J’ai déjà, dans ce florilège d’étoile filantes, frôlé, sinon abordé le destin de la charmante Priscilla Lane puisque sa sœur Rosemary l’a devancée en ces pages. Donc, pour Priscilla comme pour Rosemary ainsi que pour Lola, la troisième demoiselle Lane qui tâta du cinéma, tout commence à Macy dans l’Indiana, avec les ambitions frustrées de leur mère. Cora Bell Hicks qui rêvait d’être actrice et en fut empêchée par sa famille. Elle fut, malgré tout, échotière dans le journal local, ce qui en cette fin de XIXème siècle était déjà terriblement scandaleux! Mais Cora se maria et les choses rentrèrent dans l’ordre…Plus ou moins!
Elle épousa le docteur Lorenzo Mullican et fut bientôt maman de trois filles qui se suivirent à un rythme relativement accéléré. Leota vint au monde en 1904, Martha en 1905, et Dorothy (Lola) en 1906. A la suite de quoi la petite tribu quitta Macy pour s’installer à Indianola dans l’Iowa. Les affaires avaient prospéré. La maison des Mullican comptait 22 chambres! On pouvait encore facilement ajouter deux petites filles de plus! Rosemary vint au monde le 4 avril 1914.
Priscilla, notre héroïne du jour naquit le 12 Juin 1915.
Cora inculqua très tôt à ses filles le goût de la musique et du chant. Disciplines où elles se révélèrent très douées. A l’exception de Martha qui préférait batailler avec les adolescents de Simpson Collège, voisin de la propriété Mullican. Elle s’était mis en tête de devenir un grand médecin. Elle fut infirmière. Dorothy, par contre était pianiste de cinéma depuis l’âge de 12 ans et accompagnait les films muets. Bientôt, Leota et Dorothy quitteront la maison pour s’en aller tenter leur chance à Broadway! Rosemary et Priscilla trépignaient déjà d’en faire autant mais elles étaient encore bien trop petites!
Bientôt, n’y tenant plus, Cora prendra ses dernières filles et gagnera New-York. Quitte à sortir perdante de son divorce en 1933 pour « désertion du domicile conjugal » Mais pensez donc! Leota avait du succès à Broadway et Hollywood avait offert un contrat à Lola! Pouvait-elle rester une sage ménagère de l’Iowa dans ces conditions? Non! Cora poussa les deux plus jeunes dans tous les castings et toutes les auditions possibles. Paradoxalement personne ne se révéla tenté.
On proposa seulement aux deux sœurs chantantes une tournée avec un grand orchestre. Cora accompagnerait et c’est elle qui tiendrait le piano lorsque les petites chanteraient. Elles devinrent les sœurs Lane. Priscilla swinguait à qui mieux mieux et faisait rire, Rosemary susurrait de douces balades et provoquait l’émotion. Les soeurs Lane resteront cinq ans avec le groupe. Jusqu’à ce qu’une proposition émane d’Hollywood où l’on souhaitait la présence de l’orchestre dans un film de Dick Powell. Hollywood où Leota était depuis 1929 mais où elle avait passé plus de temps à se marier qu’à faire du cinéma!
Priscilla n’arrivera donc à Hollywood en 1937. En 1931 elle avait déjà passé un test à New-York pour la MGM en compagnie de Katharine Hepburn et Margaret Sullavan mais aucune des trois n’avait donné satisfaction! Après le film de Dick Powell, c’est la Warner qui va prendre Priscilla Lane sous contrat et faire d’elle la partenaire plus ou moins officielle de Wayne Morris. Le studio compte bien faire d’eux un couple idéal de l’écran et lance des bruits d’amourette, d’amour, de fiançailles et enfin de mariage. « Rien de sérieux » laisse tomber Priscilla lorsqu’elle est questionnée sur le sujet!
Une anecdote de ses débuts au studio est restée célèbre. Priscilla pensant bien faire et se montrer particulièrement coopérative refuse une doublure pour une scène où Wayne Morris doit lui donner une fessée. Or, la Warner est un studio qui sert également de ring aux affrontements d’actrices telles que Bette Davis, Myriam Hopkins ou Ida Lupino. »Je veux » , Je ne veux pas » ne sont plus des choses à dire pour n’importe quelle autre actrice chez Warner. Il en cuira à Priscilla Lane au sens propre du terme d’avoir dit « je ne veux pas être doublée dans la scène de la fessée » Elle recevra 47 fois la fessée infligée par Wayne Morris avant que le réalisateur ne s’estime satisfait du résultat!
