Le 29 juillet 2003, à Vilnius en Lituanie où elle termine le tournage du téléfilm « Colette », Marie Trintignant tombe sous les coups de son compagnon Bernard Cantat. Ramenée inconsciente en convoi sanitaire à Paris, Marie décède trois jours plus tard sans avoir repris connaissance.
Depuis ce drame de la violence, Marie Trintignant est l’image du combat contre la violence faite aux femmes. Sa fin brutale, odieuse et tragique éclipse sa belle carrière de comédienne et l’image de l’actrice a laissé place à l’image de la victime. Il est difficile c’est vrai, encore aujourd’hui, de voir ses films sans avoir à l’esprit le souvenir tragique de sa fin. De son vivant déjà son image ne se traduisait que par le prisme de la famille Trintignant. On ne rendra plus jamais justice à la femme, il reste à rendre hommage à l’artiste.
Marie Trintignant vient au monde le 21 janvier 1962 à Neuilly sur Seine. Son père Jean-Louis Trintignant est alors un jeune acteur de 32 ans. Connu, mais loin d’être l’acteur mythique qu’il deviendra plus tard. Les jalons qui feront le joyeux méli-mélo de la vie de Marie Trintignant sont déjà posés. Jean-Louis Trintignant est un jeune homme d’une timidité extrême, voire timoré. Il sera de ceux qui préfèrent refuser un rôle que de tomber le pantalon à l’écran. Il restera habillé dans les bras de Bardot dans et Dieu créa la femme ou sur le lit de Françoise Fabian dans « Ma nuit chez Maud ». Plus tard il refusera « le dernier tango à Paris ». Sa pudeur a toujours raison. Jean-Louis Trintignant a déjà été marié en 1954 avec une certaine Colette Dacheville qui n’est pas encore célèbre sous le patronyme de Stéphane Audran épouse Chabrol.
L’acteur trouve sa première grande chance au cinéma lorsque Vadim lui fait épouser Brigitte Bardot dans « Et Dieu créa la femme ». Un divorce et une liaison avec sa partenaire plus tard, il est appelé sous les drapeaux et connaît la guerre d’Algérie. C’est Vadim l’ami qui lui remettra le pied à l’étrier en lui offrant le rôle du « Petit Danseny » entre Jeanne Moreau et Jeanne Valérie dans « Les Liaisons dangereuses ». Trintignant tourne. Et même beaucoup. Il est d’ailleurs plus célèbre en Italie qu’en France où il doit attendre 1966 et « Un Homme et une Femme » de Lelouch pour devenir une véritable star à l’international. En attendant il a épousé Nadine Marquant, soeur de l’acteur Christian Marquant, son frère aîné dans « Et Dieu créa la Femme ». Leur première fille, Marie vient au monde le 21 Janvier 1962. Sa petite soeur Pauline la suivra en 1969. Vincent complètera la famille en 1973.
Et un premier drame va frapper.
Alors qu’il tourne « Le Conformiste » avec Dominique Sanda, la petite Pauline est emportée par la mort dans son sommeil . Jean Louis Trintignant est dévasté. Son épouse qui a choisi son nom de femme mariée pour sa carrière de réalisatrice exorcise sa douleur en confiant le soin de raconter leur drame à Marcello Mastroianni et Catherine Deneuve dans « Ca n’arrive qu’aux autres ». La petite Marie du haut de ses 9 ans joue dans le film qui raconte la mort de sa petite soeur et le désespoir de ses parents.
D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Marie est fascinée, subjuguée par les métiers de ses parents. Par contre sa vocation de comédienne est moins ferme. Ca lui plairait, bien entendu de faire du cinéma…Mais vétérinaire, c’est bien aussi. Mieux, peut-être. Maman Nadine, fille et soeur d’acteurs lui permet de jouer dans ses films lorsque l’école n’exige pas sa présence. Marie a débuté à trois ans dans la figuration. A Cinq ans dans « Mon amour, mon amour », maman la dirigeait, papa lui donnait la réplique. A 17 ans elle tient pour Alain Corneau son premier « vrai rôle » de comédienne dans « Série Noire » face à un Patrick Dewaere en état de grâce.
