Le 31 Décembre 1920, Andrée Bonnet vient au monde à Paris. »C’est bête, à un jour près elle était un an plus jeune ! » se serait exclamée ma grand’mère sans rire et sans réfléchir ! Cette gracieuse petite parisienne se rêve chanteuse et suit ses cours avec application après ses études dites « classiques » Mais quand on naît en 1920, on a vingt ans en 1940 dans un Paris occupé et privé de tout.
De tout mais pas d’amour. La jolie Andrée devenue une ravissante jeune fille assez menue mais aux grands yeux gris et aux longs cheveux blonds va faire la rencontre du jeune premier très athlétique Henri Vidal. D’un an son aîné, ce beau jeune homme du Puy de Dôme a été élu « L’Apollon de l’Année » en 1939. Aussitôt, Edith Piaf lui avait mis le grappin dessus et fidèle à ses habitudes l’avait fait débuter. Comme Henri Vidal chantait à peu près comme une passoire sans trous, Edith l’avait plutôt imposé au cinéma à ses côtés dans » Montmartre sur Seine ».
Lorsqu’il rencontre la belle Andrée, c’est un jeune premier beau comme un dieu, drôle et intelligent, et accessoirement principal rival de George Marchal qui débute, encore figurant, en cette même année 1941 dans « Premier Rendez-Vous ». Mais le bel Henri est surtout accro aux drogues dures depuis l’âge de 17 ans.
Le couple se marie en 1943 mais se heurte à une carrière qui démarre lentement pour le jeune acteur alors que Georges Marchal a atteint les sommets dès son second film « Le Lit à Colonnes ». Et puis il y a cette addiction à la drogue. Andrée croyait vaincre facilement les démons de son beau mari mais Henri Vidal est pris dans les tourments d’une dépression chronique malgré son éclatante joie de vivre à l’écran qui fera son succès et qui ne sera que factice.
En 1946 le couple divorce. Durant son mariage avec Henri Vidal, notre jeune aspirante chanteuse a bien entendu rencontré des « gens de cinéma » mais l’idée d’entamer elle-même une carrière d’actrice ne lui est jamais venue à l’esprit et quand bien même personne ne lui a rien proposé. Mais en 1949, son prochain amour, celui qui durera pour la vie va changer la donne.
Henri Vidal rencontre Michèle Morgan et son ex épouse rencontre Yves Allégret.
De 15 ans son aîné, Yves Allégret a déjà été marié une première fois à Renée Naville dont il a un fils, Gilles, né en 1936. Il s’est ensuite remarié en 1941 avec une jeune comédienne, Simone Signoret dont il va faire une star de premier plan avec deux films mythiques : « Dédée d’Anvers » et « Manèges ». Le couple a une fille, Catherine, née en 1946.
Mais en cette année 1949, c’est l’année des grands bouleversements sentimentaux dans l’univers du cinéma. Allégret et Signoret ne s’aiment plus. Elle vient de rencontrer Yves Montand, lui aussi ex recrue d’Edith Piaf. Henri Vidal comme je l’ai dit rencontre Michèle Morgan et Yves Allégret rencontre celle dont il fera l’actrice Michèle Cordoue. Ces Amours-là dureront toutes pour la vie et qui de plus est, les protagonistes formeront un cercle d’amis intimes et de collaborateurs efficaces.
Yves Allégret qui s’est toujours senti une vocation de pygmalion envers ses amoureuses fait d’Andrée Bonnet l’actrice Michèle Cordoue et s’empresse de la faire débuter au cinéma dans les bras…D’Henri Vidal ! Ensuite il l’emmène au Mexique donner la réplique à..Michèle Morgan.
Et il faut bien reconnaître que dans les scènes où Michèle Cordoue donne la réplique à Gérard Philipe ou Michèle Morgan, si elle ne les éclipse pas, elle leur tient la dragée haute ! Michèle Cordoue est non seulement très belle, mais elle a deux qualités bien trop rares au cinéma : Elle a de l’autorité, ou si on préfère de la présence, mais elle a surtout une voix et un phrasé qui n’appartiennent qu’à elle. Et les actrices françaises qui peuvent s’enorgueillir des mêmes qualités en 1950 se comptent sur les doigts d’une main.
Michèle Morgan, Geneviève Page, Ginette Leclerc, Arletty, Edwige Feuillère, Michèle Cordoue. Et parmi cet exceptionnel florilège de glorieuses que l’on reconnaît au premier mot prononcé sans qu’il ne soit besoin de les voir, Michèle Cordoue ne démérite pas, loin s’en faut.
