Si quelqu’un devait illustrer le fait que derrière le miroir aux alouettes et l’apparence d’esprit de famille que donne le cinéma existe un monde qui est loin d’être pavé d’or et semé de roses baccara longues tiges, c’est bien l’infortunée Maria Schneider. Dès que la jeune demoiselle fut suffisamment connue pour obtenir une première interview, le monde sembla se liguer contre elle. La pauvre en fut pour ses frais. Elle avait déclaré, ce qui était la stricte vérité qu’elle était la fille naturelle de l’acteur infiniment respecté et populaire qu’était encore Daniel Gélin au début des années 70. Tout le monde avait alors crié à l’imposture voire à la diffamation!
Et le premier à faire hurler les loups fut Daniel Gélin en personne qui vert de rage répondit aux journalistes qui lui parlaient de « l’affaire Maria Schneider » : »Elle commence à m’énerver cette petite peste! Je n’ai qu’une seule fille et c’est Fiona née en 1962, tout le reste n’est qu’invention de cette fille qui grâce à ses mensonges réussit à faire parler d’elle et a même obtenu des petits rôles au cinéma! » Une autre gazette titrera « La fausse fille de Daniel Gélin se déclare très fière du père qu’elle s’est attribué mais n’a pas poussé l’affront jusqu’à se faire appeler Maria Gélin!«
Maria Gélin est pourtant la fille de Daniel Gélin, née le 27 Mars 1952 de des amours illégitimes de l’acteur avec Marie-Christine Schneider très beau mannequin d’origine roumaine qui enchante alors les défilés haute couture. Daniel Gélin ne reconnaîtra jamais Maria Schneider. L’acteur est alors marié à l’actrice Danièle Delorme avec qui il forme un couple phare pour toute une génération dans le cinéma français. Les Gélin ont un fils, Xavier, né le 21 Juin 1946. Après son divorce en 1955 il aura encore deux autres enfants: Manuel et Fiona.
Daniel Gélin, grand séducteur des années 50 ne s’est pas caché de ses aventures avec Martine Carol ou Ursula Andress mais les années 70 venues, il joue maintenant les honnêtes bourgeois, à la ville comme à l’écran, cultivant ses fleurs, aimant les poètes et maniant les pinceaux. La soudaine apparition de Maria Schneider fait quand même un peu tache sur l’image d’Epinal qu’offre alors Daniel Gélin.
La jeune fille vit à Paris, dans la même ville que ce père célèbre qu’elle a fini par idéaliser. Lorsqu’adolescente elle entre en conflit avec sa mère elle ne cherche pas à se réfugier chez son père mais essaie de se débrouiller toute seule. Elle vit comme des milliers de jeunes filles d’alors de petits boulots. Elle a quinze ans, c’est la bohème, elle va poser pour la mode « teenager », illustrer des menus de restaurants, faire de la figuration pour le cinéma. Tout pour conserver sa liberté et ne pas rentrer chez maman. C’est que voyez-vous, la jeune Maria s’est rendue compte qu’elle préférait les demoiselles aux garçons et ça n’a pas plu.
Le destin de Maria Schneider va prendre alors une direction tout à fait inattendue et d’une manière plus inattendue encore. Sur le tournage du film « Les Femmes » de Jean Aurel où elle est figurante, la plus grande star de l’époque, Brigitte Bardot, repère cette jeune fille qui a l’air complètement perdue et déjà abîmée par la vie. Emue, touchée, Bardot réaliste très vite que cette jeune fille est en pleine dérive. Et puis elle connaît bien Daniel Gélin, il a été un de ses premiers partenaires et se vante même de « l’avoir faite débuter » ce qui a bien dû surprendre Bourvil, partenaire de Brigitte dans son premier film. Ce que raconte Maria, Brigitte le croit et ça ne l’étonne même pas. Elle fait de Maria son amie, le tournage terminé, elle la garde avec elle, la prend sous son aile, l’emmène à la Madrague où Maria a désormais sa chambre. Elle contacte son plus fidèle ami, Alain Delon et lui demande d’aider Maria à son tour. Alain Delon est alors le compagnon de Mireille Darc et celle-ci peaufine le scénario de « Madly » qu’elle écrit pour Alain. Elle se dépêche d’y ajouter un petit quelque chose, un petit rôle pour Maria.
Brigitte Bardot est littéralement sous le charme de Maria Schneider et le couple Delon-Darc est à son tour séduit. Si Maria Schneider est en conflit avec sa mère et reniée par son père, elle s’est créé une nouvelle famille, une famille de cinéma et non des moindres ! Bardot, Darc, Delon!