Tout pourrait être simple et « aller de soi » pour Marie Trintignant mais c’est loin d’être le cas. Elle est affublée d’une timidité maladive et parlera de ses jeunes années comme de ses années muettes. Elle est si timide qu’elle est parfois incapable de proférer un son. « Passez-moi le sel » lui est parfois impossible s’il y a plus de 3 personnes à table. Lorsqu’elle passera le casting pour « A bout de souffle made in USA » elle sera complètement tétanisée et ne prononcera pas un seul mot malgré un réalisateur qui le lui demande à genoux après avoir tout essayé. Pour « Série noire », elle l’avouera plus tard, elle s’en est tirée grâce à Patrick Dewaere qui a fait l’essentiel de son travail pour la sortir de son mutisme tétanisé. Il lui arrivait de commencer une scène selon les directives du réalisateur et de la finir le dos tourné à la caméra.
Que ce soit Alain Corneau qui lui ait propose ce rôle ne manque pas de piment car le cinéaste deviendra le second mari de sa mère et…Son père adoptif avant que de la rejoindre dans sa tombe et reposer à ses côtés.
Marie Trintignant ne recevra aucune proposition après « Série Noire », ce qu’elle comprend parfaitement. Alors elle part. Elle s’en va dans le midi travailler avec une troupe d’acteurs itinérants. Elle va rester avec eux et loin de Paris un an et demi.
Une autre « affaire de famille » va jalonner le parcours professionnel de Marie Trintignant. Claude Chabrol après avoir fait d’elle une prostituée dans « Une affaire de Femmes » lui confiera un rôle magnifique dans « Betty », face à Stéphane Audran…la première épouse de son père. Mais revenons-en aux débuts de Marie.
La jeune comédienne a un autre souci que sa timidité. Un souci de taille: la taille de son nez qu’elle considère comme une protubérance incongrue au milieu de son visage! Il n’y a pourtant pas de quoi mais bon…Eternelle insatisfaction de la jeunesse… Une chirurgie esthétique et un ravissant petit nez plus tard, Marie est fin prête pour sa carrière! Prête à assurer la « relève Trintignant ».
Sa mère la dirige encore dans « Premier voyage » qui pourrait s’appeler « Une affaire de famille » puisque Marie y donne la réplique à son père et à son frère. Puis, en allant saluer son papa sur le tournage de « La terrasse », Ettore Escola, fasciné par sa jeune beauté animale ajoute un petit rôle pour elle à son film. Pour le plaisir de la filmer. Marie, elle, est moins enthousiaste. « Au théâtre on est embarqués dans une sorte de folie générale, un état second, mais au cinéma, quand je voyais les rushes, je me rendais compte que je n’étais franchement pas terrible comme actrice ». Elle ajoute en riant d’elle-même « Il y a des gens qui ont une grâce spontanée. Moi pas du tout, je marchais les pieds en dedans je parlais comme une annonce de supermarché, j’ai dû tout accepter tout travailler, tout corriger. J’ai dû faire ça toute seule, enfermée avec mon magnétophone et un miroir. A répéter sans cesse les mêmes textes en me regardant bouger ».
Marie n’est pas carriériste. Elle mène une carrière aimable dans les années 80, une carrière nettement plus prestigieuse dans les années 90.
Elle inaugure cette nouvelle décennie avec un film de Michel Deville « Nuit d’été en ville ». Tous ceux qui virent le film furent subjugués par son jeu sobre, intelligent et plein de finesse. Aucun ne doutait plus de Marie Trintignant. Oui, elle était sur la voir royale des grandes carrières. Seulement peu virent le film. Unité de lieu, unité de temps. Une chambre, une nuit. Un couple rhabille ses corps au fure et à mesure qu’il déshabille son âme. Ce n’est pas « Maman j’ai raté l’avion » ni même « Ghost » pour drainer les foules vers l’intimité filmée de Marie Trintignant.
