On peut lire sur la toile énormément de choses fausses sur Virginia Grey et tout particulièrement sur ses débuts. On y lit que, fille d’un réalisateur célèbre à Hollywood, elle a tourné enfant dans « La Case de l’oncle Tom » mais que sa famille a tenu à ce qu’elle finisse ses études avant de refaire du cinéma. Rien n’est plus inexact.
Virginia Grey est née à Los Angeles le 22 Mars 1917. Elle est effectivement la fille d’un réalisateur de cinéma: Rey Grey. Mais il est loin d’être D.W. Griffith ou Cecil B. DeMille! Il n’a tourné que quelques bobines des « Bathing Beauties » pour Mark Sennett où il a d’ailleurs débuté comme acteur. Rey Grey va mourir à 35 ans , emporté par une pneumonie en laissant son épouse et leurs trois enfants dans le désarroi total. Virginia a huit ans à la mort de son père. Elle en a dix lorsqu’elle joue Little Eva dans la version muette de « La Case de l’Oncle Tom » en 1927. Mais ce n’est pas par vocation d’artiste. C’est parce que la famille Grey a désespérément besoin d’argent. Pas pour partir en week-end à Honolulu mais pour manger, habiter, dormir.
La maman de Virginia, comme celle de Marilyn Monroe était devenue monteuse, un métier alors sans prestige où on n’était guère mieux considéré que celui qui faisait le café et tartinait les sandwiches de beurre de cacahuète. Elle ne gagnait pas lourd, moins qu’un ouvrier d’usine chez Ford. Un jour que Virginia venait rechercher sa maman chez UNIVERSAL après l’école, elle croise Paul Kohner qui voit en elle la petite fille qu’il cherche pour son film en préparation. Réaction inattendue de la mère offusquée: Pas question! Il fallut batailler longuement et fermement pour qu’elle fléchisse et que Virginia puisse tourner un film. Un seul! Que les choses soient claires! On le voit, les débuts de Virginia Grey sont loin du caprice enfantin de fille de millionnaires du film!
« La Case de l’oncle Tom » restera très longtemps en chantier, près de deux ans! Cette exceptionnelle longueur de tournage permettra à Virginia de tourner dans d’autres films « en attendant » puisqu’elle était quand même sur place. Mais le film enfin terminé, le veto maternel agit. Hors de question de remettre un pied au studio. Le cœur en berne, Virginia s’en va vers une autre vie, une vie dont elle n’espère rien ou pas grand chose. Destinée à devenir une institutrice maternelle, elle ne trouve de réconfort que dans ses cours de danse et va bientôt vivre une aventure incroyable.
Elle décroche un emploi de danseuse dans le chorus du Grauman Chinese Theater. La directrice artistique a été membre des « Tiller Girls », ancêtre londonien des Bluebell Girls et ne tolère aucun manquement ni aucun faux pas! Elle veut que son bataillon américain soit plus formidable encore que la troupe des Tiller Girls originelle dont la réputation est alors mondiale. Cette femme, probablement hystérique va faire répéter ses filles durant trois mois, sept jours sur sept de 9 à 22 heures sans interruption jusqu’au soir de la première du nouveau spectacle où les filles se produiront hagardes, robotisées. Mais la tortionnaire ne se révèle pas satisfaite! Bientôt elle quitte avec sa troupe le Grauman pour le United Artist Theater où on donne 4 spectacles par jour et elle fait répéter encore et encore ses filles entre chaque spectacle et après la fermeture jusqu’à deux heures du matin! Le tout doit se faire avec un sourire éclatant et Virginia se souviendra plus tard avoir souffert plus encore des zygomatiques que des jambes! Souvent questionnée sur ses débuts difficiles elle répondait « Quand vous êtes prête à faire n’importe quoi pour travailler, on vous fait faire n’importe quoi, c’est logique! »
En 1931 elle retrouvait le chemin des studios. La mode de la comédie musicale venait d’exploser. Les studios se traînaient à genoux devant n’importe quelle danseuse de claquettes pas trop empaillée et blonde de préférence. Virginia choisit MGM et se retrouva parachutée dans …Le chorus! « J’ai continué à travailler comme un mulet » déclarera-elle à propos de cette nouvelle étape de sa carrière. La MGM lui offre un contrat de sept ans et ne se prive effectivement pas de la faire travailler. Bientôt elle a la chance de sortir du chorus pour tenir des petits rôles qui gagneront en importance mais une nouvelle fois elle va devoir déchanter. La MGM la distribue dans tant de films que le public s’habitue bientôt à elle. Forcément, il la voit chaque fois qu’il s’offre une place de cinéma.