Maria Schneider tourne « Madly » en 1970. C’est une nouvelle décennie et dans le cinéma, certains changements s’amorcent. On n’est plus à la recherche d’actrices aux physiques époustouflants qui ont fait se pâmer les générations précédentes. On cherche des physiques plus « vrais ». La voir royale s’ouvre pour des actrices comme Isabelle Huppert, Miou-Miou ou Marlène Jobert qui n’ont rien à voir, reconnaissons-le avec Gina Lollobrigida. La simplicité et la dégaine à la va comme je te pousse de Maria Schneider tombe au bon moment. Tous les espoirs lui sont permis, on oublie même cette histoire de Daniel Gélin, après tout, on s’en fout!
Il finira d’ailleurs par admettre Maria dans son cercle de famille sans jamais toutefois la reconnaître officiellement. Mais par contre, elle vivra une relation très fusionnelle avec ses demi frères et sa demi sœur Fiona.
Mais en 1972, ce que Maria croit être sa grande chance de cinéma va virer au cauchemar et être pour elle la clé des enfers. Bernardo Bertolucci se prépare à tourner à Paris « Le Dernier Tango à Paris ». Ses acteurs idéaux: Jane Fonda et Jean-Louis Trintignant. Bertolucci est alors un des cinéastes européens les plus prestigieux, on ne refuse pas un rôle dans un film de Bertolucci. Sauf Jean-Louis Trintignant! Il refuse le rôle, poliment mais fermement, argumentant qu’il n’est pas à l’aise avec la nudité. Bertolucci ignore encore que Jane Fonda à son tour va littéralement lui faire bouffer son scénario! En fait, personne ne veut faire son film! Delon décline, Belmondo lui rit au nez, Deneuve s’épouvante, Natalie Wood ne lui répond même pas!
C’est finalement un des producteurs qui à deux doigts d’abandonner le film songe à Marlon Brando. Pourquoi Brando? Comment? Mystère.
L’acteur mythique des années 50 est alors au fond du trou. Plus personne n’en veut à Hollywood, même pour beurrer les sandwiches. On parie sur son reste de réputation aux yeux des européens. On lui propose le rôle, il accepte. Très vite Brando débarque à Paris, les chose s’accélèrent et Bertolucci n’a toujours pas son actrice. Ce sera Maria Schneider, 19 ans, libre de suite. Elle accepte, elle est flattée. Brando-Bertolucci, je l’ai dit, ca ne se refuse pas. Mais très vite l’expérience vire au cauchemar. Le tournage échappe à tout le monde et à Bertolucci en particulier. Brando se mêle de tout, du script, de la mise en scène. Maria comme elle le dira plus tard est complètement perdue au milieu de ce qui est devenu un tumulte baroque.
Le film sort et fait un scandale colossal. On retient surtout une scène de relation sexuelle brutale et non consentie où Brando utilise une plaquette de beurre pour faciliter une petite séance de sodomie. Maria clamera toujours ne pas avoir été avertie de ce qui allait se tourner, Bertolucci finira par confirmer ses dires…40 ans plus tard. Evidemment on ne parle que du film et surtout de Maria Schneider et de son beurre . l’actrice est humiliée, mortifiée. Elle ne résiste ni au tapage ni au scandale. On lui propose une foule de rôles tous dans la même veine, elle les refuse. Jusqu’à la fin de sa vie, elle ne pourra plus s ‘asseoir dans un restaurant sans qu’un serveur rigolard vienne poser près d’elle un peu de beurre avec un regard salace et complice.
La jeune actrice fuit, elle s’exile. l’Allemagne, l’Italie, l’Amérique. partout le scandale la poursuit. Maria Schneider c’est la salope du cinéma. Brando est unanimement fêté pour le film. Son blason est redoré pour des années. Maria Schneider est pointée du doigt. A bout de nerfs et de force, l’actrice se réfugie dans l’alcool. Très vite c’est la spirale des drogues dures. Le public qui la confond définitivement avec son personnage trouve ca normal, comme une suite logique, inévitable, programmée.
Bunuel qui l’avait engagée pour « Cet obscur objet du désir » la congédie après 10 jours de tournage et s’en vante. Joseph Losey annule son option pour « Les routes du sud » et la remplace par Miou-Miou. Elle tourne, pourtant. Elle tourne malgré tout. Elle est même la partenaire de Jack Nicholson dans « Profession Reporter ».
Mais lorsque la France la retrouve dans un second rôle, une rôle de prostituée dans « La Dérobade », on est tout étonnés dans la presse de la voir en bonne santé et pour tout dire encore de ce monde. le film vaut un César à Miou-Miou, on demande à Maria si le beurre c’est vraiment efficace et si elle le préfère sans sel. L’actrice ne s’en sortira jamais. Même ceux qui n’ont pas vu le film et ils sont nombreux, connaissent très bien cette histoire de beurre!
Le temps a beau passer, Maria Schneider a beau tourner de beaux rôles dans de bons films, rien n’y fait.
Elle est en 1981 la vedette d’un film franco-yougoslave « Sezona mira u Parizu ». Un film très engagé qui reçoit le grand prix du cinéma au festival du film de Moscou. Cerise pour le moins inattendue, Daniel Gélin prend part au film flanqué de sa vielle copine Pascale Petit. Le nom du père étant à l’affiche bien en dessus de celui de la fille. Un petit moment de satisfaction dans une vie en plein tumulte.
