Aborder le destin d’Odile Versois c’est ouvrir une des pages les plus tristes du grand livre d’histoire du cinéma français.
Etiennette de Poliakoff-Baïdaroff naît le 14 Juin 1930 à Paris d’un couple de réfugiés Russes qui ont fui leur sainte mère patrie à la révolution de 1917. Le père, Vladimir de Poliakoff est chanteur d’opéra, la mère Militzia Envald danseuse étoile. Le coupe aura quatre filles.
Olga qui naît en 1928 et qui deviendra réalisatrice à la télévision sous le nom d’Olga Varen
Militza qui naît en 1932 et deviendra comédienne sous le pseudonyme d’Hélène Vallier
Etiennette, qui sera pour ses proches Taïna et qui deviendra notre Odile Versois
Et enfin Catherine qui voit le jour en 1938 et sera la plus célèbre des soeurs de Poliakoff sous le pseudonyme de Marina Vlady.
C’est Odile Versois qui fera la première ses débuts au cinéma, dès 1948 et après avoir été mannequin dès 1945. Elle décroche le premier rôle dans le film de Roger Leenhardt : »Les Dernières Vacances » On n’est certes pas dans une superproduction hollywoodienne, mais enfin, le film est truffé d’excellents seconds rôles dont Pierre Dux, Renée Devillers et Berthe Bovy. Quant à la jeune vedette, sa jolie fraîcheur de brunette agrémentée d’une sérieuse personnalité fait les délices du public et la voilà devenue cette « fraîche découverte » sentant bon l’insouciance de la jeunesse. Une insouciance qui manque tant à cette France qui n’a encore que les ruines de la guerre pour principal décor.
Dès les années 50, même si Marina va détenir le titre de « grande vedette » de la famille de Poliakoff, Odile Versois, très respectée de la profession va tourner plusieurs films par an, souvent en vedette, parfois avec sa soeur Marina et aussi bien en Italie qu’en France. Plus tard le cinéma américain et le cinéma allemand ne se priveront pas non plus de ses services.
Elle acquiert avec la maturité un « type » qui fut propre aux années 60. Une nouveau type de femmes, nées sans doute à part égales du cinéma, de la télévision et de la publicité. Ces femmes bien habillées avec plus de discrétion que d’ostentation, toujours coiffées quoi qu’il se passe et archétype de l’épouse parfaite et de la jeune maman idéale. Brigitte Bardot est trop sensuelle, Martine Carol trop hollywoodienne, Danielle Darrieux trop fantasque mais Micheline Presle, Danik Patisson, Dany Robin, Anne Vernon et quelques autres seront parfaites dans l’emploi. Quant à Odile Versois elle en est peut-être l’archétype blond, Françoise Prévost étant l’archétype brun. Elle est de cette génération de femmes modernes qui « savent se tenir » sans renoncer à la fantaisie à la culture ou à la sensualité.
Chemin faisant, Odile a épousé le comédien Jacques Dacqmine qui avait particulièrement brillé dans « Macadam » au côté de le jeune Simone Signoret, mais le mariage fut relativement court. Après trois mois d’union, Odile rentrait chez maman! Dacquemine dont c’était le troisième mariage promena longtemps sa désespérance dépressive hurlant à la lune son amour fou pour la belle Odile enfuie. Divorcée, Odile allait devenir en 1953 madame la comtesse François Pozzo di Borgo et ses quatre maternités successives ralentiront bien évidemment son activité cinématographique, ce qui ne veut pas dire qu’elle perd en prestige ni même en popularité.
Les comtes Pozzo di Borgo possèdent un château familial en Corse, sur la façade duquel on peut lire: » « Jérôme Pozzo di Borgo et son fils Charles ont fait construire cet édifice avec des pierres provenant du palais des Tuileries incendié à Paris en 1871, pour conserver à la patrie corse un précieux souvenir de la patrie française : l’an de grâce 1891 ».
