Margaret Lockwood fut une grande, une immense star doublée d’une comédienne exceptionnelle et d’une beauté presque surnaturelle à force de perfection. Malheureusement, sa discrétion qui fit partie de sa légende m’empêche aujourd’hui de glaner suffisamment d’informations sur elle pour étoffer un article à son sujet parmi mes « plus grandes réussites de cinéma » Et j’en suis bien désolée!
Margaret Lockwood naît aux Indes britanniques , à Karachi, le 15 Septembre 1916. Ultime naissance d’une fratrie de…deux enfants! Elle est Margaret Mary Day Lockwood pour l’état civil. Son père, Henry Francis Lockwood est ingénieur aux chemins de fer. Sa mère Margaret Evelyn Waugh se contente de veiller avec une fermeté extrême à l’éducation de ses enfants. Très curieusement prend sa dernière née en grippe! Avec les années, ce qui aurait dû être de l’amour maternel va se transformer en haine viscérale!
Margaret n’a que trois ans et demi lorsque sa mère rentre sans son mari en Angleterre, Margaret et son frère Lyn sous le bras. Sans donner aucune explication à ses enfants, estimant sans doute que ca ne les regardait tout simplement pas! Elle s’installe dans une banlieue très chic et dès qu’elle le pourra, elle se débarrassera de ses enfants dans des internats. Sa devise à leur égard semblant être à tout jamais « hors de ma vue! » Margaret grandit dans la terreur de croiser sa mère au détour d’un couloir pendant les vacances et cette frayeur incoercible ne la quittera jamais! Margaret est une petite fille, hélas sensible, timide et facilement impressionnable! Trois éléments qui font le jeu de sa mère qui prend un malin plaisir à la tétaniser d’effroi! Son autre grand plaisir étant de la rabrouer sans cesse mais aussi de la déprécier sans arrêt jusqu’à ce que l’enfant ait l’impression d ‘être le plus sordide déchet du monde. Comme souvent avec les petites filles tristes et rêveuses, Margaret se réfugie dans son petit monde imaginaire et se surprend à rêver de devenir actrice. « Sotte comme vous êtes? Laide comme vous êtes? Vous rêvez tout debout ma fille! »
Heureusement pour elle, Margaret est une petite fille de la bonne société anglaise. Et dans la bonne société les jeunes demoiselles sont encore formées aux « arts d’agréments » qui leur serviront d’abord à harponner un mari intéressant puis à tenir dignement maison et salon. Et dans ces « arts d’agrément » il y a le chant, la musique et surtout la danse. Margaret est élève à la très prestigieuse école « Italia Conti ». Elle se révèle si douée qu’elle débute sous la tutelle de son école dans le rôle d’une fée dans « Le Songe d’une Nuit d’Été ». Elle a 15 ans. Même si sa mère écume de rage, elle ne peut guère contrecarrer les débuts de sa fille sur scène! On ne comprendrait pas dans son monde que sa fille ne puisse servir Shakespeare via l’Italia Conti!
Ce que sa mère voulait ignorer, c’est qu’elle était la seule à croire à la laideur de sa fille empotée et à la sottise sans bornes! Margaret Lockwood fit sensation en fée dansante et récolta d’autres propositions! Sa mère souriant comme une vipère affamée devant une souris blanche fit mine d’être fière et à la première occasion enfonça ses crocs venimeux dans les rêves de sa fille! Alors que Margaret répète « Cavalcade » de Noel Coward, sa mère surgit sur scène et la flanque littéralement hors du théâtre parce qu’elle aurait entendu un choriste dire « merde! » alors que sa fille était présente!
Heureusement, quelque part, une bonne étoile veillait! Probablement sur l’instigation de Noel Coward. Herbert de Leon, un des plus puissants agents de Londres demande à rencontrer Margaret et charme surtout…sa mère! Il convainc l’acariâtre de laisser sa fille suivre des cours d’art dramatique et surtout de l’autoriser à devenir son agent! Folle de reconnaissance, Margaret Lockwood ne changera jamais d’agent de toute sa vie!
Margaret passe quelques bouts d’essais et la chance lui sourit lorsque, deuxième choix du réalisateur Basil Dean, la comédienne choisie tombe malade et doit être remplacée! Nous sommes en 1934, Margaret a 18 ans, elle débute au cinéma, elle plaît, les propositions de films affluent!