Très vite, la Warner avait songe à réunir les sœurs Lane au générique de ses films et « Four Daughters » connaîtra plusieurs suites.
Mais si à l’époque on se passionne beaucoup pour les querelles qui opposent la Warner à ses actrices qui se plaignent de la médiocrité de leurs rôles, Bette Davis faisant la grève, s’exilant en Angleterre et perdant son procès contre le studio; Olivia de Havilland faisant la grève et gagnant son procès, on parla peu de la grève menée par Priscilla Lane, elle aussi excédée de tourner des sottises. Mais la Warner c’est un studio de durs! On y excelle en western et films noirs. C’est le studio d’Humphrey Bogart, de George Raft et John Garfield. Il n’y a guère qu’Ann Sheridan qui a parfaitement compris que les rôles féminins chez Warner sont exclusivement décoratifs dans les films de ces messieurs.
Priscilla s’était rebiffée , portée par la presse qui se plaignait sur cinq colonnes à la une du traitement que lui infligeait son studio. »Quand la Warner offrira -elle enfin un rôle digne de son talent à la merveilleuse Priscilla Lane? » pouvait-on lire. La réponse ne fut pas aimable « On lui fait faire ce qu’elle sait faire! Elle est charmante, elle est sympathique, elle est populaire mais…Ca s’arrête là!« Il faut dire que la Warner n’est guère ravie de sa collaboration avec Priscilla Lane. Alors que le studio s’acharnait à créer un couple de cinéma en la « fiançant » à Wayne Morris, Priscilla s’entiche follement d’un assistant réalisateur, Oren Haglund et se sauve avec lui jusqu’à Yuma en Arizona pour l’épouser! Le 14 Janvier 1939 ils sont mariés, le 15 janvier Priscilla change d’avis , rentre au bercail hollywoodien et fait annuler son mariage d’un jour!
A peine rentrée, elle tombe follement amoureuse de l’éditeur John Barry. Le studio la somme de tempérer ses ardeurs et d’y réfléchir à deux fis avant d’annoncer son mariage, ce qu’elle ne fera qu’en 1941. Mais alors que l’on s’émeut sur ce bel amour bientôt légalisé, Priscilla Lane rencontre et épouse le 22 Mai 1942 un bel officier de l’armée de l’air Joseph Howard!
Les « tocades » sentimentales de l’actrice étaient aux antipodes de l’image que le studio voulait véhiculer d’elle. L’image de la jeune femme américaine parfaite, bonne fiancée, bonne épouse, bonne sœur, bonne copine bonne patriote. Elle épousait un militaire, difficile de la mettre au pilori en ces temps où la guerre menaçait. Mais il fut hors de question de la laisser tourner les films qu’elle voulait! Et puis quoi encore. La presse prendra pour habitude de se plaindre du traitement de Priscilla « que l’on ne voyait plus guère, mais à quoi pensait-on chez Warner? » Et ce avec une régularité devenue tellement automatique que l’actrice avait quitté Warner depuis longtemps et qu’elles continuaient encore.
On lui avait promis de meilleurs rôles dans de meilleurs films. Elle avait repris le travail et tourné un rôle encore plus bête dans un film encore plus idiot! Elle s’en plaignit, on lui répondit qu’elle n’y connaissait rien que le film était le comble du sublime. Elle s’en alla. L’Amérique était entrée en guerre, elle sauta sur le prétexte pour demander la résiliation de son contrat et suivre son mari dans ses différentes affectations.
Elle n’avait obtenu qu’un seul rôle qui l’avait entièrement satisfaite chez Warner: Celui de la fiancée de Cary Grant dans le célébrissime « Arsenic et Vieilles Dentelles » Et encore avait-elle obtenu le rôle parce que Frank Capra le réalisateur avait vivement insisté. Mais le film tourné en 1942 ne sortit qu’en 1944. Entretemps, Warner avait redistribué Priscilla Lane dans un tas de sottises et dans les bras de Ronald Reagan. Elle ne fera que cinq ans sur les sept prévus par son contrat.
