Lebon yvette

Rien ne prédestinait Yvette Lebon à devenir une véritable vedette du cinéma français en un temps où le mot vedette avait une véritable signification. Il voulait dire que le public vous aimait, s’intéressait à vos faits et gestes, allait voir vos films et découpait vos photos dans les journaux. Rien, je le suppose ne la prédestinait non plus à devenir la doyenne des comédiennes françaises. Statut où elle succède officiellement à Paulette Dubost qui lui avait bien involontairement usurpé le titre puisque Paulette était la cadette d’Yvette de trois mois!

La future Yvette Lebon naît Simone Lebon le 14 Août 1910 dans une modeste famille ouvrière parisienne. Son papa est ferblantier, sa maman repasseuse. Les parents de la petite Simone rêvaient pour le ravissante petite fille une vie meilleure et moins dure que la leur. Mais hélas! La belle enfant n’était guère passionnée par l’école, ne trouvant seulement qu’un vague intérêt à la contemplation des mouches sur les carreaux. C’est que la petite, déjà rêvait. Rêvait au cinéma.

En ces temps bénis où le cinéma se considérait encore au service du public, l’affaire était déjà sérieuse mais pas encore engluée de prétention nombriliste. Il y avait un côté bon enfant qui s’est perdu. les plus grandes vedettes mangeaient à la cantine leur jambon-beurre avec les techniciens. D’autres comme Danielle Darrieux chantaient pour distraire les figurants quand les réglages techniques devenaient trop longs et tout le monde s’arrêtait de tourner pour entendre l’arrivée du tour de France à la T.S.F.

Quand on était une jolie fille on pouvait toujours venir voir tôt le matin à la porte des studios s’il n’y avait pas « un petit truc à faire ». Et comme Simone avait d’incroyables yeux verts très étirés en amandes et…Une paire de très jolies gambettes; l’outil indispensable depuis que Mistinguett avait déifié les siennes, ma foi, on la laissa apparaître dans un film qui se tournait: « Rive Gauche ». Un film aimable où Henri Garat faisait les yeux doux en roucoulant à Meg Lemonnier, jeune première très en vogue mais qui ne fit guère long feu. Yvette allait retrouver ce charmant duo dès son film suivant: « Il est Charmant » Nous étions en 1931, Simone devenue Yvette avait 21 ans, l’âge de la majorité légale, l’âge de la liberté!

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Les films des débuts d’Yvette Lebon son devenus bien difficiles à voir aujourd’hui. Henri Garat n’a connu la postérité que dans les bras de Lillian Harvey et quand bien même, la jeune Yvette était à peine visible dans ses premiers exploits. Elle aurait pu reprendre à son compte cette phrase de Michèle Morgan avec qui elle partage le même prénom de baptême et des débuts fugaces: « Ma première apparition au cinéma était si rapide que si tu éternuais au mauvais moment, tu me loupais! » La petite débutante aux yeux de chat et aux jambes de fée va peu à peu se frayer un chemin dans les distributions de films qui seront pour la plupart déjà oubliés avant d’être tournés. Elle croisera d’autres débutants comme un certain Fernandel avec qui elle est à l’affiche d’un des plus gros succès du rire des années 30: « Le Chéri de sa Concierge »

Elle obtient son premier rôle important dans « Zouzou » où elle sera le béguin de Jean Gabin et rivale de Joséphine Baker, la star ou plus exactement la curiosité du film. Pour l’occasion et pour le contraste, on fit d’Yvette une blonde platine, et comme sa rivale était noire, le personnage d’Yvette s’appellerait Claire! Pour qu’on comprenne bien. C’est elle qui guinche avec un Gabin, casquette sur l’oeil et clope au bec qui lui chante « Viens Fifine, viens Fifine, viens! » Yvette Lebon n’avait pas une tête à s’appeler Fifine, Joséphine Baker n’était pas la nouvelle Sarah Bernhardt, le scénario était tarabiscoté à mourir et le tout fit un four cuisant! Et comble de bonheur, Yvette termine le film avec un bras cassé! Mais la blonde Yvette était lancée. Et comme on l’avait vue dans une comédie musicale certes ratée et que le genre était à la mode, elle va curieusement se retrouver cataloguée « comédie musicale » et devenir une spécialiste du genre, un peu comme Ginger Rogers à Hollywood.