En 1937 elle a 20 ans et est déjà une jeune première très populaire lorsqu’elle épouse Rupert Leon. Sa mère hait ce gendre que lui a choisi Margaret et a mis son veto au mariage jusqu’à ce qu’hélas pour elle, sa fille soit enfin majeure! Margaret a toujours tellement peur de sa mère que durant plus de six mois elle n’osera pas lui avouer son mariage et rentrera tous les soirs chez maman au lieu de rentrer chez son mari!
En 1938 sa cote n’a cessé de grimper auprès du public britannique et c’est Alfred Hitchcock qui va lui donner le coup de pouce qui va faire d’elle une star! Il fait d’elle la vedette de » The Lady Vanishes » et le film fait un triomphe! La gloire de Margaret Lockwood éclabousse l’Amérique et Hollywood lui fait un pont d’or! Hollywood lui déplaira souverainement et Margaret rentrera à Londres après seulement deux films, refusant au passage le rôle de Scarlett O’Hara!
A son retour, Margaret est accueillie comme une superstar et le public anglais s’était si bien fait à l’idée de la voir en Scarlett O’Hara que l’on mettra en chantier « The Wicked Lady », où elle interprète une sorte de Scarlett mais qui la nuit venue s’adonne au grand banditisme! A un critique qui félicite la mère de Margaret pour la prestation de sa fille le soir de la première, alors que la reine elle-même, debout, applaudit à tout rompre, il s’entend répondre » Quelle performance? Il n’y a aucun mérite à jouer une salope quand on en est une! »
Le triomphe est tel que non seulement le film sorti en 1945 pulvérise tous les records mais qu’il restera non seulement le rôle le plus emblématique de Margaret Lockwood mais le moule sur lequel ses rôles suivants seront calqués! D’ailleurs après ce film, Margaret Lockwood gardera le grain de beauté sur le haut de sa pommette qui était une caractéristique de son personnage et qui deviendra sa propre marque de fabrique. Margaret a signé avec la Gainsborough à son retour d’Hollywood. Et mystérieusement, la Gainsborough compte sur quatre actrices pour devenir un studio à la réputation de glamour au moins égale à celle de la MGM à Hollywood Ces quatre actrices sont Margaret Lockwood, Jean Kent, Patricia Roc et Phyllis Calvert! Or elles se ressemblent toutes et sont même interchangeables, l’une interprétant souvent des rôles écrits pour une autre et inversement!
Toutes les quatre deviendront des superstars de la décennie. Mais « The Wicked Lady » fera de Margaret la plus populaire et la plus admirée des quatre!
En 1941, Margaret est devenue maman d’une petite fille, Julia. Mais l’enfant qui devait ressouder le couple qui se défaisait peu à peu ne fera que peu dans ce sens. Les Leon ne sépareront mais resteront mariés jusqu’en 1950. A l’heure du divorce, la mère de Margaret qui haïssait son gendre au moins autant que le choléra prit pourtant son parti contre sa fille! Elle hurla que Margaret était une mauvaise mère doublée d’une authentique pourriture et qu’il était criminel de laisser une pauvre enfant dans le sillage d’une femme pareille! Finalement elle éructa tant et si bien que la cour des divorces considéra qu’elle était tout bonnement cinglée et ne prit pas compte de ses avis!
Margaret Lockwood est donc une superstar des années 40 et malgré les bombes, les anglais font la file des heures durant devant les cinémas qui projettent ses films!
En 1946; la paix revenue, Margaret Lockwood passe à la RANK et se plaint d’être lassée des rôles de garces qui ont fait d’elle la « Joan Bennett anglaise » même si on la compare aussi beaucoup à Vivien Leigh et surtout à Hedy Lamarr! Elle tournera donc des rôles plus conformistes de femmes aimables mais étrangement, ce n’est pas ce que le public veut voir! En 1950, après avoir refusé de retourner à Hollywood pour tourner « Ambre », elle ne renouvelle pas son contrat avec la RANK.
Elle se retourne alors vers Herbert Wilcox, le mari et mentor d’Anna Neagle qui fut tout aussi populaire qu’elle. Les films qu’elle tournera pour Wilcox seront des échecs, les premiers vrais échecs de sa carrière. Des films qui perdent de l’argent.
