient s’installer en Angleterre à la demande de sa fille. Son fils, lui, s’est installé en Australie, bon sang ne sachant mentir dans cette famille toujours voyageuse. Mais si Loïs Maxwell se rapproche de sa famille, c’est parce que sa santé décline.
En 1985 elle était Moneypenny pour la dernière fois, suppliant la production pour que son personnage soit tué et que personne ne lui succède. Moneypenny aurait dû elle-même succéder à « M » mais la production changea d’avis ce qui précipita le départ de Loïs. On refusa également de supprimer Moneypenny qui changea simplement de tête comme le faisait James Bond avec une relative régularité.
Loïs souffrait, comme Audrey Hepburn et Farrah Fawcett du cancer du colon. Opérée une première fois en 2001, elle s’installe alors en Australie dans la famille de son fils pour voir ses petits enfants grandir. C’est là qu’elle s’éteint des suites de sa maladie le 29 Septembre 2007. Sa mort fut d’abord peu relayée dans les médias mais son éternel et plus fidèle ami Roger Moore veillait au grain et lui rendit un vibrant et sincère hommage qui fut relayé dans le monde entier.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1947: That Hagen Girl: Avec Ronald Reagan, Shirley Temple et Rory Calhoun
1948: Corridors of Mirrors: Avec Edana Romney, Barbara Mullen et Eric Portman
1949: The Crime Docto’s Diary: Avec Warner Baxter et Stephen Dunne
1950: Domani è troppo Tardi: Avec Anna-Maria Pierangeli et Vittorio de Sica.
1952: Lady in the Fog: Avec Cesar Romero
1952: Amori e Veleni: Avec Amedeo Nazzari et Marisa Merlini
1952: Women of Twilight: Avec Freda Jackson at Laurence Harvey
1953: Aida: Avec Sophia Loren
1953: Mantrap: Avec Paul Henreid et Kay Kendall
1956: High Terrace: Avec Dale Robertson et Derek Bond
1956: Passport to Treason: Avec Rod Cameron
1956: Time Without Pity: Avec Michael Redgrave
1957: Kill me Tomorrow: Avec Pat O’brien
1959: Face of Fire: Avec Bettye Ackerman et Cameron Mitchell
1961: The Unstoppable Man: Avec Cameron Mitchell
1962: Dr No: Avec Sean Connery et Ursula Andress
1962: Lolita: Avec Sue Lyon, James Mason et Shelley Winters
1963: From Russia with Love: Avec Sean Connery
1963: The Haunting: Avec Claire Bloom et Julie Harris
1963: Come Fly with Me: Avec Dolorès Hart, Pamela Tiffin et Dawn Addams
1964: Goldfinger: Avec Sean Connery et Honor Blackman
1965: Thunderball: Avec Sean Connery
1967: You Only Live Twice: Avec Sean Connery avec Karin Dor
1969: On Her Majesty’s Secret Service: Avec George Lazenby et Diana Rigg
1971: Diamond’s Are Forever: Avec Sean Connery et Jill St John
1972: Endless Night: Avec Hayley Mills et Britt Ekland
1973: Live et Let Die: Avec Roger Moore et Jane Seymour
1974: The Man with the Golden Gun: Avec Roger Moore et Britt Ekland
1975: Bons Baisers de Hong-Kong: Avec les Charlots
1977: The Spy Who Love Me: Avec Roger Moore et Barbara Bach
1977: Age of Innocence: Avec Honor Blackman et David Warner
1979: Moonraker: Avec Roger Moore et Loïs Chiles
1979: Lost and Found: Avec Glenda Jackson et George Segal
1980: Mr Patman: Avec Kate Nelligan et James Coburn
1981: For Your Eyes Only: Avec Roger Moore et Carole Bouquet
1983: Octopussy: Avec Roger Moore et Maud Adams
1985: A View to a Kill: Avec Roger Moore, Christopher Walken et Tanya Roberts
1985: The Blue Man: Avec Karen Black et Wiston Rekert
1988: Martha, Ruth and Edie: Avec Andrea Martin et Margaret Langrick
2001: The Fourth Angel: Avec Charlotte Rampling et Jeremy Irons