Le 26 Mai 1949 Pamela Suzette Grier vient au monde en Caroline du Nord, à Winston Salem d’une maman infirmière qui dorénavant restera à la maison pour prendre soin du petit trésor. (le troisième) Et d’un père militaire dont la carrière nécessite de nombreux déplacements d’envergure. La famille Grier finira par s’établir à Denver au Colorado après avoir transité et vécu dans une dizaine de villes dont Londres et même l’Arabie Saoudite. Le père avait prévenu la famille « C’est un pays très spécial, nous vivrons dans deux maisons séparées et maman n’aura plus le droit de conduire ». Pamela dont la vie itinérante lui a donné à jamais le goût des voyages découvre subitement le prix de la liberté. Elle se rebiffe « Oh non! Alors je n’irai pas, je n’ai pas envie de vivre comme ça, moi! C’est vrai, nous ne serions plus heureux en famille! » Elle alla pourtant. Plus tard elle se souviendra de l’épisode comme un épisode formateur qui lui a donné à jamais à la fois le goût de la liberté, celui de découvrir et la haine de toute censure qu’elle soit morale, sociale artistique ou religieuse.
Denver ce sont les racines de la famille. L’arrière-arrière grand-père de Pamela y tenait un petit hôtel où les ouvriers noirs et chinois employés à la construction des chemins de fer prenaient leurs repas.
C’est donc à Denver que Pamela qui sera toujours « Pam » pour ses amis et ses fans participe à plusieurs spectacles et à quelques concours de beauté dont les prix lui permettront de mettre suffisamment d’argent de côté pour partir tenter sa chance à Hollywood. Elle y arrive en 1967, forte de ses illusions et d’un impressionnant tour de poitrine! Elle devra s’y contenter de petits boulots plusieurs années durant car elle ne débutera qu’en 1971 dans des films qui ne transcenderont guère l’histoire du septième art.
Elle était devenue standardiste chez AIP. Une société de distribution de films qui s’occupe, entre autres, de distribuer ceux de Roger Corman. Inconnu lui aussi au bataillon des icônes du septième art, Roger Corman besogne dans le cinéma d’exploitation. Ce genre de cinéma volontiers méprisé remonte aux années 30. Son principe est fort simple: Quand un film fait un énorme succès, le cinéma d’exploitation saute sur le filon avec des kyrielles de films du même genre mais sans stars, sans budget et de qualité médiocre. Il y aura les westerns, les films de gangsters, les films de martiens, les films de monstres, les films de jeunesse délinquante, les films de motards, les films de naufragés sur une île déserte, les films de vampires, les films de surf plage et bikinis puis des films un peu érotiques et des policiers violents. Le cinéma d’exploitation est très codé. Par exemple pour le créneau « femmes en prison », l’héroïne n’est pas vraiment méchante mais elle est quand même en taule. Il y aura, c’est promis, une séquence de bagarre générale, une gardienne sadique, la détenue fragile, la détenue qui fait peur à tout le monde, le chahut au réfectoire et une scène dans les douches.
Ces films font énormément d’argent sans coûter grand chose et Roger Corman roule sur l’or. Il est une petite star dans ce milieu très fermé car il sait s’entourer de collaborateurs talentueux et certains de ses films valent mieux que leur réputation.
Il avait repéré Paméla et l’avait présentée à Russ Meyer, le pape des films « filles à gros seins ». Paméla avait hésité longuement. « Faire l’actrice? Et sa sécurité d’emploi? » C’était la seule chose qui l’intéressait vraiment. Mais bon, il n’y avait pas grand chose à faire, c’était toujours ça de gagné. Elle débute donc dans « Beyond the Valley of the dolls ». Le film a connu un parcours plutôt curieux. Au départ c’est un projet Century Fox supposé être une suite de « Valley of the Dolls ». Or, si « Valley of the Dolls » avait fait un succès planétaire, personne n’avait vraiment compris pourquoi . Ce film resté culte à jamais est une pure daube. La suite ne promettait donc rien de bien fameux. Le prestige du projet dégringola jusqu’à ce que la Century Fox ne trouve plus que Russ Meyer, jusque là réalisateur indépendant de films vaguement cochons pour s’y coller. Russ Meyer étant comme tout le monde atterré par le succès de « Valley of the dolls » va réaliser une parodie plutôt qu’une suite. Le film va se prendre quelques procès retentissants. la FOX se retrouve avec le premier film « classé X » de son catalogue et un panneau d’avertissement précède le générique « Si vous trouvez un rapport quelconque entre le film que vous allez voir et « La vallée des poupées » soyez certains que nous ne l’avons pas fait exprès ».