Dans « Les Orgueilleux », d’après une nouvelle de Jean-Paul Sartre intitulée « Typhus », Michèle Moran est une riche touriste qui se retrouve complètement démunie dans un village mexicain perdu quand son mari est foudroyé par le typhus. Michèle Cordoue tient dans ce village abandonné de tous et même de dieu, la seule auberge du coin. Les deux femmes viennent de Paris mais il est clair que Michèle Morgan vient du XVIème arrondissement et Michèle Cordoue de Pigalle. Que l’une est là par accident quant à l’autre c’est en fin de circuit. Dès que Michèle Morgan entre dans cette « auberge », la vulgarité du personnage de Michèle Cordoue éclate et son prestige de « Française » aux yeux de sa clientèle de poivrots en prend un coup. Par nécessité, Michèle Morgan doit se défaire de sa croix en or en pendentif que Michèle Cordoue, « Tiens, parce que je suis trop bonne » lui achète pour trois sous.
Michèle Morgan sortie de l’auberge, Michèle Cordoue a sa grande scène. Tenant le pendentif dans une serpillère comme si c’était un rat crevé, elle le plonge dans l’eau bouillante avec des mines dégoûtées. Arrive dans sa cuisine son amant mexicain qui fait le double de sa taille et le quadruple de son poids et qui lui demande de quoi il s’agit. Et elle, avec un physique qui évoquerait plutôt celui de Cécile Aubry dans la « Manon » de Clouzot: « Tu le vois bien, Rodrigo, ce que c’est ! C’est une croix ! Une croix en or contaminée ! Comme celle qui me l’a donnée, d’ailleurs ! Alors tu vois, Rodrigo, je ne te conseille pas d’y toucher ! Tu pourrais le regretter ! Tu pourrais même y laisser ta peau si tu vois ce que je veux dire ! » Et il est évident que s’il ose lui répondre, le pauvre Rodrigo se prendra aussitôt la marmite d’eau bouillante en pleine poire et un coup de tisonnier en supplément gratuit !
Dès son deuxième film, et bien qu’elle brille encore dans un second rôle face aux deux stars numéro un du cinéma français, Morgan et Philipe, Michèle Cordoue est déjà une très grande actrice et prend sa place parmi les meilleures de toutes. En ces année 50, le cinéma français peut miser sur Michèle Cordoue et ne s’en prive pas. Peu d’actrices sont assez belles et assez sûres d’elles pour jouer les rivales de Michèle Morgan, surtout avec autant d’aplomb !
Mais ce qu’a fait Yves Allégret pour Simone Signoret est dans tous les esprits. Nul doute pour qui que ce soit qu’il en fera autant pour sa nouvelle épouse, d’ailleurs bien plus belle que Simone. Ce ne sera étrangement pas le cas.
Si Michèle Cordoue reste en effet l’interprète presque exclusive d’Allégret, elle ne tourne que peu et ne tient pas les premiers rôles de ses films. Elle est si discrète que lorsqu’elle signe son contrat pour « Le couteau sous la gorge » elle constate effarée que ledit contrat stipule quelle sera doublée pour le chant ! Tête effarée du réalisateur Jacques Séverac qui ignorait complètement que Michèle était, d’abord, une chanteuse ! Ses prestations vocales dans le film lui vaudront quelques propositions de maisons de disques…Qu’elle déclinera.
Sa carrière commencée en 1952 est virtuellement terminée en 1958.
On la reverra, à peine, dans « Les Misérables » que tourne Yves Allégret en 1963 et elle fera sa seule prestation télévisée dix ans plus tard, toujours sous la direction de son mari dans le feuilleton « Graine d’ortie ».
Le 31 Janvier 1987, Yves Allégret décède à Paris.
Michèle Cordoue ne lui survivra que quelques mois.
Elle le rejoint dans la mort le 23 Mai de la même année. Michèle Cordoue n’avait que 66 ans.
Henri Vidal et Gérard Philipe étaient partis en éclaireurs durant une même sombre semaine de 1959. Gilles Allégret, le fils d’Yves Allégret les avait précédés en 1955, fauché dans un accident de voiture à l’âge de 19 ans.
Celine Colassin
QUE VOIR?
(Filmographie complète de Michèle Cordoue)
1952: La Jeune Folle: Avec Danièle Delorme et Henri Vidal
1953: Les Orgueilleux: Avec Michèle Morgan et Gérard Philipe
1954: Huis-Clos: Avec Arletty, Gaby Sylvia et Frank Villard
1954: Mam’zelle Nitouche: Avec Anna Maria Pierangeli et Fernandel
1955: La Meilleure Part: Avec Gérard Philipe
1955: Le Couteau sous la Gorge: Avec Madeleine Robinson et Jean Servais
1955: Napoléon: Avec Daniel Gélin et Jean-Pierre Aumont
1957: Méfiez-vous, Fillettes: Avec Antonella Lualdi et Robert Hossein
1958: C’est la Faute d’Adam: Avec Mijanou Bardot et Maurice Biraud
1963: Germinal: Avec Berthe Granval et Jean Sorel