Monsieur Bob Desmarets était une figure bien connue des parisiens. Il était le propriétaire du vélodrome d’Hiver dit familièrement le « Vel d’Hiv » qui faisait le bonheur des amateurs de sport cycliste . C’était devenu un symbole de la culture populaire et sportive comme l’étaient « Le Grand Central » pour la Boxe ou « Molitor » pour la natation. Bob était d’ailleurs une figure populaire et il tint même au cinéma son propre rôle dans « Le roi des resquilleurs » en 1930. Aujourd’hui ces hauts lieux ont disparu (Même si Molitor a été réhabilitée après des années d’abandon et de décrépitude) et avant d’être démoli, le « Vel d’Hiv » verra le souvenir de ses champions effacé par les heures les plus noires et les plus honteuses de l’histoire de la capitale. Celles de la rafle des Juifs qui seront entassés là, les 16 et 17 Juillet 1942. 12.884 personnes passeront entre les murs de ce haut lieu du plaisir et du sport avant d’être déportées vers les camps de la mort. Construit en 1909, le Vel d’hiv ne survivra pas à sa honte et sera démoli en 1959. A sa place aujourd’hui, un jardin. Le jardin du souvenir.
Mais le 7 Avril 1922, on ne peut guère encore imaginer que l’histoire prendra un tour aussi sombre et entraînera avec elle ce fameux « Vel d’Hiv » dans la plus horrible danse macabre qui se puisse imaginer. Non, ce 7 Avril 1922, Bob Desmarets est un homme heureux. Un heureux père, sa petite fille Jacqueline Yvonne Eva est venue au monde. La famille Desmarets aura deux enfants, une fille et un garçon.
On rêvera de faire de la fille une jeune fille bien sous tous rapports et du garçon au moins un énarque. Quelle ne sera pas la surprise de ce bon vieux Bob lorsque le gamin lui déclarera vouloir être pompier à cause des jolis uniformes et…Qu’il ne changera jamais d’avis! La tête de son père mit notre jeune héroïne dans une joie telle qu’elle en riait encore 80 ans plus tard! Elle n’aurait d’ailleurs pas dû rire aussi fort. Un seul effronté suffisait dans la famille. On envoya la jeune Jacqueline parfaire son éducation et tempérer ses emportements dans un collège Suisse.
Elle avait 16 ans lorsque son destin se mit en marche mais en prenant un détour inattendu. Sans vouloir faire de comparaisons risquées, disons que l’immobilier y joua déjà un rôle. En ce bel été 1938, les Desmarets ont décidé de déménager et mettent leur maison en vente. Un acquéreur se déclare potentiellement intéressé. Son nom: Louis Jouvet. La jeune Jacqueline faillit s’évanouir cent huit fois! Louis Jouvet chez elle! Il allait peut-être acheter sa maison! Qui sait s’il n’installerait pas son bureau dans sa chambre de jeune fille et répèterait ses grands rôles en regardant les fleurettes du papier peint qu’elle avait elle-même choisi? Elle changea de robe autant de fois qu’elle faillit s’évanouir et le jour venu, elle ne se tenait plus d’émotion. Louis Jouvet visita la maison. Il ne fit pas de commentaires sur le papier peint, j’ignore d’ailleurs s’il finit par l’acheter ou non. Mais une chose est sûre: Il remarqua la jeune fille de la famille. Avant de partir il lui prit le menton, l’examina et déclara de son ton inimitable « Cette petite, elle a une tête faite pour le théâtre! Si jamais l’envie lui prend, amenez-la moi, ca m’intéresse et on pourra peut-être faire quelque chose. » Inutile de dire que Jouvet n’était pas encore dans son taxi que chez les Desmarets une irrésistible vocation était née dans l’âme d’une jeune fille qui virevoltait dans toutes les pièces.