En attendant, Pam qui ne voulait pas « faire l’actrice » s’est retrouvée dans une production « Century Fox ». Roger Corman l’avait trouvée très bien dedans pour le peu qu’on l’y voyait. Il l’avait donc présentée à Jack Hill, réalisateur de sa prochaine production: « The big doll house ». Un film de femmes en prison. Jack Hill est si impressionné par Pamela qu’il accepte ce film qu’il comptait refuser, y ajoute beaucoup d’humour pour camoufler l’invraisemblance du scénario et modifie le premier rôle pour le confier à une femme noire. S’il fait le film c’est pour diriger Paméla. Et Paméla…va casser la baraque! Le film est un tel succès que Jack Hill en tournera une parodie dès l’année suivante » The big bird cage ».
Jack Hill aura été, toutes proportions gardées, pour Pam Grier ce que von Sternberg aura été pour Marlène Dietrich.
Sa chance vient en 1973 avec « Coffy », un film à petit budget: trente mille dollars, et qui en rapportera trois millions. Un film écrit pour elle et réalisé par l’indispensable Jack Hill. Coffy c’est une créature de rêve qui en a raz le balconnet D de toutes les racailles qui lui pourrissent la vie et sa ville et décide de leur faire sauter le caisson à coups de fusil à pompe. Les films sont violents, les femmes s’y retrouvent déshabillées pour un oui ou un non mais le MLF va pourtant s’en enticher à la folie!
Enfin une femme à gros seins qui décalamine les mecs sans perdre un faux-cil! Les féministes y voient « une femme normale indépendante qui exploite ses propres ressources ». C’est comme ça que les féministes 1972 requalifient une femme qui bute tout le monde sans aucun scrupule ni état d ‘âme. Là où elles ont raison c’est que Coffy est une femme normale avec du papier peint à fleurs dans sa cuisine, des factures à payer et son feuilleton tv préféré. Elle n’a pas de super pouvoirs. Elle est même une bille au karaté contrairement à Cleopatra Jones, l’autre dézingueuse noire de service. Si Coffy se décide à tuer tout le monde c’est parce qu’ils l’ont bien cherché! Ils ont même tué son gentil fiancé qui « n’avait rien à voir avec tout ça ». Alors oui, on l’a énervée!
Pamela restera une justicière de charme aux interventions musclées qui n’ont rien à envier à celles de Bronson ou d’Eastwood. Plus qu’une star aux formes affolantes, Pamela Grier deviendra une véritable icône, fier symbole d’une nouvelle image de la femme noire. Belle, forte et libérée à l’égale des hommes, ne craignant rien ni personne. Pam Grier est à elle seule le symbole du « black power » des années 70. Les films en revanche sont tous calqués sur le même moule. On reste dans le cinéma d’exploitation. Parfois Coffy devient Foxy Brown ou Sheba. Parfois elle change de métier mais à part ça rien ne change. Elle dézingue toute la distribution masculine, toujours en décolleté profond et se roule par terre en pugilats très drôles avec les autres infortunées actrices du film. Toutes des salopes en robes longues, mauvaises copies de robes Loris Azzarro made in on ne sait pas où mais loin de Paris.
