Le 18 Octobre 1898, naît à Vienne la petite Karoline Blaumer dans un milieu fort désargenté. Les temps sont durs mais la petite Karoline aura la chance de ne pas être contrariée dans sa vocation artistique par une mère qui se tue à l’ouvrage dans une blanchisserie. Son père est cocher et il y a trois autres enfants à nourrir.
Après tout, la petite fille n’est pas jolie, il faut bien qu’elle rêve un peu. Petite et trapue, Karoline Blaumer est prognathe et avec cette mâchoire proéminente, elle est l’antithèse des créatures diaphanes qui déjà font rêver sur les écrans muets nouvellement déployés. Vilaine, soit, mais avec une volonté de fer. A six ans, elle rentre un jour à la maison annoncer à ses parents que l’école c’est fini pour elle, elle a passé une audition dans un cirque, un numéro qu’elle a imaginé de A à Z et a été engagée!
A 16 ans, Karoline a quitté l’Autriche pour la Suisse, guerre mondiale oblige. Elle est à Zurich où elle poursuit avec assiduité sa formation de danse classique. Réaliste et d’une franchise à toute épreuve à commencer avec elle-même, elle fait un amer constat « je ne serai jamais danseuse étoile, mes jambes sont contre! d’ailleurs tout mon corps s’y refuse, il faudra trouver autre chose, et avec cette tête ce ne sera pas facile! » Le destin qui n’a pas été particulièrement généreux avec Karoline en la faisant naître laide et misérable avec des rêves d’étoile lui réserve pourtant une jolie surprise. Ou tout du moins une jolie rencontre. Je devrais dire « des jolies rencontres ».
Tout d’abord le compositeur Kurt Weil qu’elle épouse en 1925 et qui est le premier étonné d’entendre cette danseuse à la grâce de mérou chanter d’une voix forte, claire et bien placée. Elle est l’interprète idéale pour ses compositions.
De son côté, la jeune mariée profite d’un véritable phénomène de société pour compenser son manque de beauté. La mode est aux « garçonnes », véritable révolution culturelle, la jeune madame Weil se glisse dans le concept intellectualisé de Louise Brooks, le style fait scandale et lui va bien. Karoline Blaumer a 27 ans, elle est heureuse, elle est belle. Enfin. En 1927, le couple Weil rencontre Berthold Brecht. Une communauté de vues et d’esprit réunit l’auteur et le couple Weil. Une collaboration s’engage. Celle qui est désormais devenue Lotte Lenya est leur égérie. En 1928 c’est elle qui crée « L’Opéra de quat’sous » à Berlin et le porte au triomphe.
C’est pourtant Arletty, plus belle, qui reprendra le rôle à l’écran. Par contre, Lotte débute au cinéma sous la direction de Pabst dans « Jenny » en 1931. Icône des scènes européennes, Lotte Lenya gagne l’Amérique mais ne tient pas à se produire dans les niaiseries locales. Qu’est-ce qu’elle irait fiche dans « Rio Rita »? Elle fait découvrir les oeuvres de ses mentors au public Américain.
L’Amérique n’est pas un choix mais une nécessité. Dès que l’idée même du régime national socialiste a germé en Allemagne, Lotte Lenya s’en est moquée ouvertement et de plus en plus effrontément au fur et à mesure qu’il gagnait en importance. En 1933, il ne fait déjà plus bon vivre pour Lotte Lenya en Allemagne. La voici en Amérique, donc, où elle chante Weil et joue Brecht, un point c’est tout!
Celle qui n’aurait pu être qu’un toquade ou la curiosité exotique d’une saison va devenir une diva des planches américaines.
le public est fou de Lotte Lenya. Cette femme minuscule et moins que jolie fait salle comble tous les soirs. Elle pourrait jouer sa liste de courses, le public se pâmerait d’emblée. Mais miss Lenya reste fidèle à sa ligne de conduite et ne se produit que dans des oeuvres fortes.
le cinéma, la dédaigne ostensiblement.
Il faut attendre les années 60 pour découvrir Lotte Lenya sur pellicule.
Elle devient fausse comtesse roumaine et vraie maquerelle dans « Le Printemps Romain de Miss Stone » où elle est confrontée à une autre déesse des planches: Vivien Leigh en personne. Lotte Lenya est d’emblée nominée aux Oscars pour son inquiétante prestation.
En 1963 enfin, elle incarne un personnage qui la fera entrer définitivement dans la légende cinématographique, et paradoxalement, ce sera dans un film sans aucune envergure intellectuelle. Elle devient Rosa Klebb, agent du « Spectre » dans « Bons Baisers de Russie » en 1963.
Hormis ces haut faits, Lotte Lenya ne reviendra au cinéma que pour quelques apparitions qui tiennent plus du clin d’oeil que de la performance et se consacre à son cher théâtre et à son tour de chant jusqu’aux derniers mois de sa vie.
le cancer aura raison de ce personnage hors du commun le 27 Novembre 1981. Elle avait 83 ans. Weil l’avait laissée veuve en 1950.
Lotte s’était remariée deux fois et consacra le reste de sa vie à une fondation destinée à sauver les oeuvres de Weil de l’oubli.
Ultime consécration: L’histoire d’amour entre Lotte Lenya et Kurt Weil devient à son tour le sujet d’une comédie musicale à Broadway en 2007: « LoveMusik », Lotte est incarnée par Donna Murphy.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1961: Le Printemps Romain de Miss Stone: avec Vivien Leigh et Warren Beatty
1963: Bons Baisers de Russie: Avec Sean Connery
1969: The Appointment : Avec Anouk Aimée et Omar Sharif