Aujourd’hui les parents épouvantés auraient porté plainte! Mais à l’époque on savait accueillir le compliment sincère. Surtout s’il venait du grand Louis Jouvet! On lui « amena » donc Jacqueline qui devint son élève. Jouvet décréta qu’elle avait une tête comique, ce qui vous refroidit quand même les illusions et qu’il lui fallait donc un prénom comique! « Tu t’appelleras Sophie! » »Oui maître » répondit respectueusement la nouvelle baptisée sans songer un seul instant à faire autrement. Mais en se demandant quand même ce que ca pouvait bien avoir de drôle de s’appeler Sophie?
La guerre vint avec son fidèle régiment d’horreurs, Sophie obtint son premier prix de comédie moderne au conservatoire en 1944. Plus tard une très grande dame de la scène, pour ne pas dire une relique antédiluvienne de la comédie française lui lança: « Vous n’avez pas honte? Avoir eu votre prix sous Pétain! » Ce à quoi la jeune Sophie lui répondit du tac au tac: « Tout le monde ne peut pas l’avoir eu sous Félix Faure! » Sophie n’avait pas fait qu’obtenir son premier prix durant l’occupation. Elle s’était mariée avec René Froissant qui l’avait faite maman d’une petite Caroline. Elle avait également débuté au cinéma dans un film qui devint cultissime dès son premier jour d’exploitation en salles: « Premier Rendez-vous » où elle était la copine d’orphelinat de la star française numéro un : Danielle Darrieux.
Et puis surtout alors que Paris pavoise sous les fanions bleu-blanc-rouges de la libération, Sophie triomphe dans des pièces de boulevard. Elle devient déjà l’interprète fétiche d’André Roussin et elle restera une des reines du genre durant près de 40 ans.
En 1947, Sophie fait sa rentrée au théâtre et le tout paris s’exclame » Sophie Desmarets, la plus sympathique, la plus délicieuse et la plus intelligente des comédiennes fait sa rentrée! » Et quelle rentrée! Elle tourne « Rocambole » avec Pierre Brasseur et signe pour tourner la suite « La Revanche de Baccarat ». Elle enchaîne avec « Tierce à Cœur » et joue sur scène « Le Chevalier d’Aquitaine ». »Tierce à Cœur » était à l’origine une pièce de Marc-Gilbert Sauvageon qu’il n’avait pas réussi à monter mais qui était directement passée au cinéma grâce à… l’accord de Sophie!
Sophie Desmarets est devenue une véritable actrice populaire et se concentre au cinéma sur ce qui fait sa gloire à la scène. Peu soucieuse de cinéma d’auteur ou de grands rôles dramatiques où l’on meurt à la fin, elle ne rechigne pas lorsque la bourgeoise qu’elle incarne doit hurler « Georges! Si vous ouvrez cette armoire normande parce que vous pensez qu’il y a un homme dedans vous vous trompez et regardez plutôt sous le lit! »
En 1949 elle fait la connaissance du romancier marquis Jean de Baroncelli-Javon qu’elle épouse en 1950 après un rapide divorce et après avoir donné la réplique à Maurice Chevalier dans « Ma Pomme ». Sophie devenait donc marquise de Baroncelli, dixième du nom et belle fille du cinéaste Jacques de Baroncelli qui la dirige d’ailleurs au cinéma dans « Rocambole ». Les de Baroncelli ont depuis des siècles leur château de famille, « La Paillerie » dans l’Hérault, à Celleneuve. C’est là que le jeune couple s’installe. Sophie aimant s’occuper des roses, faire de la tapisserie, plumer ses amis au poker et surveiller l’embouteillage du vin maison. Monsieur quant à lui, rédige de brillantes critiques parfois assassines des nouveaux films sortis pour « Le Monde » dont il est un des chroniqueurs. Il est d’ailleurs assez piquant de souligner que monsieur de Baroncelli était parfois très véhément sur des oeuvres d’Orson Welles ou Billy Wilder alors que sa chère épouse tournait une kyrielle de films qui auraient tous pu s’appeler « tralala pouêt-pouêt »!