Même si elle réussit à vaincre ses démons, faire la paix avec sa famille et trouver un équilibre avec sa compagne dans sa vie sentimentale, elle reste l’actrice du « Dernier Tango à Paris », l’actrice à la plaquette de beurre. Le grand prix du film à Moscou, à Paris tout le monde s’en fout! Elle fuira pour le reste de sa vie les journalistes et les interviews avec obstination, puisque de toute façon on ne lui parle que d’une seule chose, d’une seule scène dans un seul film. Alors à quoi bon?
Après « Cliente » de Josiane Balasko qu’elle tourne en 2008, Maria Schneider rendra publique sa lutte contre le cancer. Les journalistes , peu impressionnés lui répondre « Oui, c’est très bien, mais alors, ce beurre? Ca vous a excitée? »
Maria Schneider s’éteint le 3 Février 2011 des suites de sa maladie. Elle avait 58 ans. Sa fin fit les gros titres « L’Actrice du Dernier Tango à Paris est morte » ou « Maria Schneider entrée dans l’histoire du cinéma avec Marlon Brando et une plaquette de beurre s’est éteinte ».
Brigitte Bardot et Alain Delon assisteront le cœur déchiré à ses obsèques ainsi que Fiona et Manuel Gélin.
Daniel Gélin s’était éteint en 2002 sans donner son nom à Maria et son fils Xavier l’avait précédé dans la mort en 1999 fauché lui aussi par le cancer à 53 ans.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1969: L’Arbre de Noël: Avec Virna Lisi, William Holden et Bourvil
1969: Les Femmes: Avec Brigitte Bardot et Maurice Ronet
1970: Madly: Avec Mireille Darc et Alain Delon
1971: Les Jambes en l’Air: Avec Sylva Koscina et Georges Gérert
1972: La Vieille Fille: Avec Annie Girardot et Philippe Noiret
1972: Hellé: Avec Maria Mauban, Didier Haudepin, Bruno Pradal et Robert Hossein.
1972: What a Flash! Avec Kavi Alexander
1972: Le Dernier Tango à Paris: Avec Marlon Brando
1973: Reigen: Avec Sydne Rome, Helmut Berger et Senta Berger
1975: Profession Reporter: Avec Jack Nicholson
1975: La Baby Sitter: Avec Vic Morrow, Sydne Rome et Nadja Tiller
1977: Violanta: Avec Lucia Bosé
1978: Io Sona Mia: Avec Stefania Sandrelli
1979: La Dérobade: Avec Miou-Miou
1979: Merry Go Round: Avec Joe Dallesandro
1979: Une fille comme Eve: Avec Monique van de Ven
1980: Haine: Avec Klaus Kinski
1980: Mama Dracula: Avec Louise Fletcher
1981: Sezona mira u Parizu: Avec Alain Noury, Alida Valli, Daniel Gélin et Pascale Petit
1987: Résidence Surveillée: Avec Jacques Bonnaffé
1992: Au Pays des Juliets: Avec Laure Duthilleul et Claire Nebout
1992: Les Nuits Fauves: Avec Romane Bohringer et Cyril Collard
1996: Jane Eyre: Avec Charlotte Gainsbourg et William Hurt
2002: La Repentie: Avec Isabelle Adjani et Sami Frey
2006: Quale Amore: Avec Vanessa Incontrada
2007: La Clef: Avec Vanessa Paradis, Marie Gillain et Guillaume Canet
2007: La Vie d’Artiste: Avec Sandrine Kimberlain et Emile Dequenne
2008: Cliente: Avec Nathalie Baye et Josiane Balasko
Merci pour le récit de cette bagarre féminine et féministe qui traduit bien une certaine mentalité qui mine la France et son monde de l’art en particulier. Derrière les CV, les vies personnelles, surtout celles de femmes, continuent fréquemment à représenter des destins sacrifiés. Car il est si facile de reprocher à quelqu’un d’être inaccessible alors qu’on le veut soumis plutôt que de chercher à s’élever pour attendre ceux qui sont meilleurs. Au final, pour cette actrice, une histoire de vie triste, admirable, fascinante et qui montre l’exemple pour ceux qui sont maltraités d’être eux-mêmes. Et bravo pour Brigitte Bardot, Alain Delon et Mireille Darc d’avoir apporté un peu de lumière avant l’affaire du « beurre » qui fait tâche. Honte à ceux qui confondent vulgarité et humour. Il y a entre ces deux mondes tout l’espace d’une cruauté humaine qui fond sur une « proie facile »! Les animaux ont plus d’éthique que les humains de pacotille qui se sont rués, en meute, sur une silhouette fragile dans la sinistre force anonyme d’une union de connards. Merci pour ce récit poignant qui rétablit la vérité d’une femme blessée et terriblement courageuse.
Merci beaucoup.