Dans la folie planétaire que fut la carrière sensationnelle, jamais vue avant et jamais égalée depuis de Mary Pickford, on oublie souvent que « la petite fiancée de l’Amérique » avait une sœur cadette, Lottie qui fit elle aussi du cinéma tout comme leur petit frère Jack. Leur souvenir s’est complètement dissous dans l’ombre de l’illustre monument national américain que demeure Mary Pickford. Ils n’en furent pas moins de grandes vedettes et défrayèrent la chronique de leur temps bien plus souvent qu’à leur tour au grand dam de « Boucles d’Or ».
Tout commence le 8 Avril 1892 à Toronto au Canada, le jour où Elise Charlotte Printer, une jolie poupée blonde de 19 ans met au monde sa fille Gladys Louise Smith qui deviendra la femme la plus riche, la plus célèbre et la plus aimée du monde sous le pseudonyme de Mary Pickford. La famille Smith va encore s’agrandir au grand dam du père, déjà alcoolique et désargenté. Un an après la naissance de Gladys, le 8 Juin 1893 vient au monde la petite Charlotte affectueusement rebaptisée Lottie. Etrangement, John Smith, ce père bien peu brillant s’entiche littéralement de sa fille cadette. Il est en adoration devant elle, ignorant jusqu’à l’existence de l’aînée qui ne va pas tarder à comprendre que son père ne l’aime pas. A la naissance de John Charles jr. le 18 Août 1896, la famille Smith éclate, le père se volatilise dans la nature et ne reviendra jamais, abandonnant femme et marmaille en bas âge. On apprendra sa mort des suites de son alcoolisme trois ans plus tard. La mère de famille abandonnée devra trouver du travail et c’est Gladys à peine sortie du berceau qui surveille d’une poigne de fer sa petite sœur et son petit frère, lesquels la prendront en grippe mais n’oseront jamais lui tenir tête de leur vie!
La future Mary Pickford n’a que huit ans lorsqu’elle convainc sa mère de lui laisser tenter sa chance au théâtre. La mode est aux enfants stars dont le public s’est entiché jusqu’à la folie. Elle n’a que huit ans et se rajeunit d’un an pour faire plus « prodige »! La famille Smith fera le tour du continent en tournées minables durant six longues années avant d’échouer à New-York où Elise a décrété que sa fille tentera le tout pour le tout. Ou elle réussissait ou on passerait à autre chose. Elisa avait pris la carrière de sa fille en mains. Elle la guidera jusqu’à sa mort d’une manière redoutablement efficace malgré l’alcoolisme qui a son tour, peu à peu la rattrapait après avoir tué son mari.
Devenue Mary Pickford, on le sait, la petite Gladys triompha au delà de tous les espoirs. Bientôt elle allait être une des pionnières du cinéma sous la direction exclusive de DW Griffith et dès son premier contrat signé elle imposa sa sœur Lottie et son frère Jack comme acteurs. Bientôt elle imposerait même sa mère sous le nom de Charlotte Hennessy. Le 20 Avril 1909, Mary Pickford tournait pour la première fois pour Griffith, le 31 Décembre de la même année ils avaient terminé leur cinquante et unième film ensemble ! Ils en referont encore 51 en 1910 !
Lottie débutait en même temps qu’elle. En était-elle heureuse, je l’ignore. Aimait-elle être une actrice, je l’ignore. On sait peu de choses de ces premières années de labeur dans les studios new-yorkais de la Vitagraph. Si ce n’est que le clan Pickford tournait à la chaîne pour Griffith. On sait aussi que l’épouse dudit Griffith, l’actrice Linda Arvidson est comme toute l’Amérique envoûtée par l’adorable Mary mais elle prend Lottie en grippe, refusant qu’elle paraisse dans ses films.
On le voit les débuts ne furent pas dénués de tensions en tout genre. Très vite Mary critique les sujets traités par Griffith et souhaite des histoires plus populaires. Bientôt elle les écrira elle-même. Elle est également très pointilleuse sur son image ce qui à l’époque est aberrant. Un jour que le ton monte entre elle et Griffith pour une histoire de jambes nues que Mary refuse de montrer, Lottie lui saute à la figure comme un véritable lynx. Craignant qu’il ne gifle son auguste sœur elle avait pris les devants!
Lorsque Mary quitte New-York pour Hollywood, Lottie et sa mère, pour raisons contractuelles restent à New-York et il faut bien admettre qu’en cette année 1910, Lottie n’est pas moins active malgré l’absence de sa sœur. Son principal acte de bravoure ayant été d’incarner une prostituée d’une manière si crue qu’elle fut l’une des premières à outrer le public de son époque. Le scandale fit grand bruit et parvint aux oreilles devenues hollywoodiennes de Mary qui fit rapatrier vers la Californie cette sœur que l’on ne pouvait décemment pas laisser sans surveillance!
