Lorsque je découvris Nadia Gray pour la première fois, j’étais encore bien jeunette mais je ne risque pas d’oublier l’évènement. La petite fille que j’étais adorait déjà Brigitte Bardot. Ses longs cheveux blonds qui volaient librement et ses jupes qui tournaient me ravissaient. Sans doute parce qu’il y a avait encore beaucoup d’enfance en elle m’était-elle plus accessibles que les grandes divas hollywoodiennes en fourreau de satin noir. Je vis donc avec un ravissement difficilement imaginable pour un samedi après midi pluvieux »Une Parisienne » de Michel Boisrond. Film où Brigitte plus enfantine que jamais faisait des pieds et des mains pour éblouir Henri Vidal. Même sortir avec le prince consort Charles Boyer, lui-même époux d’une reine de pays imaginaire. La reine était Nadia Gray. Je fus sidérée et je commençai par croire qu’elle était une vraie reine d’un vrai pays et qu’on avait tourné le film pendant sa vraie visite en France! J’étais, je l’ai dit, toute bambine.
J’ose à peine le dire, mais mon demi-siècle passé, je n’ai pas changé d’avis. Nadia Gray était une vraie reine. A mes yeux. En tout cas elle l’est restée à jamais et elle sera pour toujours un de mes grands coups de cœur cinématographique.
Pour le cinéma elle fut tout du long de sa carrière et de sa vie une des plus étranges et troublantes énigmes de son histoire, dont certains aspects d’ailleurs restent aujourd’hui encore étrangement obscurs! Ce goût du mystère et du secret qu’entretiendra l’actrice toute sa vie commencer par sa date de naissance qu’elle tiendra à jamais jalousement secrète!
Elle est née à Berlin, un 16 Novembre à choisir entre 1919 ou 1923. Elle se prétendait également roumaine d’adoption, née de parents russes. C’est faux. Si la future star internationale naît à Berlin, elle est effectivement roumaine, rejeton précieux de riche famille juive. Elle est Nadia Kujnir pour l’état civil et va grandir dans les milieux très privilégiés roumains. Un pays où le clivage entre les classes sociales est encore terriblement marqué. Nadia, aucun doute à avoir à ce sujet, est tout en haut de l’échelle sociale. Formée aux ballets russes elle finira son adolescence dorée, que dis-je, platinée en épousant un prince authentique: Constantin Cantacuzène dit « Bazu » et l’ainé de Nadia de 14 ans. La jeune Nadia est une mariée de 16 ans, nous sommes en 1935…Si elle est née en 1919! Si elle est née en 1923, elle n’aurait alors que…12 ans! Or, on apprendra plus tard que la belle a déjà été mariée une première fois avec un certain monsieur George Eresco.
La différence d’âge si elle est née en 1919 est celle alors considérée comme parfaite dans les hautes sphères roumaines. Le couple est jeune, riche et beau et un avenir oisif et radieux leur est promis. Nadia est la troisième épouse de Bazu.
Bazu est fou d’avions, de motos et de voitures de courses qu’il pilote à tombeau ouvert dans une foule de compétitions à la grande joie admirative du public. C’est une véritable marotte, il s’amuse dans les airs et sur le bitume, c’est sa seule occupation à part le tennis et le hockey sur glace, il était le capitaine de l’équipe roumaine aux championnats du monde de 1933. Nadia a comme beau père George Enescu, violoniste virtuose mondialement admiré et second mari de la mère de Bazu après le décès du premier.
Nadia prétendra toute sa vie être restée mariée et donc princesse roumaine durant huit longues années, ce qui les ferait se séparer en 1943 en pleine guerre, Bazu est alors au front il sera un des as légendaires de l’armée de l’air roumaine. Nadia, toujours née en 1923 pour les gazettes place donc son divorce en 1947 année où dit-elle « Son mari s’oppose à ses ambitions artistiques!«
Quelle est la vérité? De quoi peut-on être sûrs?
Qu’en 1936, le 21 Avril, naissait Maria Loana Cantacuzène, fille de Bazu et de son épouse Anca Diamandy. Maria-Loana deviendra un écrivain dissident célèbre et en exil sous le nom de plume d’Oana Orlea et il est facile de corroborer les informations de sa naissance. Mais en 1936, le prince casse-cou et heureux père est déjà le mari de Nadia Gray depuis un an!
Origines, date de naissance, années de mariage, tout peut être faux. Et la guerre ayant eu raison de nombreux documents d’état-civil, Nadia eut véritablement le champ libre pour réécrire son histoire à sa guise. Elle ne pouvait guère prévoir que la fille de Bazu deviendrait célèbre à son tour. Son premier roman sera publié en 1952 et à ce moment là il y avait déjà belle lurette que Nadia vendait sa légende de par le monde. Même si en 1957 déjà, quelques magazines dont « Cinémonde » se posaient de nombreuses questions, déjà les mêmes.