Devenue indépendante, Priscilla Lane croit avoir pris la bonne décision car Universal la propose à Alfred Hitchcock pour le premier rôle féminin dans « Le Saboteur ». Soupir de soulagement on ne peut plus bref pour Priscilla Lane . Hitchcock ne veut pas d’elle! Il la trouve » commune » Elle tournera le film, imposée par UNIVERSAL, probablement plus pour emmerder Hitchcock que par conviction pour son talent!
Ainsi elle quitte le cinéma dès 1942 même si la sortie différée d’Arsenic et Vieille Dentelles en 1944 peut laisser imaginer une carrière plus longue et surtout plus prestigieuse.
La fin de la guerre surprend Priscilla au nouveau Mexique. Elle s’apprête à donner naissance à leur fils Joseph Lawrence le 31 décembre 1945. En 1950, leur fille Hannah viendra compléter la famille puis en 1953 ce sera au tour de Judith puis de James en 1955.
Son mari libéré de ses obligations militaires en 1946, le couple revient s’installer en Californie où Priscilla ne fait rien pour renouer avec le cinéma. Elle s’occupe de sa famille, de ses bonnes œuvres où elle se dépense sans compter, de son jardin, de ses fleurs, de ses légumes. De sa mère qui commence à vieillir dans la superbe maison que ses fille lui ont offerte dans la San Fernando Valley et où elle s’éteindra en 1951.
En 1947, on lui propose un rôle dans « Bodyguard » avec Lawrence Tierney qui n’est autre que le frère de Scott Brady. Priscilla accepte et le tournage terminé déclare: « Avant de tourner ce film, je ne me rendais pas compte à quel point ce métier que j’adore me manquait! Dorénavant je veux tourner, tourner, tourner, jusqu’à m’en étourdir! « On ne la reverra pas si ce n’est brièvement à la télévision dans son propre talk show.
Le 18 Mai 1976, le malheur la frappe. Son mai s’effondre foudroyé par une crise cardiaque à seulement 60 ans et la laisse veuve et complètement désemparée.
En 1994, Priscilla Lane est diagnostiquée souffrant d’un cancer du poumon alors qu’elle souffre déjà d’insuffisance cardiaque. Elle s’éteint le 4 Avril 1995 à 07heures 30 dans les bras de son fils ainé, deux mois avant de fêter ses 80 ans. Elle aura droit à des funérailles très officielles puisqu’elle rejoint dans la tombe son mari qui repose au cimetière militaire d’Arlington comme les Kennedy.
Si les films qu’avait pu tourner Priscilla Lane étaient bien oubliés et certains à juste titre, son nom restait connu de tous grâce à « Arsenic et vieilles Dentelles » considéré aujourd’hui comme un joyau de la comédie noire et sans cesse redécouvert de génération en génération. Un film que l’avisé studio Warner hésitait à sortir ne lui trouvant que peu d’intérêt et encore moins de résonnance dans son époque. Une époque bien troublée il est vrai.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1937: Varsity Show: Avec Dick Powell et Rosemary Lane
1938: Swing time in the Movies (Court métrage) Avec Kathryn Kane
1938: Men Are Such Fools: Avec Humphrey Bogart et Wayne Morris
1938: Four Daughters: Avec Rosemary et Lola Lane, Gale Page et John Garfield
1938: Brother Rat: Avec Eddie Albert, Wayne Morris, Ronald Reagan et Johnnie Davis
1939: Daughters Courageous: Avec John Garfield, Claude Rains, Lola et Rosemary Lane.
1939: Four Wives: Avec Rosemary et Lola Lane, Gale Page et Claude Rains.
1939: The Roaring Twenties: Avec James Cagney
1940: Three Cheers for the Irish: Avec Thomas Mitchell et Virginia Grey
1941: Four Mothers: Avec Rosemary et Lola Lane, Gale Page et Claude Rains
1941: Million Dollar Baby: Avec Ronald Reagan
1942: Saboteur: Avec Robert Cummins
1944: Arsenic and Old Laces: Avec Cary Grant
1947: Fun on a Week-End: Avec Eddie Bracken et Tom Conway
1948: Bodyguard: Avec Lawrence Tierney