En 1915, Lottie se marie pour la première fois, avec un certain Alfred Rupp et décide de s’éloigner des écrans. En réalité elle en a assez d’entendre qu’elle est moins jolie que Mary, moins talentueuse que Mary qu’elle est « la deuxième Pickford ». Et surtout d’apprendre que certains des rôles qu’on lui propose sont ceux refusés par Mary! Lottie préfère devenir maman. Ce sera d’une petite fille: Mary Pickford Rupp qui pour d’étranges raisons sera rebaptisée Gwynne Rupp. Le couple Rupp se sépare en 1919 et divorce en 1920. Lottie tourne encore, certes mais avec parcimonie et rien de comparable avec l’activité fébrile de Mary et Jack.
En fait, Hollywood lui a plus donné le goût de la fête et du plaisir que du travail! Comme son frère Jack elle a hérité de ses parents un goût prononcé pour les alcools forts. Bien qu’elle se soit remariée en 1922 avec l’acteur Allan Forrest, Lottie dérive. Bientôt ses fêtes privées seront célèbres. On sait que chez elle il convient d’être nus et de consommer un maximum de drogues et d’alcool. Une de ses domestiques est chargée de guetter l’arrivée de Mary et de crier « V’là Mary, remettez vite vos culottes! » Bientôt Charlotte aura la garde légale de la petite fille de Lottie pour la soustraire au déplorable exemple de sa mère débauchée!
Pourtant Lottie est de l’avis unanime une femme douce, aimable et sans prétentions qui ne manquerait la messe du dimanche sous aucun prétexte. Lorsque son frère Jack épousera la fabuleusement belle Olive Thomas, elle entrera dans une rage noire! Une danseuse des Ziegfeld Folies dans la famille Pickford! Autant dire une prostituée des rues basses! Elle est outrée et ne suivra le convoi funèbre de sa défunte belle-sœur morte empoisonnée qu’un sourire contraint aux lèvres! Jack Pickford se remariera dans la foulée avec une autre Ziegfeld girl: Marilyn Miller, de quoi la faire pester un peu plus encore!
En 1928 elle est divorcée de son second mari et a déjà tourné son dernier film face à son illustre beau-frère Douglas Fairbanks. En 1925, Lottie Pickford renonce à sa carrière et n’entend vivre que de plaisirs. Dès son divorce prononcé elle s’était immédiatement remariée avec un certain Russell O. Gillard mais ce mariage là se soldera lui aussi par un échec en 1933. Nullement échaudée elle se remarie immédiatement avec John William Lock et ce quatrième mariage sera le dernier.
Le 9 Décembre 1936 elle le laisse veuf. Détrite par ses abus, Lottie Pickford meurt foudroyée par une crise cardiaque. Elle n’avait que 43 ans.
Sa mère Charlotte Hennessy s’était éteinte le 22 Mars 1928 fauchée par le cancer à seulement 55 ans.
Le 3 Janvier 1933 c’est Jack Pickford qui s’en était allé, dévoré par une syphilis qui avait fini par détruire tous ses centres nerveux; Il n’avait que 36 ans. Son épouse Olive Thomas était morte empoisonnée à 25 ans, le 10 Septembre 1920 après avoir absorbé par mégarde le traitement contre la maladie de son mari. Sa seconde épouse Marilyn Miller mourra elle aussi prématurément à 37 ans des suites d’une intervention chirurgicale le 7 Avril 1936.
En huit courtes années, Mary Pickford devra faire le deuil de toute sa famille. Elle-même décèdera comme tout être humain, mais à l’âge fort respectable de 87 ans le 29 mai 1979.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1909: Two Memories: Avec Mary Pickford
1909: The Cardinal’s Conspiracy: Avec Florence Lawrence, Frank Powell et Linda Arvidson
1909: A Strange Meeting: Avec Mary Pickford
1909: The Neckless: Avec Rose King et Mary Pickford
1909: The Faded Lilies: Avec Mary Pickford, Linda Arviston, Owen Moore et James Kirkwood
1909: The Better Way: Avec Kate Bruce et Stéphanie Longfellow
1909: The Light That Came: Avec Kate Bruce et Ruth Hart
1910: The Newlyweds: Avec Mary Pickford et Kate Bruce
1910: The Smoker: Avec Mary Pickford
1910: A Summer Idyll: Avec Stéphanie Longfellow
1910: The Golden Supper: Avec Dorothy West et Donald Crisp
1910: A Child’s Stratagem: Avec Stéphanie Longfellow
1910: The Oats and the Man: Avec Florence Barker
1911: The Little Red Riding Hood: Avec Mary Pickford et Owen Moore
1911: Help Wanted: Avec Marion Sunshine et Kate Bruce
1911: The Toss of a Coin: Avec Mary Pickford
1911: Fate’s Turning: Avec Stéphanie Longfellow, Linda Arvidson et Donald Crisp
1912: Rescued by Wireless: Avec William E. Shay
1912: A Child’s Remorse: Avec Gladys Egan
1912: The Girl Strickers: Avec Tom Moore
1916: The Reward of Patience: Avec Louise Huff, Adolphe Menjou et Kate Lester
1925: Don X, Fils de Zorro: Avec Mary Astor et Douglas Fairbanks