De film en film elle glisse dans un statut inextricable. A Hollywood on offre de beaux grands rôles à deux catégories d’actrices: les stars et les nouvelles découvertes. Virginia n’est plus une découverte, elle n’est pas une star même si elle en a l’étoffe et le talent. Elle est devenue une actrice de second plan. Elle est abonnée aux rôles non crédités voire même aux scènes coupées comme celles qu’elle a tournées dans « The St Louis Kid ». Revenue au cinéma en 1931, elle n’a toujours rien à dire dans « Women » de Georges Cukor en 1939!
Parfois, comme par miracle, elle obtient un premier rôle, mais c’est dans un film de série b pour ne pas dire Z et là il n’est plus question d’être dirigée par Cukor, elle est confiée aux bons soins d’Howard Bretherton, George Blair ou William Berke que personne ne connait! Certes, ses rôles gagneront en importance. Elle devient l’égale d’une Eve Arden ou d’une Ruth Hussey. Le public connaît ces dames, souvent les admire mais elles ne sont pas des stars. Au fil du temps, Virginia verra émerger du chorus d’autres actrices propulsées vers les sommets comme Betty Grable, Jane Wyman et Lucille Ball pour ne citer que les plus sensationnelles dans le genre.
Le soir où elle assiste à la première de « Women » de Cukor, lorsqu’arrive sa scène unique où elle écoute Joan Crawford vendeuse en parfumerie experte en rouerie séduire son amant au téléphone, une personne à côté d’elle s’écrire « Oh regarde qui voilà! Je l’adore! » et quelqu’un de lui répondre « Oh oui, moi aussi, elle est toujours formidable! » La suite de la conversation fut moins enchanteresse: « Comment s’appelle-elle déjà? » « Je n’en sais rien, pourtant on la voit tout le temps! » Tel était son sort. Lucide elle commentera: « Le studio n’a jamais fait de campagne publicitaire pour me lancer et moi non plus! Je n’ai pas fait de scandales dans les night clubs, je n’ai pas roulé en état d’ivresse, je n’ai pas collectionné les dates avec des acteurs célèbres ou été la cause de divorces retentissants! »
Ce en quoi elle se sous-estimait quand même un peu: En 1938 elle croise le king d’Hollywood, alias Clark Gable sur le plateau de « Test Pilot » dont la vedette est son amie Myrna Loy. Virginia tombe follement amoureuse de Clark Gable et le plus étrange volet de sa vie peut s’ouvrir ou plus exactement s’entrebâiller. Gable vit une folle passion avec Carole Lombard depuis leur rencontre au bal du Myfair en 1936. Carole est fraîchement émoulue des bras virils de Gary Cooper et de George Raft ainsi que du beau Russ Colombo qui venait de trouver une mort accidentelle. Clark Gable de son côté est très mal marié à la richissime Rhéa Langham et le tout Hollywood est au courant de la liaison qui le lie par intermittence à Joan Crawford que l’on dit son âme sœur depuis des années.
Où et quand débuta la liaison de Clark Gable et Virginia Grey reste une des principales inconnues de la petite histoire d’Hollywood. Les principaux protagonistes ne feront aucun commentaire. Clark Gable est d’ailleurs à l’époque très occupé à se dépêtrer du scandale qu’a provoqué la naissance de sa fille illégitime dont la mère n’est autre que Loretta Young!
Humiliée par les frasques de son illustre mari, Rhéa avait mis à ses trousses les avocats les plus chers du monde et n’accepterait le divorce que lorsque Gable n’aurait plus un sou. L’acteur acceptera touts les conditions exigées par Rhéa et il lui aurait cédé son dernier caleçon pour enfin pouvoir épouser Carole après deux années d’incessantes procédures. Pour l’anecdote, c’est parce qu’il était complètement ruiné par Rhéa qu’il accepta le rôle de Reth Butler dans « Autant en Emporte le Vent ». « C’est pour le fric que j’accepte de compromettre ma carrière en tournant cette singerie » avait laissé tomber Gable en signant son contrat avec Selznick le producteur du film.
La liaison de Gable et Lombard est le secret de polichinelle. Elle lui a offert une ambulance avec un gros cœur rose peint sur les portières. Il lui a offert un camion de pompiers en remerciement et les deux stars ne roulent qu’avec leurs cadeaux dans tout Los Angeles. On comprend que Rhéa Langham se soit étouffée de rage et de vengeance! Mais quelle est la place de Virginia Grey dans la vie de l’acteur à cette époque? On l’ignore! La liaison de Clark Gable avec une autre actrice que Carole entache forcément la légende d’un des amours les plus romanesques et emblématiques du Hollywood de l’âge d’or. Mais il ne faudrait pas perdre de vue que monsieur Gable est un impénitent séducteur et qu’il fit une cour très empressée à Vivien Leigh sur le plateau d’Autant en Emporte le Vent. Carole Lombard ou pas.