Mais nous ne sommes pas à Hollywood. Il faut donc entendre par comédie musicale des films avec peu d’intrigue mais beaucoup de soleil destinés à amener au cinéma les admirateurs d’un chanteur à la mode de préférence parfaitement empoté devant les caméras!

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Ce qui aura quand même des avantages car ces films seront tous d’énormes succès et les critiques se consoleront d’un « Tino Rossi pathétique d’ennui » avec « Yvette Lebon, vive et gaie comme un excellent champagne et les plus belles jambes du cinéma » Outre Tino Rossi qui lui chante « Marinella » elle se sera quand même retrouvée à jouer les amoureuses pâmées devant Jean Lumière et Charles Trenet! C’est un de ses partenaires non chantants qui ravira le coeur de la belle Yvette. En 1938 elle tourne « Gibraltar » avec Roger Duchesne et l’épouse, fort brièvement d’ailleurs à la fin du tournage. Tête de Viviane Romance, vedette du film où Duchesne jouait son fiancé adoré!

Yvette Lebon devenue vedette est une de ces jeunes filles de l’époque qui ont été petites filles pendant la guerre 14-18 et qui maintenant qu’elles sont libres ont bien l’intention d’en profiter! Yvette est de toutes les fêtes et lorsque le ciel de Paris s’assombrit sous la menace nazie, elle s’en aperçoit à peine! Toujours entre un film, une pièce et un voyage sur la côte d’Azur, elle est à peine interloquée quand Paris est occupé. Elle est plus active que jamais et la guerre éclaircit les rangs de ses rivales! Après « Premier Rendez-Vous », Danielle Darrieux se volatilise et passe en Suisse sous un faux nom, Michèle Morgan et Micheline Presle sont en zone libre et ne tournent pas, Annie Vernay vient de décéder, il ne reste guère que Corinne Luchaire pour lui disputer la place car les deux jeunes femmes jouent sur les mêmes arguments! A ceci près qu’Yvette n’a que des amis et que la très fantasque Corinne est considérée par ses contemporains comme la plus bête des oies jamais apparue sur un écran!

Yvette Lebon est à l’arrivée des Allemands toute à sa liaison avec Sacha Guitry. Et malgré les privations et le couvre feu, cinéma et théâtre se portent à merveille. Yvette Lebon fait partie d’une « bande » , d’un cercle d’amis où gravitent Tino Rossi, Mireille Balin et quelques autres dont les Luchaire père et fille. Si Yvette Lebon et Corinne Luchaire ne furent jamais réellement fan l’une de l’autre, Jean Luchaire va beaucoup plaire à Yvette qui a une faiblesse pour les hommes mûrs et il va succéder à Sacha Guitry dans sa vie. Ce qui fait d’elle la « belle-mère » de sa rivale de cinéma Corinne Luchaire! La situation ne manque pas d’un rocambolesque piquant!

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La vie de la jeune comédienne est alors faite de tournages, de fêtes et de champagne, et que tout celà soit le fruit du marché noir ne la concerne tout simplement pas. N’est-ce pas au directeur de chez Maxim’s de s’arranger avec sa conscience et les tickets d’alimentation? Tant qu’il restera des restaurants, des couturiers, des fourreurs, des coiffeurs et des bijoutiers, Yvette Lebon restera cliente! la guerre après tout, ce n’est pas le problème des actrices! Mais la guerre aura une fin, Jean Luchaire directeur de la presse collaborationniste sera passé par les armes. Sa fille Corinne frappée d’indignité nationale mourra à 28 ans. Et alors même que Mireille Balin, Sacha Guitry, Arletty, Louis Ferdinand Céline, Ginette Leclerc seront inquiétés à la libération, Yvette Lebon qui s’était terriblement affichée fut très curieusement laissée tranquille! Elle qui avait un jour déclaré en plaisantant: « Hitler? Ce que je pense d’Hitler? mais je n’en pense rien! Si je rencontrais je lui demanderais un autographe, après tout c’est une célébrité! » Mais la plaisanterie se portait mal en ces temps troublés ou Paris libéré se libérait aussi de ses haines et de ses rancœurs ! On en avait tondues pour moins que ca!