Lorsqu’en effet les occupations théâtrales ou cinématographiques de madame la marquise l’appellent à Paris, elle regagne la capitale par la route, préférant sa somptueuse décapotable américaine bleu layette au train. On s’installe alors dans un ravissant appartement près de l’Etoile. Au dernier étage d’une élégante maison de maître et d’où la vue embrasse le coeur de Paris. Dès son arrivée, madame la marquise ira rendre visite à son amie Coco Chanel qui bientôt l’habillera pour toutes ses apparitions à l’écran. Mais avant celà, son vison à peine jeté sur le bras d’un fauteuil Louis XV, elle appellera « La Paillerie » pour prendre des nouvelles de Catouche et Carotte, surnoms qu’elle a donnés à ses deux filles. Si monsieur ne couvre pas la biennale de Venise ou le festival de Berlin, il la rejoindra à Paris.
A l’aube des années 60 elle deviendra un des piliers de la télévision française. Grande habituée des émissions populaires comme « Les Grands Enfants », certains se plaignant de son rire « suraigu » en concurrence directe avec celui de la speakerine Denise Fabre.
Elle a également ouvert un magasin d’antiquités à Paris, passage Choiseul et lorsqu’elle emmène la pièce « Fleur de Cactus » en tournée elle déclare: « Bien sûr que je suis ravie! Je vais pouvoir chiner dans toutes les villes où on passe pour mon magasin! Finalement, c’est encore ca qui m’amuse le plus! ».
Au cinéma, elle garde depuis ses débuts son personnage de bourgeoise complètement piquée. Pour se faire une idée de la « Sophie Desmarets formula » on peut peut-être choisir « La tête du client ». Film de 1965 vaguement sauvé par les dialogues de Dabadie où Sophie est l’épouse du chapelier Michel Serrault et soeur de Jean Poiret. Complètement idiote, elle sautille en ballerines dans tous les coins, se voulant romancière, elle cherche partout sa page 267 qui était restée, le croirez-vous sur sa machine! Elle prend Francis Blanche, un maître chanteur voulant tuer son mari pour un copain de régiment qu’elle invite à dîner et dormir et réveille les assommés à l’arrosoir. Plus on se bagarre plus on s’entretue plus elle rit stupidement.
Comme beaucoup d’actrices, Sophie Desmarets perpétue son personnage à la fille. Comme Annie Cordy, Denise Grey ou Arletty, Sophie Dsmarets joue automatiquement la personnage Sophie Desmartes plutôt que de révéler sa vraie nature. En 1979, à un journaliste qui la questionne sur les fêtes et ses bonnes résolutions elle répond « J’adore les réveillons! Moi qui adore faire la bringue ce sont de trop belles occasions même si ce Noël a failli mal se terminer. J’avais acheté un magnifique sapin synthétique tout blanc. Une merveille! Sauf qu’il a pris feu à cause d’un feu de bengale. J’ai couru chercher une couverture pour étouffer l’incendie mais je suis restée comme une idiote devant le placard à hésiter sur laquelle sacrifier. C’est ma fille qui a éteint l’incendie avec sa robe qu’elle avait enlevée! Tout s’est bien terminé sauf pour ma moquette qui a un grand trou maintenant!«
A la fin des années 70 elle commet quelques chansons et les critiques désabusées après les exploits d’Annie Girardot et Marlène Jobert laissent tomber un « Bah! tant qu’elle ne s’en prend pas à la Traviata »!
La courte biographie de la délicieuse Sophie pourrait s’arrêter ici car c’est l’histoire d’une femme heureuse, et les gens heureux, c’est bien connu…N’ont pas d’histoire, ou si peu.
L’âge venant, celle qui fut l’ultime partenaire de Bourvil dans « Le Mur de l’Atlantique » se résoudra à abandonner son métier d’actrice, après avoir été la mère de Michèle Laroque dans « Fallait pas », gênée par un problème de surdité comme son amie Marthe Mercadier.
L’An 2012 devait faire de Sophie Desmarets une aimable nonagénaire.
L’an 1998 avait fait d’elle une veuve.
