Il n’est guère facile de brosser un portrait exact, voire ressemblant de la délicieuse Sylvia Bataille.
Cette personne naît à Paris le premier Novembre d’une année qui selon les sources va de 1908 à 1912. Elle aura trois soeurs, Rose, Bianca et Simone. Une chose est sûre, elle est pour l’état civil Sylvia Maklès, Française d’origine Juive et Roumaine. Quant au reste, cet embrouillamini de dates complique fortement les choses. La demoiselle en question fit très tôt ses débuts dans la vie non seulement en tant que femme mais en tant qu’artiste.
Notre héroïne, en plus d’être fort jolie eut à la fois toujours du plomb dans la tête et le petit caractère qui va avec! Se rêvant comédienne, elle suivra avec assiduité et « avec fruits » les cours réputés de Charles Dullin et commencera sa carrière filmée par de modestes figurations pour un cinéma encore muet.
A vingt ans la jeune et jolie apprentie comédienne a rencontré George Bataille, « L’écrivain » nous dit-on dans ses biographies. Certes, il y eut en effet rencontre et mariage entre Sylvia et George Bataille dont elle gardera le patronyme à la scène. Mais à l’époque si l’on est en 1928, Bataille n’a encore publié qu’un seul livre « officiel » sous son nom et que personne n’a lu « Les Monnaies des Grands Mongols ». Quant à son roman érotique fleurant le scandale, la mort, le souffre et la luxure, « Histoire de l’Oeil », il a la prudence de le faire publier sous un faux nom! (Lord Auch) Il ne faudrait pas heurter, sait-on jamais, les sensibilités de Picasso ou Cocteau qu’il fréquente assidûment, et pire encore, effaroucher leurs généreuses admiratrices! Si nous sommes en 1932, Alors l’homme de lettre a également publié « L’Anus Solaire ».
On pourrait se baser sur le fait que leur fille unique Laurence vint au monde en 1930, mais ces deux là, anticonformistes par principe ont divorcé en 1946 alors qu’ils étaient séparés depuis…1934, alors pourquoi diable se seraient-ils bourgeoisement mariés avant d’avoir un enfant, je vous le demande! Quant au côté sulfureux de Bataille, il n’y a pas là de quoi effaroucher Sylvia. Plus tard, lorsque le tableau de Courbet « L’Origine du Monde » sera présenté pour la première fois au public, du moins officiellement, on apprendra stupéfiés que Sylvia Bataille en est la propriétaire.
En 1938, elle est donc toujours la très officielle madame Bataille. Elle rencontre Jacques Lacan qui n’est pas non plus un représentant en pelles à tartes mais un psychiatre des plus réputés de son temps dont les méthodes lui survivront. (Il est d’ailleurs le propriétaire du tableau de Courbet qu’il offrira à Sylvia). Sylvia devient sa compagne. Le couple aura une fille, prénommée Judith et qui naîtra en 1941 en pleine occupation, ce qui avec un tel prénom ne manque singulièrement pas de cran! (et peut être aussi d’inconscience parentale). On pourrait croire que les choses se simplifient dans la vie privée de celle qui est connue du public sous le nom de Sylvia Bataille. Erreur!
En 1934, Monsieur Lacan a épousé la demoiselle Marie-Louise Blondin, leur fille Caroline naîtra en 1937 et aura approximativement un an lorsque Lancan et Bataille se rencontrent et choisissent de vivre ensemble. A ceci près que le second enfant du couple Lacan « officiel » , Thibaut, naît en 1939 et leur fille Sibylle en 1940! On voit que le monsieur n’était pas actif qu’en pensées et prolixe qu’en paroles!
C’est la naissance de la petite Judith qui incitera madame Lacan Marie-Louise a demander, enfin exaspérée, le divorce, lequel sera prononcé à la libération. Entretemps, tout ce joli monde aura louvoyé dans un Paris occupé où les nazis s’acharnèrent et on l’oublie souvent, sur les psychiatres comme sur les Juifs! Ce qui soit dit toujours en passant, n’incita pas monsieur Lacan, reconnaissons-lui beaucoup de cran, à interrompre ses consultations! Situation compliquée d’autant par le fait qu’Hitler en personne s’acharnait à mettre la main sur la fameuse « Origine du monde ». Lacan libre de convoler et d’enseigner dans un Paris libéré attendra pour épouser sa jolie favorite qu’elle même soit divorcée en 1946 pour enfin officialiser cette belle osmose en…1953!