Le 29 Mars 1939, Gable libéré de Rhéa épouse Carole Lombard durant une pause sur le tournage du film! Joan Crawford ne fit aucun commentaire, Virginia Grey posa pour une série de photos « en Carole Lombard », coiffée, maquillée et habillée comme elle!
La belle histoire d’amour conjugale de Clark Gable et Carole Lombard sera brève, on le sait. La belle actrice trouve la mort dans un crash aérien le 16 Janvier 1942. Elle avait 33 ans et laissait Clark Gable dévasté de chagrin On craignait alors pour la santé mentale du king voire pour sa vie. On croyait aussi l’heure de Joan Crawford enfin venue car elle était aux yeux d’Hollywood tout entier la seule qui pouvait « sauver » Gable. Mais Joan était occupée ailleurs. C’est Virginia Grey et elle seule que Gable acceptera à ses côtés pour surmonter l’épreuve la plus tragique de sa vie. Le petit teckel noir de Carole Lombard, privé de sa maîtresse se laisse mourir de chagrin. lorsque l’animal meurt, Gable envie le chien et Virginia se dépêche de lui offrir un nouveau petit teckel identique. Mais ce ne sera pas suffisant pour retenir Gable qui est un des premiers acteurs d’Hollywood à partir à la guerre espérant bien s’y faire tuer et rejoindre Carole Lombard dans la mort.
Gable reviendra du combat intact et retrouvera Virginia. Leur liaison reprend. Virginia est celle qui a attendu Gable. Même si elle l’a attendu avec le sergent John Basilone. Son destin aurait d’ailleurs peut-être été différent si le beau militaire, héros de Guadalcanal, n’avait pas été tué au combat en 1945. Bien qu’à l’heure de sa mort, sa liaison avec Virginia était terminée et qu’il était…Jeune marié depuis quelques mois. Virginia est donc la date officielle de Clark Gable à son retour de la guerre. Inséparables, on ne cesse de leur demander quand est-ce qu’ils comptent se marier. L’affaire est entendue et ne fait aucun doute pour personne. Ces deux-là sont fait l’un pour l’autre et prennent leur temps. La carrière au cinéma de Virginia Grey bénéficie-elle de ce statut de « future madame Clark Gable? Non.
Quelle ne sera pas la stupéfaction générale et celle de Virginia en particulier de voir Clark Gable épouser lady Sylvia Ashley le 20 Décembre 1949! Le pire cadeau de Noël qui puisse s’imaginer pour Virginia Grey. Elle ne fera aucun secret de son chagrin ni de sa déception. Ses proches remarqueront même que le caractère de la star s’aigrit. Maintenant elle se rebiffe contre les studios et s’offusque qu’un rôle qu’elle briguait soit offert à une nouvelle venue. Et lorsqu’on lui répond « Voilà deux ans qu’elle attend et apprend son métier d’actrice dans de petits rôles », Virginia éclate: « Et moi ca fait 15 ans que j’attends! » Le mariage de Clark Gable et lady Ashley sera désastreux et le couple est divorcé dès 1952. Sylvia s’en ira épouser un prince et Clark reviendra vers Virginia.
Contrairement à la légende, c’est bien elle qui refuse de renouer avec Clark Gable, déclarant qu’elle est à peine remise de leur rupture qui l’a tant faite souffrir et qu’elle est incapable d’encore risquer quoi que ce soit dans sa vie sentimentale. Et surtout pas avec lui qui avait quand même épousé deux autres femmes sous son nez! Elle avait été un temps très en affaire avec le beau Robert Taylor qui, il est vrai, ne l’avait guère mieux traitée!
Virginia Grey s’exile alors à New-York et s’engouffre à la télévision, loin de Clark Gable et du supplice de le savoir « a portée de main ».
Virginia Grey restera fidèle à sa décision de ne jamais se marier et connaîtra enfin une carrière de prestige au petit écran, ne revenant à Hollywood qu’en coup de vent pour tenir des rôles toujours aussi modestes. En 1959, elle se retrouve dans un western avec Audie Murphy « No name on the Bullet » et c’est Joan Evans qui la devance au générique!
En 1964, Samuel Fuller lui confie un rôle taillé sur mesure de maquerelle de province, veule mais distinguée dans « The Naked Kiss » qui vaut largement le détour. Elle tournera pour le petit écran jusqu’en 1976. Elle avait fait ses adieux au cinéma en 1970 après s’être fondue parmi les passagers d’un « Airport ».
C’est dans sa Californie natale qu’elle décède le 31 Juillet 2004 à l’âge de 87 ans et toujours célibataire!