Comme Danielle Darrieux, Yvette Lebon se fait discrète à la libération, ce qui ne les empêchera pas de tourner pour le cinéma dès 1946 et Yvette poussera même la crânerie en tournant en 1947 un film…Autrichien! « Les Amours de Blanche Neige »! Mais après cette petite bravade, il faut bien admettre que la carrière d’Yvette Lebon est en complète capilotade. L’actrice ne tourne plus. Le genre de films où elle avait brillé s’est terriblement démodé. Elle fait partie d’un passé que l’on préfère aujourd’hui oublier. La fin de la guerre a ramené au cinéma les stars exilées comme Michèle Morgan et toute une nouvelle pléthore de stars hollywoodiennes déferle enfin sur les écrans! Le public découvre Rita Hayworth, Vivien Leigh, Lana Turner, Ava Gardner, Betty Grable, Veronica Lake , Hedy Lamarr! Des stars dont il entendait parler depuis cinq ans sans pouvoir aller les admirer au cinéma pour cause d’embargo hitlérien.

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La concurrence est rude et il faut bien reconnaître que le public français ne fut guère courtois avec les actrices qui eurent le courage de rester dans un Paris occupé pour tourner des films souvent magnifiques et sous les bombes! Mais Yvette Lebon a une bonne étoile, une bonne étoile qui ne la quittera jamais. Elle rencontre l’homme qui sera son second mari Natan Waschberger, producteur alors très actif en Italie. Il a sous contrat la star Maria Montez dont il produit les films.

Il produit pour sa belle épouse de 42 ans un film d’époque où elle sera Milady de Winter face à Rossano Brazzi et Yvette Lebon pourra être fière du résultat. Elle est tout simplement magnifique en rouée Milady. C’est l’heure de la seconde carrière, la carrière italienne. Sans doute moins prestigieuse, mais l’actrice n’est plus une jeune vedette. Elle est maintenant une dame et laisse les jeux de gambettes et œillades assassines à Dominique Boschero ou Marisa Allasio. Elle récupère son statut de vedette et va tourner avec régularité jusqu’à la fin des années 60. Puis devenue maman et vivant essentiellement à Hollywood, on ne la verra plus que dans quelques courts rôles dans des projets qui avaient réussi à éveiller son enthousiasme. On peut sourire en pensant que la partenaire de Tino Rossi deviendra celle de Serge Gainsbourg!

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Le temps passant, Yvette Lebon qui fut toujours d’une coquetterie folle ne souhaita pas se voir vieillir à l’écran même si à 60 ans elle en paraissait 35 et prit une retraite très dorée entre sa villa de Beverly Hills et quelques yachts voguant sur les mers des caraïbes! Elle verra non sans fierté son fils Patrick prendre la succession de son père et devenir un puissant producteur Hollywoodien, c’est lui qui réunira Brad Pitt  et Angelina Jolie à l’écran.

Et puis en 1992, Yvette Lebon est veuve. elle a 82 ans. Paris et son seizième arrondissement lui manquent. elle quitte Hollywood et rentre au pays. Mais le Paris qui flirte avec l’an 2000 n’est pas le Paris des années 30. Yvette ne s’y plaît plus vraiment et choisit de s’installer à Cannes. C’est là qu’elle vécut centenaire, heureuse et nullement recluse. Ma grand’mère aurait dit « A cent ans elle demande encore où on danse celle-là! » si elle l’avait vue papillonner comme aux plus beaux jours lors de l’inauguration de l’allée Jean Sablon à Cannes.

Elle aura la grande stupéfaction, plus de 70 ans après les faits d’être questionnée sur son comportement pendant la guerre à la faveur d’un documentaire « L’Occupation Intime ». Les journalistes vont à sa rencontre dans sa retraite cannoise et ont la surprise de se trouver nez à nez avec une femme qui a l’air d’avoir un demi siècle de moins que son âge; toujours belle et toujours coquette, élégante, vive, sincère et drôle. Elle répondra l’air un tantinet effaré, comme si elle n’y avait jamais vraiment pensé : »J’étais d’une inconscience complète, je faisais des films, il y avait du champagne, des fêtes, la guerre ca me passait complètement au dessus de la tête, j’étais une jeune folle, une sotte! Finalement j’ai eu beaucoup de chance, j’aurais pu le payer très cher! »

Peut-être.

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Le 28 Juillet 2014, Yvette Lebon s’éteignait dans son appartement cannois. Elle avait 103 ans et à quelques jours près elle en aurait même eu 104!