A l’heure de ces secondes justes noces, Sylvia Bataille avait déjà renoncé à la gloire des scènes et des écrans depuis trois ans!
Elle ne laissait qu’un souvenir confus dans les mémoires des cinéphiles, d’autant que son rôle le plus emblématique, celui de la jolie demoiselle sur l’escarpolette dans la « Partie de Campagne » de Jean Renoir tourné en 1936 fut abandonné par son réalisateur qui faillit d’ailleurs se prendre l’escarpolette en question dans la poire! Le film sortira dix ans plus tard dans une version plutôt bricolée mais fleurant quand même bon le chef d’oeuvre!
Sylvia y jouait Henriette, la fille de la commerçante Jane Marken, qui au cours de cette « partie de campagne » pourra à loisir comparer les délices de la balançoire et de la culbute sentimentale dans les herbes hautes! Que se passa-il sur le plateau ensoleillé de Renoir pourtant réputé homme affable? Sylvia qui trouvait l’humour de Nietzsche irrésistible ne s’entendit-elle pas avec Jane Marken qui n’aimait rien tant que de venir à Bruxelles se gaver de moules chez Léon? Georges Bataille qui tant qu’il y était s’essayait à la comédie dans le film fut-il pour quelque chose dans l’ambiance délétère qui envenima le plateau de jour en jour jusqu’à ce que Renoir renvoie tout le monde dans ses foyers sous les insultes dont l’abreuva Sylvia si sûre du chef d’oeuvre et consciente du gâchis, je l’ignore.
Quoi qu’il en soit, la filmographie un peu faible de Sylvia n’a qu’une seule perle qui brille d’un éclat incomparable dans sa couronne de lauriers: celle d’un film superbe et inachevé. Il est d’ailleurs paradoxal que l’on se souvienne de Sylvia pour ce seul film alors qu’elle a tourné avec les plus grands noms de son temps dont Fernandel, Jean-Pierre Aumont, Jules Berry, Raimu, Pierre Brasseur et tant d’autres et pour les meilleurs réalisateurs dont Carné qui l’adorait, Marcel Pagnol, Raymond Rouleau, Christian Jacque, Robert Siodmak, Jacques Feyder, Marcel L’Herbier, Léo Joannon et bien d’autres.
La comédienne, oubliée volontaire, s’éteignit à Paris en 1993, trois jours avant de fêter Noël.
Elle avait rejoint le funèbre cortège des parents qui ont eu la douleur de voir mourir leurs enfants avant eux car sa fille Laurence Bataille l’avait précédée dans la tombe. En 1986 ou en 1966 selon les sources, car on l’a vu déjà, les dates et l’histoire de Sylvia Bataille, cela fait deux. Michèle Morgan, Maria Félix, Doris Day et quelques autres dont Jean-Louis Trintignant, Jean-Pierre Aumont ou Michel Fugain partagent avec Sylvia Bataille ce calvaire des parents orphelins de leurs enfants, drame tellement contre nature que l’on a pas songé à lui donner un nom.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1933: Adémaï Aviateur: Avec Fernandel, Noël Noël et Junie Astor.
1936: Une Partie de Campagne: Avec Jane Marken
1936: Oeil de Lynx Détective: Avec Armand Bernard et Ginette Leclerc
1936: Topaze: Avec Fernandel
1937: Le Chemin de Rio: Avec Kate de Nagy, Suzy Prim, Jules Berry, et Madeleine Sologne
1937: Vous n’ avez Rien à Déclarer? Avec Raimu, Pierre Brasseur, Alerme et Pauline Carton
1938: Les Gens du Voyage: Avec Françoise Rosay.
1938: Forfaiture: Avec Lise Delamare, Louis Jouvet et Sessue Hayakawa
1939: Le Château des Quatre Obèses: Avec André Brülé, Marguerite Moreno et Alcover
1939: Quartier Latin: Avec Bernard Lancrey, Blanchette Brunoy et Junie Astor.
1939: Serge Panine: Avec Françoise Rosay
1939: L’Enfer des Anges: Avec Louise Carletti, Jean Claudio et Jean Tissier
1940: Campement 13: Avec Alice Field et Gabriel Gabrio
1941: L’Enfer des Anges: Avec Louise Carletti, MouloudjI et Fréhel.
1945: Ils Etaient Cinq Permissionnaires: Avec Ginette Leclerc et Raymond Cordy
1946: Les Portes de la nuit: Avec Yves Montand et Nathalie Nattier
1950: Julie de Carnheillan: Avec Edwige Feuillère.