A ce stade on peut se dire que née en 1919, elle n’a guère eu le temps d’être princesse et qu’elle a inventé cette histoire de huit années de mariage princier, oui mais… Bien qu’elle ait clamé toute sa vie ne pas avoir d’enfants de nombreuses sources font de Bazu et de Nadia Gray les parents de l’actrice dallasséenne Linda Gray née à Santa Monica en 1940!
Alors serait-ce Anca Diamandy qui n’aurait pas été légitimement mariée au prince? Était-il bigame?
Nadia enceinte aurait-elle fui l’avancée du Nazisme en s’embarquant pour l’Amérique? Le couple aurait-il divorcé à distance en 1943?
L’actrice Linda Gray est elle aussi bien peu prolixe sur sa vie et annonce seulement une mère ballerine qui a abandonné sa passion pour élever ses enfants et a sombré dans l’alcoolisme, sauvée in extrémis par les AA. La presse roumaine de son côté tient absolument à faire de Nadia la mère de Linda.
Il sembla longtemps que Nadia ait épousé en troisièmes noces le père de Linda Gray!
Ouf (ou presque!) Le père de Linda Gray est un brave horloger de Santa Monica. Le mari de Nadia Gray un des avocats New-Yorkais les plus en vue de son temps! Ce n’est pas le même homme! Continuons sur cette romanesque lancée en retrouvant les minutes d’une conférence de presse donnée à Paris en janvier 1962 par Nadia elle-même qui déclare: « Ce mariage sera mon troisième mariage, mes deux maris précédents sont George Eresco et le prince Cantacuzène. Les cinq autres mariages que l’on m’attribue n’ont jamais existé! » Et d’exprimer ensuite sa joie d’épouser un industriel parisien: monsieur Charles Saint!
On s’y perd, je m’y perd, peut-être s’y perdra-on toujours.
Quoi qu’il en soit:
La jeune fille débute sur scène au théâtre Majestic, elle a 15 ans et sa beauté fait fondre les cœurs d’une foule d’admirateurs dont le très beau Ionel Teodoreanu, alors écrivain à succès très coté qui va se consumer d’amour pour la belle Nadia. Il va la couvrir de fleurs, de lettres et de poèmes mais toujours en vain. Déjà elle a croisé la route de Bazu, d’ailleurs tout aussi célèbre, dans un autre genre il est vrai que Ionel Teodoreanu, lequel va sombrer dans le désespoir et l’alcool.
Il y aura la guerre et si l’Allemagne nazie est vaincue, il ne fait quand même pas bon vivre en Roumanie pour l’ancienne classe des nantis. Après la guerre, Nadia Gray va jouer plusieurs pièces à Bucarest. Mais le régime se durcit. En 1948, bien que divorcés, on retrouve Bazu et Nadia à Paris où ils ont des relations. Des relations qui permettront à la belle roumaine exilée de débuter au cinéma en 1949 entre Raymond Rouleau et Claude Dauphin. Et dans un rôle de vedette, on ne plaisante pas avec les anciennes princesses, divorcées ou pas, en exil ou pas! Quand on s’étonne de ces débuts plutôt rapides, elle a la candeur de s’offusquer: « Rapides? Je suis restée huit mois sans rien faire en attendant que l’on me propose quelque chose de correct! » Puis elle ajoutera que c’est simplement parce qu’elle avait pu jouer la version française et la version allemande, pratiquant parfaitement ces deux langues, ce qui était plutôt rare sur le marché de l’immédiate après-guerre.
Brouillant les pistes plus que jamais, elle tournera son film suivant à Londres puisqu’elle parle parfaitement anglais avant d’aller tourner à Rome puisqu’elle parle parfaitement italien! Au passage elle a fait la conquête de Noel Coward fasciné par son élégance racée et sa grande culture. Elle crée sa pièce « Deux Chagrins » qu’elle fera ensuite triompher à Paris.
Dès 1950 Nadia Gray est une vedette internationale et va jouer avec les plus grands dont la jeune Gina Lollobrigida mais surtout Jean Gabin soi-même! En 1951 Terence Young fait d’elle une institutrice laponne dans « The Valley oh Eagles »!
Cinéastes de prestige, carrière internationale, durant toute une décennie, même si elle n’est pas une superstar glamour elle est une très grande vedette et fait payer ses participations très cher! Le point culminant viendra en 1960 avec « La Dolce Vita » de Fellini où elle effectue un strip-tease qui restera célèbre à jamais et d’autant plus déroutant venant de la part de « La reine Greta » de « Une Parisienne » tourné trois ans plus tôt! Ou de la fille de bateliers franchement mal dégrossie de « La Vierge du Rhin » avec ses jupes à fleurs et ses sandalettes!