Celine Colassin
QUE VOIR?
1927:Uncle Tom’s Cabin: Avec Margarita Fischer
1928: Heart to Heart: Avec Mary Astor et Louise Fazenda
1928: The Michigan Kid: Avec Renée Adorée et Conrad Nagel
1934: The St Louis Kid: Avec Patricia Ellis et James Cagney
1935: Gold Diggers of 1935: Avec Gloria Stuart, Dick Powell et Adolphe Menjou
1936: The Great Ziegfeld: Avec Myrna Loy, Luise Rainer et William Powell
1937: Secret Valley: Avec Richard Arlen
1937: Rosalie: Avec Eleanor Powell, Ilona Massey et Nelson Eddy
1937: Bad Boy: Avec Bruce Cabot
1938: The Shopworn Angel: Avec Margaret Sullavan et James Stewart
1938: Test Pilot: Avec Myrna Loy, Clark Gable et Spencer Tracy
1939: Another Thin Man: Avec Myrna Loy et William Powell
1939: Idiot’s Delight: Avec Norma Shearer et Clark Gable
1939: The Hardys Ride High: Avec Ann Rutherford et Mickey Rooney
1940: Three Cheers for the Irish: Avec Priscilla Lane et Thomas Mitchell
1940: The Capitain is a Lady: Avec Beulah Bondi et Charles Coburn
1940: The Golden Fleecing: Avec Rita Johnson et Lew Ayres
1940: Hullabaloo: Avec Frank Morgan et Dan Dailey
1940: Keeping Company: Avec Ann Rutherford et Frank Morgan
1941: Whistling in the Dark: Avec Ann Rutherford et Red Skelton et Conrad Veidt
1941: Blonde Inspiration: Avec John Shelton
1941: Washington Melodrama: Avec Ann Rutherford et Frank Morgan
1941: The Big Store: Avec les Marx Brothers
1942: Mr and Mrs North: Avec Gracie Allen et Rose Hobart
1942: Tarzan’s New York Adventure: Avec Johnny Weissmuller et Maureen O ‘Sullivan
1942: Tish: Avec Susan Peters et Zasu Pitts
1942: Grand Central Murder: Avec Patricia Dane et Van Heflin
1943:Sweet Rosie O’Grady: Avec Betty Grable, Adolphe Menjou et Robert Young
1944: Strangers in the Night: Avec William Terry
1945: Flame of Barbary Coast: Avec Ann Dvorak et John Wayne
1947: Wyoming: Avec Vera Ralston et Bill Eliott
1947: Unconquered: Avec Paulette Goddard et Gary Cooper
1948: Jungle Jim: Avec Johnny Weissmuller
1948: Glamour Girl: Avec Gene Krupa et son orchestre
1948: Mexican Hayride: Avec Bud Abbott et Lou Costello
1948: Unknow Island: Avec Philip Reed
1949: The Threat: Avec Michael O’Shea
1950: Highway 301: Avec Steve Cochran et Gaby André
1951: Bullfighter and the Lady: Avec Joy Page et Robert Stack
1952: Desert Pursuit: Avec Wayne Morris
1953: A Perilous Journey: Avec Vera Ralston, Scott Brady et David Brian
1954: Target Earth: Avec Kathleen Crowley et Richard Denning
1955: All That Heaven Allows: Avec Jane Wyman et Rock Hudson
1955: The Rose Tattoo: Avec Anna Magnani, Marisa Pavan et Burt Lancaster
1956: Accused of Murder: Avec Vera Ralston et David Brian
1956: Crime of passion: Avec Barbara Stanwyck, Sterling Hayden et Fay Wray
1957: Jeanne Eagels: Avec Kim Novak et Jeff Chandler
1957: Crime of Passion: Avec Barbara Stanwyck, Sterling Hayden et Raymond Bur
1958: The Restless Years: Avec Sandra Dee, John Saxon et Teresa Wright
1959: No name on the Bullet: Avec Audie Murphy
1960: Portrait in Black: Avec Lana Turner et Anthony Quinn
1961:Tammy Tell Me True: Avec Sandra Dee et John Gavin
1961: Back Street: Avec Susan Hayward et John Gavin
1961: Bachelor in Paradise: Avec Lana Turner et Bob Hope
1963: Black Zoo: Avec Jeanne Cooper et Michael Cough
1964: The Naked Kiss: Avec Constance Towers
1965: Love Has Many Faces: Avec Lana Turner et Ruth Roman
1966: Madame X: Avec Lana Turner et John Forsythe
1967: Rosie: Avec Rosalind Russell et Sandra Dee
1970: Airport: Avec Jacqueline Bisset, Jean Seberg et Dean Martin