En 1955 elle se montre à nouveau sensationnelle face à Dirk Bogarde dans « Cast a Dark Shadow ». A la stupéfaction générale elle fait une déclaration inattendue « Le cinéma que j’ai adoré ne m’intéresse plus, j’ai envie d’autres découvertes, d’autres horizons, je ne voulais pas m’éloigner sur un échec mais avec le succès de mon dernier film je peux m’éloigner avec dignité! »
Margaret Lockwood ne mentait pas, ce n’était pas son genre! Elle allait s’engouffrer à la télévision et surtout devenir une des plus grandes dames des scènes londoniennes, servant avec un égale bonheur Shakespeare ou Agatha Christie, jouant certains de ses succès plus d’un an à guichets fermés. Elle sera une sensationnelle Elisa Doolittle à plus de 35 ans!
En 1959, Margaret Lockwood a retrouvé l’amour avec un de ses partenaires le comédien John Stone mais elle refusera de se marier une seconde fois. Ils resteront ensemble 17 ans. 17 ans de bonheur au cour desquels Margaret avait eu la grande joie de voir sa fille, aussi blonde qu’elle-même était brune, devenir comédienne à son tour et connaître le succès sous le nom de Julia Lockwood.
Mais l’année 1976 est une année noire. Margaret tourne ce qui restera son ultime film. Son compagnon la quitte et son fidèle agent depuis plus de 40 ans décède en la laissant dans le désarroi professionnel. Comble de tout, une infection virale à l’oreille dont elle n’arrive pas à se défaire lui fait perdre de l’acuité auditive ce qui la dérange dans son travail d’actrice. Elle doit maintenant fixer les lèvres de ses partenaires ce qui lui donne un jeu figé et un regard écarquillé. Margaret Lockwood renonce donc peu à peu à sa carrière même si elle sera encore sur scène en 1980!
Cette année là elle est anoblie par la reine et se rend à Buckingham recevoir les honneurs accompagnée des quatre petits enfants que sa fille Julia lui a donnés.
On ignore alors que c’est la dernière apparition publique de la star adorée. Margaret souffre déjà de la cyrrose du foie qui va l’emporter. Elle s’éteint le 15 juillet 1990 après 10 années d ‘une solitude recluse qui valait bien celle de Marlène Dietrich. Elle aurait eu 74 ans deux mois plus tard.
Margaret Lockwood avait exigé d’être incinérée, elle redoutait par dessus tout le caveau de famille où elle aurait retrouvé sa mère! Ses anciennes rivales de films mais amies de cœur Jean Kent et Phyllis Calvert vinrent lire certains de ses textes préférés parmi ceux qu’elle avait joués au théâtre lors de son service funèbre. La quatrième larronne des années Gainsborough , Patricia Roc ne vivait plus en Angleterre mais fit savoir sa peine immense.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1934: Lorna Doone: Avec Victoria Hopper et John Loder
1936: Irish for Luck: Avec Patrick Knowles
1936: The Beloved Vagabond: Avec Maurice Chevalier et Betty Stockfield
1936: The Jury’s Evidence: Avec Nora Swinburne et Sebastian Shaw
1937: The Street Singer: Avec Arthur Tracy
1938: The Lady Vanishes: Avec Michael Redgrave
1939: Rulers of the Sea: Avec Douglas Fairbanks jr.
1940: Girl in the News: Avec Barry K.Barnes
1942: Night Train to Munich: Avec Rex Harrison et Paul Henreid
1943: The Man in Grey: Avec James Mason et Phyllis Calvert
1943: Dear Octopus: Avec Michael Wilding et Celia Johnson
1944: Give Us the Moon: Avec Vic Oliver et Peter Graves
1944: Love Story: Avec Stewart Granger et Patricia Roc
1945: A Place of One’s Own: Avec James Mason
1945: The Wicked Lady: Avec James Mason et Patricia Roc
1946: Bedelia: Avec Ian Hunter et Anne Crawford
1947: Jassy: Avec Patricia Roc et Dennis Price
1947: The White Unicorn: Avec Ian Hunter, Joan Greenwood et Julia Lockwood
1948: Look Before You Love: Avec Griffith Jones
1949: Madness of the Heart: Avec Paul Dupuis et Kathleen Byron
1954:Trouble in the Glen: Avec Orson Welles et Forrest Tucker
1955: Cast a Dark Shadow: Avec Dirk Bogarde
1976: The Slipper and the Rose: The Story of Cinderella: Avec Gemma Craven