Pam Grier est dans tous ces films une fille qui sait rester « une fille bien » même si elle connaît par cœur le « milieu ». Hélas on tue ses proches (petite soeur, petit ami au choix) Alors elle infiltre le milieu en call girl ou prostituée, prend quelques raclées se fait un peu violer, déclenche une bagarre de filles dont le but est d’arracher les soutien-gorge puis, la plaisanterie ayant assez duré elle tue tout le monde. Fin. Générique disco. Sa vogue s’estompera avec les années 80 même si on le retrouve partenaire de Steven Segal au cinéma et qu’elle devient très présente à la télévision. Pamela Grier reste une actrice très cotée et peut être fière d’une beauté qui semble inaltérable.
Elle gardera de sa période justicière un souvenir mitigé. Elle est consciente qu’aucun de ses films ne risque de se retrouver en lice pour un Oscar quelconque même pas celui des éclairages. Mais elle est fière d’avoir été un rouage de l’émancipation raciale, sexuelle et morale. « Tout d’un coup on a parlé de sexe, de plaisir, on s’est mis à considérer normales des choses pourtant inédites. Des noirs sont devenus hippies ou Bouddhistes, le public blanc adore Tina Turner et James Brown, Jimi Hendrix fait du rock blanc. Tout ça c’est normal aujourd’hui mais on sortait d’une époque où les noirs qui n’étaient pas racistes envers les blancs était qualifié » d’oncles tom » et inversément les blancs non racistes étaient traités de « niggers lovers ». Insulte à connotation très sexuelle.
Par contre, Pam Grier sera très véhémente à propos du terme « Blaxploitation » qui désigne ses films et tous ceux joués par une distribution essentiellement ou tout à fait noire. D’abord il n’y a pas de films whitexploitation, ce qui aurait pourtant parfaitement convenu aux films de Clint Eastwood. Or, là où Pam a doublement raison, c’est que Blaxploitation » désigne surtout les films destinés au public noir et que les blancs patriotes ne doivent pas aller voir. Ils existent depuis que le cinéma existe, on les appelait les « race movies ». On a juste changé de terminologie pour faire moins Texas et plus « Côte Est ». Or, si elle les a tournés, c’est pour que tout le monde les voie.
La société AIP qui distribue ses films, va se joindre à la voix de Pam (on lui devait bien ça) et désigner ces films comme des « classiques noirs », interdisant le terme « Blaxploitation » sur sa ligne de distribution.
Nonobstant le terme dont on les désigne, les « classiques noirs » vont connaître le sort de tous les films d’exploitation. A force de recommencer sans cesse le même film, le filon se tarit, le public se lasse, les recettes s’effondrent et c’est la fin du genre. Les années 80 ne sont plus les joyeuses années 70. Un nouveau crash boursier, 5 millions de chômeurs. Pamela quitte Los Angeles et retourne à Denver. Toujours actrice elle ne trouve pas grand chose à se mettre sous la dent avec son étiquette de « star de films très démodés ». Une exception avec Jack Clayton qui lui propose un rôle dans « La foire des ténèbres » en 1983.
Pamela Grier a été élevée dans le respect de l’argent et le sens du travail. Le travail qui éduque et libère. Alors elle lave sa voiture et tond sa pelouse elle-même. Elle refuse les propositions stupides à la sauce « Le retour de Coffy ». Elle fait du théâtre, peaufine sa technique d’actrice, elle qui a débuté sur le tas.
En 1997, Pamela fait un retour fracassant tout en haut des affiches lorsque Quentin Tarentino fait d’elle sa Jackie Brown. Le monde redécouvre alors cette comédienne à la forte présence et au métier très assuré. Tarentino, fan de Coffy (qui ne l’est pas?) l’avait dénichée à Denver et auditionnée pour « Pulp Fiction ». Ca n’avait pas marché. Alors quand il l’appelle et lui parle comme à sa meilleur copine « Salut, Pam, c’est Quentin! » Et qu’il lui dit qu’il a écrit tout un film pour elle, elle en tombe de sa chaise.