Le 13 Février 2012 Sophie tirait à son tour sa révérence, deux mois avant son anniversaire.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1940: Battement de Coeur: Avec Danielle Darrieux
1941: Premier Rendez-Vous: Avec Danielle Darrieux.
1941: Des jeunes Filles dans la Nuit: Avec Gaby Morlay, Fernand Ledoux, Elina Labourdette et Renée Faure
1942: L’Homme qui Joue avec le Feu: Avec Ginette Leclerc et George Marchal
1943: Des Jeunes Filles dans la nuit: Avec Gaby Morlay et Louise Carletti
1945: Seul dans la Nuit: Avec Bernard Blier et Jacques Pills
1946: Le Capitan: Avec Claude Génia et Pierre Renoir
1947: Tierce à Cœur: Avec Henri Guisol et Georges Grey
1948: Rocambole: Avec Pierre Brasseur
1948: La Revanche de Baccarat: Avec Pierre Brasseur
1948: Femme sans Passé: Avec Alfred Adam et François Périer
1948: Croisière pour l’inconnu: Avec Claude Dauphin, Pierre Brasseur, Henri Crémieux et Danièle Delorme
1948: Rapide de Nuit: Avec Roger Pigaut
1948: Les Souvenirs ne sont pas à Vendre: Avec Blanchette Brunoy, martine Carol et Colette Darfeuil
1949: La Veuve et l’Innocent: Avec Jean Desailly
1949: Vire-Vent: Avec Roger Pigaut
1949: Mon Ami Sainfoin: Avec Pierre Blanchar et Alfred Adam
1950: Ma Pomme: Avec Maurice Chevalier
1951: Ma Femme est Formidable: Avec Fernand Gravey et Simone Valère
1951: Demain nous divorçons: Avec Jean Desailly et Denise Grey
1951: Signori, in carrozza!: Avec Aldo Fabrizi
1952: Mon Mari est Merveilleux: Avec Fernand Gravey et Elina Labourdette
1954: Escalier de Service: Avec Danielle Darrieux et Etchika Choureau
1954: Scènes de Ménage: Avec Marie Daems, François Périer, Solange Certain, Louis de Funès et Bernard Blier
1955: Le Fils de Caroline Chérie: Avec Magali Noël, Jean-Claude Pascal et Brigitte Bardot
1955: Gli Ultimi Cinque Minuti: Avec Linda Darnell, Vittorio de Sica et Rossano Brazzi
1956: Si Paris nous était Conté: ( Elle est Rose Bertin)
1956: Miss Catastrophe: Avec Philippe Nicaud
1956: Le Secret de Sœur Angèle: Avec Raf Vallone et Mary Marquet
1956: Ces sacrées vacances: Avec Danielle Godet et Paulette Dubost
1957: Filous et Compagnie: Avec Marie Daems
1958: La Vie à Deux: Avec Fernandel, Danielle Darrieux et Pierre Brasseur
1959: Drôles de Phénomènes: Avec Philippe Clay
1960: Anonima Cocottes: Avec Anita Ekberg
1960: La Française et l’Amour: Avec Pierre Mondy
1963: Dragées au Poivre: Avec Guy Bedos, Sophie Daumier et Jean-Paul Belmondo
1964: La Chance et l’Amour: Avec Michel Piccoli
1965: Cent Briques et des Tuiles: Avec Jean-Claude Brialy et Marie Laforêt.
1965: La Tête du Client: Avec Jean Poiret, Michel Serrault et Francis Blanche
1967: Toutes Folles de Lui: Avec Robert Hirsch
1970: Le Mur de l’Atlantique: Avec Bourvil
1973: La Raison du Plus Fou: Avec Alice Sapritch, Jean Carmet et Marthe Keller
1977: Le Maestro: Avec Jean Lefèbvre et Daniel Ceccaldi
1992: Lers Mamies: Avec Danielle Darrieux, Blanchette Brunoy et Jackie Sardou
1996: Fallait Pas: Avec Michèle Laroque et Gérard Jugnot