Aujourd’hui grâce aux facilités de communication que nous offrent les nouvelles technologies, lorsque l’on parle d’Yvette Lebon il y a toujours bien quelqu’un pour laisser un commentaire du style  » Et ses amis de la gestapo? » Je répondrai d’abord que quelques amourettes ne font pas d’une actrice célèbre une femme plus coupable qu’une concierge anonyme dénonçant ses locataires pour s’emparer d’une machine à coudre Singer.

Je répondrai ensuite et surtout qu’il y a toujours eu des guerres et qu’il y a toujours eu des jeunes filles. Des sages et des frivoles, des cigales et des fourmis.

En 1943 elles valsaient avec des officiers en uniforme allemand et buvaient du champagne de contrebande. Aujourd’hui la France est en guerre au Mali ca ne les empêche pas d’épouser des musulmans, aller au restaurant quand on manque de fonds pour les restos du coeur, porter des fourrures et avoir un chien, et aller en vacances au club Med alors que tant de gens dorment dans des cartons.

Chacun sa vie. Quant à moi je gère un blog sur le cinéma, pas sur le patriotisme et Yvette Lebon est une actrice, pas une résistante, ça, on l’aura compris! Si les hommes de sa génération n’ont pas incriminé Yvette Lebon, ce n’est ni à moi ni à nous de le faire. Et quand bien même il y a d’autres combats à mener que de s’acharner sur une centenaire défunte pour quelques fêtes et quelques amants.

Celine Colassin

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QUE VOIR?

1931: Rive Gauche: Avec Meg Lemonnier et Henri Garat

1931: Il est Charmant: Avec Meg Lemonnier et Henri Garat

1934: Le Chéri de sa Concierge: Avec Colette Darfeuil, Fernandel et Alice Tissot

1935: Trois Artilleurs au Pensionnat: Avec Raymond Cordy et Jeanne Fusier Gir

1936: Marinella: Avec Tino Rossi

1936: Coup de Vent: Avec Jean Acquistapace

1937: Trois artilleurs au pensionnat: Avec Odette Joyeux et Denise Grey

1937: Abus de Confiance: Avec Danielle Darrieux et Charles Vanel

1937: Romarin: Avec Jean Acquistapace et Jeanne Boitel

1938: Gibraltar: Avec Viviane Romance, Roger Duchesne et Erich von Stroheim

1940: L’Homme qui Cherche la vérité: Avec Raimu

1941: Romance de Paris: Avec Charles Trenet, Jean Tissier et Jacqueline Porel

1942: Le Moussaillon: Avec Roger Duchesne

1942: Le Destin Fabuleux de Désirée Clary: Avec Gaby Morlay et Sacha Guitry

1945: Paméla: Avec Renée Saint Cyr, Fernand Gravey et George Marchal

1946: Monsieur Grégoire s’évade: Avec Bernard Blier et Jules Berry

1947: Les Amours de Blanche Neige: Avec Erika Matejko

1952: Milady et les Mousquetaires: Avec Rossano Brazzi

1954: Il Cavaliere di Maison Rouge: Avec Renée Saint Cyr

1955: Sophie et le crime: Avec Marina Vlady et Dora Doll

1956: Maruzzella: Avec Marisa Allasio et Massimo Serrato

1960: Les Nuits de Raspoutine: Avec Gianna Maria Canale, Edmund Prudom et John Drew Barrymore

1960: La Vallée des Pharaons: Avec Debra Paget et Ettore Manni

1962: Ulysse contre Hercule: Avec Dominique Boschero et George Marchal

1963: Scaramouche: Avec Michele Girardon et Gérard Barray

1966: Baraka sur X: Avec Sylvia Koscina et Gérard Barray

1967: Toutes Folles de Lui: Avec Sophie Desmarets et Robert Hirsch, Jean-Pierre Marielle et Julien Guiomar

1967: Le Vicomte règle ses comptes: Avec Kerwin Mathews, Sylvia Sorrente et Jean Yanne

1969: Je tu elles: Avec Francis Banche, Bernadette Lafont et Juliet Berto

1970: Cannabis: Avec Jane Birkin et Serge Gainsbourg

1971: La Cavale: Avec Juliet Berto et Catherine Rouvel

1972: Je, Tu, Elles: Avec Jacqueline Coué

 

 

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