Marie Trintignant convainc plus en jeune femme qu’en jeune fille et on découvre avec un certain émoi qu’elle a le même grain de folie, le même humour décalé que son prestigieux père. Les Trintignant père et fille ne sont jamais aussi brillants que dépassés par les évènements dans des rôles de gentils rêveurs un peu naïfs. Mais le clan Trintignant c’est aussi l’exigence. Marie Trintignant pourrait tourner bien plus mais elle se tient à une certaine « ligne de conduite » qui ne souffre ni la médiocrité ni le film facile. Et tant pis si elle ne fait pas courir les foules. Alors certes, elle tournera des choses sans éclat mais sur le papier c’étaient toujours de beaux, de vrais projets. Elle sera d’ailleurs nommée cinq fois aux Césars du cinéma français. En 1989 pour « Une Affaire de Femmes », en 1994 pour « Les Marmottes », en 1997 pour « Le Cri de la Soie », en 1998 pour « Le Cousin » et en 1999 pour « Comme elle respire ».
Si ses deux premières nominations le sont pour des seconds rôles, les trois autres le sont pour des premiers rôles et on la retrouve nommée trois années consécutives dans la plus prestigieuses des catégories. Un bel exploit pour une actrice en qui certains voient encore une dilettante « fille de ». Marie Trintignant sera chaque fois évincée du palmarès des Césars. Respectivement par Hélène Vincent, Valérie Lemercier, Fanny Ardant, Agnès Jaoui et Elodie Bouchez.
Et puis il y a sa vie! Sa vie qui lui prend du temps. Sa vie qui passe avant tout et qui n’est pas pour rien dans sa réputation de dilettante.
Marie Trintignant s’est mariée à Richard Kolinka, le batteur du groupe « téléphone » qui fait d’elle la maman d’un premier fils, le petit Roman né en 1986. Mais le couple va voler en éclat lorsque Marie tombe follement amoureuse de l’acteur François Cluzet. Il fera d’elle la maman d’un petit Paul né en 1993. Vient ensuite le règne de Mathias Othnin-Girard qui fait d’elle la maman d’un petit Léon en 1996. Ce sera ensuite au tour de Samuel Benchetrit qui fait d’elle la maman de son quatrième et dernier petit garçon: Jules.
L’actrice célèbre avec ses quatre garçons nés de quatre pères différents titille un peu les mauvaises langues d’autant que si les quatre garçons vivent avec elle en joyeuse fratrie, elle n’est plus avec aucun des pères!
Le clan Trintignant est devenu une tribu soudée désormais autour de Marie avec ses quatre fils. Son frère cadet Vincent Trintignant, Nadine et son compagnon Alain Corneau, Et enfin Jean-Louis qui depuis la perte de la petite Pauline a cessé de draguer les plus belles femmes du monde pour se consacrer tout entier à l’amour fusionnel qu’il éprouve pour sa fille Marie, la personne qu’il aime le plus au monde.
En 1998, Tout ce petit monde se retrouve aux épousailles de bonne-maman Nadine qui après bien des années accepte d’épouser Alain Corneau, lequel devient officiellement le père adoptif de Marie et Vincent avec l’accord de Jean-Louis Trintignant.
Le clan Trintignant a alors tout pour être heureux. Jean-Louis est devenu une légende du cinéma même s’il s’intéresse bien plus à ses vignes qu’aux plateaux désormais. Nadine est une cinéaste reconnue, Alain Corneau n’est pas en reste. Marie est une actrice de première importance dans le paysage audio visuel français. En 2000, devant la daube absolue qu’est le film « Promenons-nous dans les bois » où tous les acteurs jouent comme des chaises, y compris Clotilde Coureau, c’est à Marie qu’il est fait appel pour une scène d’ouverture qui restera le seul intérêt de cette niaiserie en tube.