Pamela va se donner à fond, suivre une formation d’hôtesse de l’air puisque c’est le métier de son personnage. Et parce qu’elle trouve que Jackie serait plus crédible si elle clopait comme une cheminée, elle s’y met alors qu’elle souffre d’un cancer. Sa mère est épouvantée. Pas à cause de la cigarette mais parce que sa fille sublime veut tourner des scène en étant moche.
« Quand on sort de prison, ce n’est pas comme sortir de chez le coiffeur! »
« Peut-être mais moi je me suis toujours maquillée avant que ton père ne se réveille! Alors hein! »
Lorsque sa mère apprend que pour la scène d’interrogatoire avec Michael Keaton elle est restée « en conditions »: neuf heures sans quitter le plateau, sans déjeuner, sans retouche coiffure et maquillage, elle est au désespoir. « Plus personne ne voudra t’engager après t’avoir vue transpirer comme ça, c’est dégoûtant », Pam pour la première fois se révolte « Je me fous de ne plus jamais tourner de ma vie après ça! Je n’ai jamais voulu être une star, je me fous d’être riche et célèbre! Je suis une actrice et aujourd’hui on me propose un rôle de composition alors si pour le réussir je dois pisser dans ma culotte, je pisserai dans ma culotte! Je me fous de mon apparence, je ne veux montrer que mes sentiments, mon travail et j’espère mon talent! » Réponse de la mère très digne « En pissant dans ta culotte? Drôle de méthode! »
C’est que, voyez-vous, Pamela Grier avait pris du galon, elle avait du métier et du talent à revendre. Elle avait tourné près de 80 films avant « Jackie Brown » où certains naïfs crurent découvrir une nouvelle venue. Pauvres d’eux! Heureusement que Pamela a rangé au magasin des accessoires ses fusils à canons sciés dont elle s’était tant servi au temps de ses glorieuses années!
Pamela Grier a triomphé des préjugés
Elle a triomphé, de Coffy, de la Blaxploitation, du racisme, d’Hollywood, du cancer et même de sa mère.
Aujourd’hui Pam a laissé le temps épaissir sa silhouette de fantasme, elle a plus de 70 ans mais elle reste présente au cinéma comme à la TV. La communauté afro-américaine peut toujours compter sur l’efficacité de Coffy pour défendre son steak et sa culture. God bless Pam.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1970: Beyond the Valley of the Dolls: Avec Dolly Read et Edy Williams
1971: The big doll house: Avec Judith Brown
1971: Women in cages. Avec Jennifer Gan
1972: The big bird cage: Avec Anita Ford
1972: Hit Man: Avec Bernie Casey
1972: The Twilight people: Avec John Ashley
1973: Black mama, white mama: Avec Marguerite Markov
1973: Coffy: Avec Brooker Bradshaw
1974: Foxy Brown: Avec Antonio Fargas
1975: Friday Foster: Avec Eartha Kitt et Yaphet Koto
1975: Sheba Baby: Avec Austin Stocker
1976: Drum: Avec Warren Oates et Isela Vega
1977: Greased Lightning: Avec Richard Pryor et Beau Bridges
1985: Stand Alone: Avec Charles Durning
1987: The Allnighter: Avec Dedee Pfeiffer
1990: Class of 1999: Avec Bradley Gregg et Malcom MacDowell
1993: Posse: Avec Stephen Baldwin et Billy Zane
1996: Mars Attak: Avec Jack Nicholson, Glenn Close, Sarah Jessica Parker et Dany de Vito.
1996: Original Gangstas: Avec Jim Brown et Fred Williamson
1997: Jackie Brown: Avec Samuel L; Jackson, Bridget Fonda et Robert de Niro
1997: Strip Search: Avec Michael Paré
1999: Jawbreaker: Avec Rose MacGowan
2000: Snow Day: Avec Iggy Pop
2001: Bones: Avec Snoop Dog
2005: Back in the Day: Avec Joe Morton
2011: Larry Crown: Avec Tom Hanks et Julia Roberts.
2012: Mafia: Avec Ving Rhames
2021: The man with Iron Fists: Avec Russel Crowe et Lucy Liu
2019: Pom-pom Ladies: Avec Diane Keaton