Toute à sa carrière d’actrice doublée d’une femme du monde très sollicitée elle a bien sûr tracé sa voie jusqu’à Hollywood, presque un détail! Elle a adopté la nationalité française en 1964 et s’exporte maintenant en Espagne, en Allemagne en Autriche, au Portugal et même en Yougoslavie. Même si les films qu’elle y tourne ne sont que rarement des chefs d’œuvres, elle y est toujours sensationnelle! Et puis son arc s’est enrichi d’autres cordes! Après la Dolce Vita, Nadia a créé sa société de production! Elle entre en coproduction avec…la Chine en 1963 et annonce qu’elle a terminé deux scénarii qui seront produits par ses soins bien qu’elle soit appelée en Italie pour « Rocambole »!
En 1967, Après avoir été parfaite dans une nouvelles série Tv en passe de devenir culte « Le Prisonnier », elle annonce sa décision de prendre sa retraite. Devenue l’épouse d’un richissime avocat comme on l’a vu, Nadia Gray vit à Manhattan et mène grand train.
Elle décède en 1994, une mort qui lui va bien. Foudroyée, elle part sans souffrir et les médecins furent bien en peine de dire s’il s’agissait d’une hémorragie cérébrale ou d’une crise cardiaque foudroyante! Aujourd’hui l’oubli s’est fait sur son nom, il s’était fait de son vivant, c’était sa volonté et rien ne lui résistait.
Linda Gray reçoit régulièrement des courriers de Roumanie, des gens ravis de découvrir qu’ils sont cousins! Ca l’effare toujours autant!
Celine Colassin
QUE VOIR?
1949: L’Inconnu d’un Soir: Avec Raymond Rouleau et Claude Dauphin
1949: The Spider and the Fly: Avec Eric Portman
1949: Monseigneur: Avec Fernand Ledoux et Bernard Blier
1951: Il Microfono è Vostro: Avec Gisella Sofio
1951: Night Without Stars: Avec David Farrar
1951: Valley of Eagels: Avec Christopher Lee et Anthony Dawson
1952: Inganno: Avec Gabriele Ferzetti
1952: Moglie per Una Notte: Avec Gina Lollobrigida et Gino Cervi
1952: Top Secret: Avec George Cole
1953: Ivan, Il Figlio del Diavolo Blanco: Avec Paul Campbell
1953: Puccini: Avec Marta Toren et Gabriele Ferzetti
1953: La Vierge du Rhin: Avec Jean Gabin
1954: Gran Varietà: Avec Maria Fiore et Nico Pepe
1954: Le Due Orfanelle: Avec Myriam Bru, Milly Vitale et André Luguet
1954: Il Maestro di Don Giovanni: Avec Gina Lollobrigida et Errol Flynn
1954: Cento Anni d’Amore: Avec Vittorio de Sica et Carlo Campanini
1954: Les Femmes s’en Balancent: Avec Eddie Constantine et Dominique Wilms
1955: Agguato sul Mare: Avec Maria Frau et Ettore Mani
1955: Gli Ultimi Cinque Minuti: Avec Linda Darnell, Vittorio de Sica et Rossano Brazzi
1956: Hengst Maestoso Austria: Avec Paul Klinger
1956: Folie Bergère: Avec Zizi Jeanmaire et Eddie Constantine
1957: Vacanze a Ischia: Avec Isabelle Corey et Vittorio de Sica
1957: Sénéchal le Magnifique: Avec Fernandel
1957: Une Parisienne: Avec Charles Boyer, André Luguet et Brigitte Bardot
1959: Muerte Al Amanecer: Avec Antonio Almoros et Danielle Godet
1959: The Capitain’s Table: Avec Peggy Cummins et John Gregson
1960: Candide ou l’Optimisme au XXème Siècle: Avec Jean-Pierre Cassel et Daliah Lavi
1960: La Dolce Vita: Avec Marcello Mastroianni
1961: Le Jeu de la Vérité: Avec Françoise Prévost et Robert Hossein
1961: Le Pavé de Paris: Avec Danièle Gaubert et Jacques Riberolles
1961: Mr Topaze: Avec Peter Sellers et Herbert Lom
1961: Mourir d’Amour: Avec Paul Guers et Elga Andersen
1961: Les Croulants se Portent Bien: Avec Fernand Gravey et Pierre Dux
1961: Jeunesse de Nuit: Avec Magali Noël et Sami Frey
1962: Wenn Beide Schuldig Werden: Avec Hanns Lothar
1963: The Maniac: Avec Kerwin Mathews
1963: Zwei Whisky und ein Sofa: Avec Maria Schell
1963: Rocambole: Avec Edy Vessel et Channing Pollock
1964: Begegnung in Salzburg: Avec Curd Jürgens
1965: The Crooked Road: Avec Stewart Granger et Robert Ryan
1966: Winnetou und sein Freund Old Firehand: Avec Pierre Brice et Marie Versini
1967: Two for the Road: Avec Audrey Hepburn et Albert Finney
1967: The Naked Runner: Avec Frank Sinatra
1967: Le Plus Vieux Métier du Monde: Avec Francis Blanche et France Anglade