Maintenant, les aînés de ses garçons manifestent déjà leurs premiers émois d’artistes. Nadine a fait débuter Roman en 1994 dans « Rêveuse jeunesse » à l’âge de huit ans.
Qui peut imaginer lorsque les valises de Marie, Roman et bonne-maman Nadine se bouclent pour partir en Lituanie pour le téléfilm en deux parties « Colette un femme libre » que tout va s’arrêter net! Un téléfilm dont Marie attend énormément. C’est elle qui l’a écrit. Elle est fascinée depuis toujours par Colette et par Janis Joplin que ses parents écoutaient. Dans « Janis et John » elle a interprété une fille qui se prend pour Janis Joplin. Maintenant elle va incarner Colette. Il lui tarde de partir. En attendant elle refuse toutes les invitations, elle ne tient pas à se distraire, se disperser. Elle est déjà Colette. Alors, comme un clin d’oeil macabre, à tous ceux qui l’invitent elle répond « Oh je serais bien venue mais c’est impossible, je suis morte« .
Marie Trintignant ne reverra ni la France ni sa maison ni son père adoré. Les quatre garçons, élevés ensemble et soudés comme des frères sont séparés ils repartent chez leurs pères respectifs. « Colette » et » Ce qu’ils imaginent », son dernier film seront présentés au public de manière posthume.
La vie s’est arrêtée. L’amour est tué. Marie Trintignant n’est plus.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1967: Mon Amour, mon Amour: Avec Valérie Lagrange et Jean-Louis Trintignant
1971: Ça n’arrive qu’aux autres : Avec Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni
1973: Défense de savoir: Avec Jean-Louis Trintignant et Charles Denner
1976: Le voyage de noces: Avec Stefania Sandrelli et Jean-Louis Trintignant
1979: Série Noire: Avec Patrick Dewaere et Myriam Boyer
1980: Premier voyage: Avec Vincent Trintignant et Richard Berry
1980: La Terrasse: Avec Jean-Louis Trintignant et Vittorio Gassman
1985: Femme fidèle: Court métrage avec Jean-Pierre Kalfon
1987: Noyade interdite: Avec Elizabeth Bourgine et Philippe Noiret
1988: La maison de Jeanne: Avec Christine Boisson et Benoît Régent
1988: Une Affaire de femmes: Avec Isabelle Huppert
1990: Nuit d’été en ville: Avec Jean-Hugues Anglade
1990: Alberto Express: Avec Sergio Castellitto et Nino Manfredi
1992: Betty: Avec Stéphane Audran
1993: Hoffman’s honger: Avec Jacqueline Bisset et Elliott Gould
1993: Les Marmottes: Avec Jean-Hugues Anglade et Jacqueline Bisset
1993: L’Instinct de l’ange: Avec Lambert Wilson et Hélène Vincent
1995: Fugueuses: Avec Nicole Garcia et Irène Jacob
1995: Les apprentis: Avec François Cluzet et Guillaume Depardieu
1996: Ponette: Avec Xavier Beauvois et Claire Nebout
1996: Portraits chinois: Avec Helena Bonham Carter et Romane Bohringer
1996: Le cri de la soie: Avec Sergio Castellitto et Anémone
1996: Le secret d’Iris: Avec Lambert Wilson et Isabelle Nanty
1996: Des nouvelles du bon dieu: Avec Christian Charmetant et Jean Yanne
1997: Le cousin: Avec Patrick Timsit et Alain Chabat
1998: …Comme elle respire: Avec Guillaume Depardieu
2000: Promenons-nous dans les bois; Marie ne partage aucune scène avec qui que ce soit.
2001: Una lunga lunga lunga notte d’amore: Avec Giancarlo Giannini et Isabelle Pasco
2002: Total Kheops: Avec Richard Bohringer et Daniel Duval
2003: Janis et John: Avec François Cluzet et Jean-Louis Trintignant
2003: Les marins perdus: Avec Bernard Giraudeau
2004: Ce qu’ils imaginent: Avec Julie Gayet et Aurore Clément.