Odile Versois est donc une femme belle et monstrueusement gâtée par la vie. En 1960 elle est la partenaire de Jean-Paul Belmondo dans « Cartouche » et les prises de vues terminées elle s’engouffre dans sa toute nouvelle Mercedes Sport, la même que Cary Grant et Sophia Loren, pour rentrer chez elle sans même le temps de quitter ses robes à paniers et sa perruque poudrée!
Le choc en retour que le destin lui prépare va être d ‘autant plus violent.
Odile Versois est frappée par le cancer. Elle va se battre en n’en fera pas secret, continuant à tourner malgré tout. Refusant de baisser les bras devant l’adversité et devant les assurances qui renâclent à la couvrir sur les tournages, ce qui n’a l’air de rien mais peut tout simplement mettre une production en faillite « en cas de malheur ».
L’actrice ne reçoit pas hélas le soutien espéré de son mari qui ne supporte pas longtemps la situation et la proximité d’une épouse malade toujours entre deux chimiothérapies et deux opérations. Il l’abandonne. Noblesse d’armoiries n’est pas forcément noblesse de coeur.
Elle travaille de plus en plus pour la télévision où les tournages sont plus rapides et les projets étalés sur un moins long terme qu’au cinéma.
Mais malgré une lutte acharnée, elle est vaincue par la maladie et succombe le 23 Juin 1980. Elle s’était battue pour fêter ses 50 ans et s’éteint 9 jours plus tard.
Il fut un temps où les soeurs de Poliakoff enchantèrent le monde, enregistrant des chansons russes écrivant leurs souvenirs à huit mains ou jouant du Tchekhov. Aujourd’hui Marina reste seule à pleurer ses soeurs.
Une hémorragie cérébrale a eu raison d’Hélène Vallier en 1988 et Olga Varen rejoint ses soeurs dans la tombe en 2009.
En 1979, le château corse des comtes Pozzo di Borgo flamba et il n’est plus que ruines dévastées aujourd’hui, les derniers pans de murs calcinés menaçant de s’ébranler sur la tête des curieux trop téméraires osant s’y aventurer. Je ne crois pas qu’Odile Versois ait été femme à en tirer satisfaction, mais elle sut au moins, en ces derniers jours de sa vie, que le destin ne s’en prenait pas toujours aux mêmes.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1948: Dernières Vacances: Avec Pierre Dux et Renée Devillers
1949: Orage d’Été avec Gaby Morlay et Odette Joyeux
1949: La Sposa non può Attendere: Avec Gino Cervi et Gina Lollobrigida
1950: Les Anciens de Saint Loup: Avec François Périer, Bernard Blier et Serge Reggiani
1950: Into the Blue: Avec Michael Wilding
1950: Paolo e Francesca: Avec Armando Francioli
1951: Mademoiselle Josette, ma Femme: Avec Fernand Gravey
1953: A Day to Remember: Avec Joan Rice et Stanley Holloway
1953: Grand Gala: Avec Ludmilla Tcherina
1954: The Young Lovers: Avec David Knight
1955: To Paris with Love: Avec Alec Guiness et Elina Labourdette
1955: Les Insoumises: Avec Jany Holt et Jacques Berthier
1956: Check-Point: Avec Anthony Steel et Stanley Baker
1958: Toi…Le Venin: Avec Marina Vlady
1960: La Dragée Haute: Avec Michel Piccoli et Dany Saval
1960: Cartouche: Avec Jean-Paul Belmondo et Claudia Cardinale
1961: El secreto de los hombres azules: Avec Lex Barker et Marpessa Dawn
1963: A Cause, à cause d’une Femme: Avec Mylène Demongeot et Jacques Charrier
1964: Le Dernier Tiercé: Avec Michel le Royer et Magali Noël
1968: Benjamin ou les Memoires d’un Puceau: Avec Michèle Morgan,Michel Piccoli et Catherine Deneuve
1972: Eglantine: Avec Valentine Tessier et Claude Dauphin
1975: Stationschef Fallmerayer: Avec Wolfgang Hübsch
1977: Le Crabe Tambour: Avec Aurore Clément, Claude Rich, Francis Perrin et Jean Rochefort